On s’interrogeait, il y a quelques semaines, dans ces colonnes, sur le fait de savoir si Emmanuel Macron était bismarckien ou beveridgien, c’est-à-dire si, en matière de protections sociale, il était favorable à un système géré par les partenaires sociaux ou par l’Etat. Depuis le 9 juillet, on a la réponse : il est beveridgien. A l’occasion de son discours « sur l’état de l’Union », plus sérieusement devant le Congrès réuni à Versailles, le chef de l’Etat a dévoilé son jeu et abattu ses cartes.
En quelques phrases, il a tout simplement mis à terre tout le modèle social français né après la guerre sur la base du programme du Conseil national de la Résistance (CNR), créé par le général de Gaulle. Ce système est – ou était – fondé sur une gestion paritaire entre le patronat et les syndicats et sur un financement collectif assis, pour l’essentiel, sur des cotisations sociales imputées sur le travail. En affirmant que « la solidarité est toujours financée par l’impôt », le président a dynamité tout l’édifice, et cela impacte aussi bien la santé, la retraite, le chômage que la prise en charge du vieillissement et de la dépendance.
Et cette rupture historique est fondée sur l’observation d’un profond changement de l’ordre économique et social. Nous sommes passés d’un modèle fondé sur l’emploi et l’intégration à un modèle darwinien dans lequel l’exclusion est, si l’on peut dire, la règle du jeu.
Le Président a expliqué que le temps des statuts protecteurs, du plein emploi et de la linéarité des carrières est terminé. En effet, la vie est désormais faite d’aléas, de changement d’emploi, quand ce n’est pas de perte durable d’emploi et de changement de statut. On passe de salarié – CDI, CDD ou petits boulots – à free-lance, indépendants véritables ou auto-entrepreneurs hybrides, pour éventuellement revenir à la case départ. Ces parcours chaotiques sont difficilement compatibles avec la multiplicité des statuts professionnels et des différences de droits. Il faut adapter le système à cette flexibilité. A moins que l’objectif soit de casser les statuts pour accroître la flexibilité.
Dans ce nouveau monde, il faut être forts, souples et adaptables, savoir naviguer en haute mer et affronter les tempêtes de la vie.
Dans ce nouveau monde, les populations les plus fragiles ne peuvent pas, par définition, intégrer un système dans lequel les droits acquis résultent d’une contribution. Il appartient à l’Etat d’assurer ce rôle protecteur et de lancer ses filets pour rattraper ces exclus. Le président ne parle d’ailleurs plus de protection sociale, mais d’Etat providence. Un glissement sémantique qui en dit long. Encore un effort et Emmanuel Macron proposera le revenu universel…
Mais la question est de savoir s’il faut se réjouir que le Président adapte le système à ce nouveau monde ou regretter qu’il n’essaie pas de revenir à un modèle plus intégrationniste et moins darwinien.