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Et si, quinze ans après ?

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La France a-t-elle tiré toutes les leçons de la canicule meurtrière de 2003 ? Si des mesures décisives ont été prises en termes d’information, de sensibilisation et de prévention dans les établissements et à domicile pour éviter une nouvelle crise sanitaire d’ampleur, les faiblesses du secteur du grand âge n’ont pas, quinze ans après, toutes trouver leurs solutions.

A chaque période de grande chaleur estivale, le spectre de la canicule meurtrière de 2003 resurgit. Quinze ans après, cette catastrophe sanitaire et sociale reste ancrée dans les mémoires comme un traumatisme national. Un électrochoc pour les professionnels du secteur social et médico-social.

Cette canicule, la plus grave jamais observée en France, a fait 15 000 décès supplémentaires par rapport à la mortalité habituelle de cette période de l’année. Précisément, 14 802 victimes entre le 1er et le 20 août. L’été 2003 a été le plus chaud jamais observé depuis 1950. La France a été avec l’Italie le pays le plus touché par cette vague de chaleur caniculaire qui s’est étendue sur une grande partie de l’Europe.

La canicule a été exceptionnelle à la fois par sa durée et son intensité. « En août 2003, pendant quinze jours, les températures ont été de 10 °C supérieures aux températures normales pour cette période de l’année sur une grande partie de la France. Les températures maximales ont dépassé 40 °C sur une grande partie du territoire », rappelle Santé publique France, l’agence nationale de santé publique.

Dès le 10 août, Patrick Pelloux, alors président de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF), alerte l’opinion sur la surmortalité anormalement élevée provoquée par la canicule et les mauvaises conditions de prise en charge des personnes âgées par manque de moyens. « Quand Patrick Pelloux alerte dans Le Parisien, c’est pour dire qu’il y a une cinquantaine de morts dans les urgences, il ne pouvait pas imaginer qu’il y en avait 15 000 dans toute la France. Personne n’avait vu venir la situation. Je n’en veux ni à Jacques Chirac, ni à Jean-Pierre Raffarin, car personne n’avait vu l’ampleur de la situation », se souvient Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA). « On avait oublié dans notre pays que le soleil peut tuer », ajoute-t-il.

La surmortalité a commencé le 4 août et a duré quinze jours. Le pic a été atteint les 11, 12 et 13 août, avec un nombre journalier de décès deux fois et demi supérieur à sa valeur habituelle. « 80 % des décès se sont concentrés sur quatre jours, du 11 au 14 août 2003 », rappelle Santé publique France.

35 % de décès à domicile

Si les enfants en bas âge ont été épargnés, grâce à la sensibilisation des parents, les personnes âgées, elles, ont payé un lourd tribut. Les plus de 75 ans ont représenté 82 % des victimes de la canicule. Pour l’ensemble des personnes de plus de 75 ans, la mortalité a augmenté de plus de 90 % par rapport au niveau normal, tandis que la hausse atteignait 130 % pour celles ayant 95 ans et plus. Par ailleurs, la crise n’a pas été de même ampleur partout sur le territoire national. Les régions Ile-de-France et Centre ont été les plus touchées. Les chiffres issus du rapport « Surmortalité liée à la canicule de 2003 » de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), publié en octobre 2004, montrent que les taux de surmortalité en maisons de retraite et au domicile sont similaires, le nombre de décès étant en moyenne multiplié par deux par rapport à leur valeur habituelle. « 42 % des décès en excès sont survenus dans des hôpitaux, 35 % à domicile, 19 % dans des maisons de retraite et 3 % en clinique privée, alors que les proportions de décès observées au cours des années précédentes étaient respectivement de 49 % dans les hôpitaux, 25 % à domicile, 10 % dans les maisons de retraite et 9 % en clinique privée », détaille l’Inserm.

Qualifiée de « séisme thermique », de « séisme sanitaire », d’« infarctus sanitaire », selon la formule de Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, la canicule a été révélatrice des faiblesses du système sanitaire, social et médico-social français. « Au plus fort de la crise, la réponse de la société française dans son ensemble a été tardive, insuffisante, inadaptée et désordonnée : les acteurs de terrain, et en particulier les personnels hospitaliers, ont dû improviser une riposte et sont véritablement apparus comme “la dernière ligne de défense” », souligne le rapport « La France et les Français face à la canicule : les leçons d’une crise » de la mission parlementaire du Sénat.

Au niveau politique, le temps de rendre des comptes viendra également. La commission d’enquête parlementaire sur les conséquences sanitaires et sociales de la canicule pointera que les dysfonctionnements les plus importants ont eu lieu au sein du cabinet de Jean-François Mattei, alors ministre de la Santé, et dans plusieurs administrations comme la direction générale de la santé (DGS). Et « Mattei, dernière victime de la canicule », comme titrait Libération, le 31 mars 2004, sera remplacé par Philippe Douste-Blazy.

Quinze ans plus tard, la France a-t-elle tirée toutes les leçons de cet été meurtrier ? « Nous pouvons […] espérer ne pas voir dans de telles circonstances se répéter la catastrophe sanitaire de l’été 2003 : une bonne partie des leçons de cet épisode a été tirée. D’ailleurs, il a eu des “répliques” », qui n’ont pas entraîné de catastrophe sanitaire, en 2006 et en 2015. Elles étaient toutes deux fois moins sévères que ne l’a été l’épisode de 2003, mais la mortalité qu’elles ont entraînée a été, toutes proportions gardées, bien moindre qu’on aurait pu l’attendre si nous n’y avions pas été préparés », reconnaît Jean-Louis San Marco, professeur de médecine à l’université d’Aix-Marseille(1).

Prise de conscience

« La canicule a fait prendre conscience au grand public et aux acteurs de santé au sens large de la fragilité des personnes âgées vivant notamment à domicile. Cette prise de conscience a entraîné une révision de pratiques notamment sur les territoires. Aujourd’hui, quand on est dans des épisodes caniculaires ou quasi caniculaires, on voit se mettre en place sur une multitude de territoires des systèmes d’alerte et de vigilance en direction des personnes âgées tant à domicile qu’en institutions. Les services d’aide à domicile sont en nombre supérieur et mieux structurés, on a l’obligation d’équiper les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) de lieux rafraîchis et climatisés qui peuvent être mis à la disposition de personnes venues de l’extérieur », explique Julien Moreau, directeur du secteur social et médico-social à la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (FEHAP). « On a aujourd’hui un secteur de la fragilité du grand âge mieux structuré en termes de vigilance et en termes de capacités de réaction. Notre système de santé est clairement mieux préparé qu’il y a quinze ans. Cela n’obère pas des difficultés territoriales ou locales si l’on avait un épisode climatique de même ampleur qu’en 2003, avec des services d’urgences un peu débordés. Mais avec la médicalisation des EHPAD, les salles rafraîchies, les bénévoles, les aidants à domicile, on aura la capacité de limiter l’afflux massif des personnes âgées aux urgences et les grandes difficultés des centres hospitaliers à absorber ce flux », assure-t-il.

Porte-parole de l’AMUF (à la suite de Patrice Pelloux) et urgentiste au SAMU de Bobigny (Seine-Saint-Denis), Christophe Prudhomme dresse un état des lieux beaucoup plus sévère. « Depuis la canicule de 2003, ceux qui ont fait le plus d’efforts, ce sont les collectivités locales, avec les informations, les visites, le repérage des personnes à risque. L’Etat, lui, n’a pas fait d’efforts suffisants ! »

En cas de nouvel épisode caniculaire, les EHPAD sont-ils en mesure de mieux remplir leur rôle en amont des urgences ? « Non ! Depuis quinze ans, le système de santé se dégrade à vitesse grand V », répond l’urgentiste. « Je ne passe pas une garde sans être appelé par un EHPAD. Ces établissements accueillent aujourd’hui un public qui relève normalement de lits supprimés dans les unités de soins de longue durée (USLD). L’urgence, aujourd’hui, est de médicaliser les EHPAD. Or, les moyens ne sont pas à la hauteur. La feuille de route de la ministre des Solidarités et de la Santé prévoit 20 000 emplois sur trois ans alors que l’AD-PA et l’intersyndicale estiment les besoins à 100 000 emplois pour le secteur. Avec une présence infirmière 24 heures sur 24 et des médecins salariés en EHPAD, on préviendrait huit passages sur dix aux urgences. Pour le maintien à domicile des personnes âgées, aucune mesure n’est prise pour qu’il y ait davantage de médecins de ville. C’est la deuxième rentrée universitaire depuis qu’Agnès Buzyn est au ministère de la Santé et le numerus clausus n’a toujours pas été supprimé. Entre 2010 et aujourd’hui, la France a perdu 5 000 médecins généralistes du fait des départs à la retraite. A Meaux, Agde, Carcassonne, par exemple, les services d’urgence ferment car il n’y a plus de médecins », égrène le docteur Prudhomme. Pas certain, dès lors, que les images de personnes âgées sur des brancards dans les couloirs des urgences ne réapparaissent pas sur les écrans lors de la survenue d’une nouvelle vague de chaleur.

L’isolement social, facteur de risque supplémentaire

L’épisode caniculaire de 2003 a également démontré que l’isolement social constitue un facteur de risque supplémentaire très important en cas de canicule. « La surmortalité a été plus importante à domicile qu’en institution et a touché les célibataires, veufs et divorcés plus que les sujets mariés. Ceci évoque une fois de plus le rôle joué par le facteur d’isolement dans la mortalité », soulignait l’Institut de veille sanitaire (InVS), dans une étude publiée en 2006. Le dispositif de recensement par les collectivités des personnes vulnérables isolées pour leur venir en aide grâce notamment au concours des services d’accompagnement à domicile et des réseaux de solidarité est l’un des piliers du plan national « canicule ». Mais sur ce plan, des améliorations restent à faire.

« L’expérience montre que peu de partenaires des centres communaux d’action sociale (CCAS) ont connaissance de l’obligation qui incombe aux maires de constituer des registres. Ce travail repose bien souvent uniquement sur les communes ou les CCAS-CIAS qui se sentent parfois démunis et isolés. Les CCAS ont intérêt à communiquer plus largement en direction des partenaires. Ces derniers peuvent en effet constituer des relais importants pour rappeler l’existence des registres et mieux détecter les situations des personnes fragiles et isolées. Les règles d’inscription par un tiers méritent également d’être mieux expliquées », soulignait, en 2016, l’Union nationale des centres communaux et intercommunaux d’action sociale (Unccas) dans son guide intitulé « La mise en œuvre du dispositif “canicule” par les CCAS-CIAS ». Et d’ajouter : « Avec les années, la taille de certains registres s’est considérablement accrue et leur traitement par les CCAS est devenu fastidieux (certaines personnes inscrites une année ont oublié qu’elles étaient inscrites et partent en vacances ou bien n’ont pas signalé leur déménagement…). Le fichier peut devenir rapidement obsolète. »

La canicule du mois d’août 2003 aura mis en lumière les carences du système de santé. Alors que le réchauffement climatique augure des épisodes caniculaires plus fréquents, plus intenses, plus longs. « Il n’est pas certain que nous soyons capables de faire face demain à une nouvelle canicule, pour peu qu’elle prenne un tour différent », met en garde le professeur San Marco.

Le pire est-il à venir ?

Pour la première fois en 2018, et à l’avenir, le dispositif de surveillance saisonnière est activé du 1er juin jusqu’au 15 septembre. La raison ? « L’historique des vagues de chaleur depuis 2003 montre une modification dans la survenue, l’intensité et l’extension de ces phénomènes. Ces trois dernières années se distinguent notamment par des épisodes précoces ou tardifs avec des vagues de chaleur de début juin à mi-septembre », explique l’instruction interministérielle du 22 mai 2018 relative au plan national « canicule » 2017 reconduit en 2018.

« En 2016, pour la première fois, des canicules ont été observées au mois de septembre. En 2003, 2006, et 2017, plus de 90 % de la population métropolitaine a été concernée par au moins une canicule. Les canicules des années précédentes n’avaient jamais touché plus de 60 % de la population métropolitaine », souligne Santé publique France, l’agence nationale de santé publique. Et d’avertir : « Depuis 1947, aucune canicule n’a égalé la durée, et l’intensité de celle de 2003. Dans un contexte de changement climatique, des événements aussi graves que la canicule de 2003 se produiront de plus en plus fréquemment. Si les émissions de gaz à effet de serre, responsables de l’augmentation des températures, ne sont pas réduites, des canicules plus intenses et d’une durée cinq fois plus longue que celle de 2003 pourraient survenir en France. »

Notes

(1) A publié Canicule et froid hivernal : comment se protéger ? – Editions du Rocher – 17,90 €.

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