« Il est difficile de ne pas être dans la tourmente ou la passion quand on en vient à débattre de ces sujets », concède Bruno Lasserre, vice-président du Conseil d’Etat. « Ces sujets », ce sont les thèmes de la bioéthique autour desquels les clivages ont eu l’occasion de s’exprimer ces derniers mois lors des débats citoyens organisés par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Thèmes dont le Conseil d’Etat a été saisi par le Premier ministre Edouard Philippe, en décembre 2017, dans le cadre d’une demande de cadrage juridique préalable à la révision septennale de la loi de bioéthique. Les résultats de ses travaux, soit l’étude « Révision de la loi de bioéthique, quelles options pour demain ? », ont été remis au Premier ministre le 6 juillet et rendus publics le 11 du même mois.
Comme pour légitimer le rôle des sages du Palais-Royal dans ce processus législatif, Bruno Lasserre affirme que « le débat citoyen se concentre plus sur les questions de société que sur les avancées scientifiques qui sont plus difficiles à débattre. Cette révision est souvent vue comme une obligation de changer la loi alors qu’il s’agit juste de débats. Ce rapport présente les différentes options sans choisir parmi elles, avec des arborescences pour toutes les conséquences qui en découlent. » Une neutralité affichée que le vice-président de la Haute Juridiction administrative nuance immédiatement : « Nous fermons certains choix comme la grossesse pour autrui car ils percuteraient le modèle éthique à la française, en venant notamment se heurter au principe de dignité, qui se traduit par l’extra-patrimonialité et l’inviolabilité du corps humain. »
Ce maintien du cadre juridique existant est également recommandé pour la fin de vie. « La volonté du patient prime sur la poursuite des traitements qui permettent le maintien de la vie, sans que cela soit une aide au suicide ou une euthanasie », détaille Clément Malverti, maître des requêtes. « Les soignants ont du mal à comprendre le cadre juridique, mais c’est à eux de faire évoluer leurs pratiques. »
Toujours sous les oripeaux de la neutralité, Bruno Lasserre aborde l’épineuse question des tests prénataux : « Porter un enfant, c’est une espérance, ça ne doit pas devenir une angoisse. » Avec l’essor du séquençage haut débit dans le cadre médical, le Conseil d’Etat pointe les risques d’eugénisme et d’interférence entre les couples dont l’enfant serait porteur de certains gênes. Il estime que même en envisageant un assouplissement de la réglementation, des garde-fous comme l’interdiction des tests pour autrui, ou celle, pour l’employeur et l’assureur, de prendre en compte ce type d’examen, doivent subsister.
Concernant l’assistance médicale à la procréation, Laurence Marion, conseillère d’Etat et rapporteur général, rappelle que rien n’oblige à la modification des dispositions actuelles, car « il n’existe pas de droit à l’enfant en droit français » qui imposerait au législateur de supprimer la condition de stérilité pathologique du couple qui souhaite y avoir recours. Ce sera donc au politique de faire un choix, étant préconisé, si l’ouverture est retenue, un « régime spécifique d’établissement du lien de filiation par une déclaration commune anticipée avant la naissance pour les deux mères ». Aucun argument juridique n’est également relevé pour trancher la question de l’autoconservation ovocytaire en faveur des femmes qui veulent entreprendre un projet de création post-ménopause : le Conseil met simplement en balance le côté émancipatoire de la mesure avec les pressions possibles de l’employeur pour provoquer le retardement de la grossesse. Sur l’anonymat du don de gamètes, il considère possible pour les enfants nés par ce procédé d’accéder au moment de leur majorité à l’identité du donneur si celui-ci y consent, et si son anonymat a été préservé au moment de la donation pour éviter toute tentation de sélection.