Les EHPAD ne vivent pas en autarcie, ce qui influe sur eux, c’est aussi ce qui influe la société. La commission des lois de l’Assemblée nationale fait toujours le point en fin d’année en constatant qu’il y a trop de lois et qu’on en fera moins l’année prochaine. L’Etat essaie sans cesse de régler essentiellement par le juridique des problèmes qui ne peuvent pas être réglés uniquement par le juridique.
On est très ambivalents dans notre société par rapport au risque. Il y a une inflation de la réglementation par rapport à la sécurité et en même temps les individus sont assez rétifs là-dessus. Je pense que l’on confond le principe de précaution et le principe de prévention. Si dans un établissement, une personne fait une « fugue », l’établissement va mettre en place des mesures de contrôle pour l’ensemble des résidents. Pour une personne qui est sortie, on va en « condamner » 60 ou 80 à rester à l’intérieur. Le principe de précaution, c’est cela. Le principe de prévention est tout autre. Il revient à se questionner sur les raisons de la sortie du résident et à trouver les précautions individuelles pour cette personne en particulier. Il ne faut pas perdre de vue que la notion de « risque » varie d’un individu à l’autre. Les résidents ne sont pas des clones, et chacun a eu tout au long de sa vie une manière de prendre des risques mais ils se trouvent confrontés à la même règle générale de l’établissement qui sera celle du seuil d’acceptation du risque à l’intérieur de l’institution. Mais quand on annihile un risque, on en crée un nouveau.
Imaginez-vous vivre dans un environnement entièrement mort-né. Ce n’est plus la vie ! On ne fait pas la différence entre qualité et qualité de vie. Selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé, la qualité de vie est la perception qu’a un individu de sa place dans l’existence, dans le contexte de la culture et du système de valeurs dans lesquels il vit. A chaque fois que l’on fait enfler les normes de qualité des institutions, on s’éloigne de ce qui, normalement, est le but de l’établissement : trouver une certaine qualité de vie pour les personnes hébergées.
Les familles ont peur car elles ne connaissent pas le fonctionnement de l’établissement. Les établissements n’ont pas réellement pris en compte les familles. Elles sont satellisées autour de l’établissement. Les EHPAD auront toujours des problèmes avec les familles des résidents tant qu’elles n’auront pas été réellement intégrées dans le fonctionnement institutionnel. On est aujourd’hui sur un processus d’opposition, de défiance réciproque, alors qu’en réalité les intérêts des établissements et des familles sont quasiment les mêmes.
Oui, il existe encore des marges de manœuvre. Ce serait terrible d’imaginer que seule la réglementation ferait fonctionner des lieux dans lesquels des personnes vivent. Le jour où les résidents auront le sentiment de ne plus avoir d’espace de liberté, on entrera de plain-pied dans la maltraitance. L’éthique requiert une marge de manœuvre.
Dans le volet 4 de sa recommandation sur la qualité de vie en EHPAD, publiée en novembre 2012, l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) appelait les professionnels à « poser clairement les responsabilités de chacun dans les risques que veut prendre le résident ». Les directeurs sont les pilotes de l’établissement et ils peuvent faire varier le delta, décider dans quelle mesure le personnel peut prendre un peu de lest par rapport à la réglementation et en prendre la responsabilité. Ce qui va changer la donne, c’est la capacité d’un directeur à donner, sous son autorité, une marge de manœuvre à ses équipes. Est-ce que le directeur est le joug ou est-ce qu’il est le bouclier auprès du personnel ? D’un établissement à l’autre, la situation peut varier.