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Une Remise en jeu par le sport

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A Quimperlé et Lorient, en Bretagne, un dispositif porté par l’association Remise en jeu et les missions locales utilise le sport comme vecteur d’éducation, d’insertion sociale et d’accès à l’emploi auprès de jeunes en difficulté. Une porte ouverte et une action territoriale expérimentale pour lesquelles le sur-mesure est la clé du succès.

Sur le pas de tir verdoyant et fleuri, les visages sont concentrés, les corps bien droits, tous alignés. Casquette et capuche de sweat sur la tête, Alan tire sur la corde de son arc et décoche sa flèche. Droit dans la cible, 15 mètres plus loin. « Tu as fait fort, tu as presque gagné », le félicite Thomas Loaëc, éducateur spécialisé, qui prodigue aussi ses encouragements aux quatre autres jeunes qui participent à cette séance matinale à Quimperlé (Finistère). Tous ont entre 16 et 25 ans. En manque de repères, ils sont éloignés du monde de l’emploi ou décrocheurs scolaires. Depuis le mois de novembre, ils prennent part à une action territoriale expérimentale portée par la mission locale et l’association Remise en jeu. Objectif : se réinsérer grâce au sport. Et surtout se remobiliser. Ces jeunes qui présentent un cumul d’échecs – scolaire, professionnel, familial et/ou social – ont en effet perdu toute confiance en eux et dans le monde qui les entoure. « Nous sommes là pour leur donner une seconde chance, explique Thomas Loaëc. Faire en sorte que certains se lèvent le matin est un défi quand ils n’ont pas suivi une scolarité normale. On leur donne un cadre pour qu’ils puissent se confronter ensuite au monde du travail. »

Du foot, mais pas seulement

Le dispositif, qui se décline dans les deux villes bretonnes de Lorient et Quimperlé, concerne chaque année 30 stagiaires. Il donne des résultats intéressants, avec entre 80 et 85 % de retour à l’emploi ou à la formation. Robert Salaün, 72 ans, est la clé de voûte du projet. Cet ancien footballeur, qui a entraîné les équipes d’Angoulême, de Poitiers ou de La Rochelle, a également mené de front une carrière de professeur d’EPS et de responsable d’institut médico-éducatif (IME). « Avec un collègue, en 2004, nous avions eu l’idée d’utiliser le football pour faire de la réinsertion », explique le septuagénaire en survêtement et chaussures de sport.

Le dispositif a d’abord été monté à Cognac (Charente) et en région parisienne, à La Courneuve. C’est là que Christian Gourcuff, ancien entraîneur de l’équipe professionnelle du FC Lorient (les Merlus), a découvert l’initiative. Il s’est tout de suite montré intéressé pour la mettre en place à Lorient. Une première antenne y a donc vu le jour en 2011, suivie par celle de Quimperlé en 2016. Parrainée par la Fédération française de football par le biais de l’antenne de l’Union nationale des entraîneurs et cadres techniques du football français (Unecatef) du Finistère, l’association est aujourd’hui hébergée dans les locaux du stade du Moustoir de Lorient. Elle s’appuie sur quatre salariés, deux emplois d’avenir et une psychologue vacataire. L’enveloppe budgétaire qui lui est allouée s’élève à 100 000 € par an. Les financements proviennent de la région Bretagne, des départements et des deux collectivités qui mettent à disposition leurs locaux et infrastructures. La formation de sept mois s’appuie sur une pratique du sport quotidienne. Du foot, mais pas seulement. De la boxe, du tir à l’arc et également du golf. A chaque discipline, ses vertus. « Les sports collectifs permettent notamment de travailler la gestion émotionnelle, remarque Morgane Vanhaelen, psychologue vacataire de l’association. Nous sommes tous soumis à la frustration dans notre vie quotidienne et la tolérons plus ou moins. Sur le terrain de foot, par exemple, certains stagiaires font des crises de colère au départ. L’équipe est là pour les aider à dépasser cela. » Le but est d’obtenir du jeune une évolution de son comportement sur le terrain directement transposable dans sa vie sociale et professionnelle. « La base de toute éducation devrait être l’éducation physique, affirme Robert Salaün. Un jeune qui a un ballon dans les pieds a le même problème à régler que celui qui écrit : ils doivent tous les deux projeter une trajectoire. »

Agir comme un déclic

Les après-midi sont généralement consacrés à la remise à niveau en français, en mathématiques, en histoire-géographie ou, plus rarement, à des visites de musées et à des sorties au cinéma ou à la patinoire. La formation intègre aussi un volet plus professionnel, avec des stages en entreprise. Les deux missions locales partenaires font bénéficier les jeunes de leur réseau, les aident à rédiger leur CV et les préparent aux entretiens. Nul besoin de savoir jouer au foot pour intégrer la formation. Les stagiaires envoyés par la mission locale n’ont pas vocation à devenir des champions. « Nous orientons vers Remise en jeu des jeunes qui s’inscrivent chez nous et qui n’accrochent pas aux propositions habituelles qu’on leur fait, explique Hélène Guiziou, responsable de l’antenne de Quimperlé. Ils ont souvent du mal à se projeter dans une formation classique, qui évoque pour eux les bancs de l’école avec laquelle ils ont eu des rapports difficiles. »

« S’en sortir est un choix de vie »

Lors de la première session de 2016-2017, parmi les participants, 75 % n’avaient aucun diplôme. Cette année, ils sont 71 %. « On s’est dit que proposer une activité sportive pouvait être un bon déclencheur pour eux », estime Hélène Guiziou. Malgré la dominante « foot », la formation est mixte. A Quimperlé, cette année, 4 stagiaires sur 15 sont des femmes. C’est le cas de Sarah, 21 ans, originaire de Concarneau. « Le foot, ce n’est pas trop ma tasse de thé, mais je fais de la boxe deux fois par semaine », souligne la jeune femme, qui compte sur Remise en jeu pour l’aider à devenir matelot en Bretagne. Il y a aussi Agathe, 19 ans, qui cherche à rebondir après avoir fait une croix sur son rêve de travailler comme maître-chien dans l’armée. « C’était trop dur pour elle physiquement, elle va faire un stage en grande surface », explique Robert Salaün. Certains jeunes sont des réfugiés en situation régulière, comme Abdullah, 25 ans, originaire d’Afghanistan. Boulanger dans son pays, il a logiquement demandé un stage dans ce domaine. Malheureusement, cela ne s’est pas bien passé : « On ne m’a pas fait faire de pain, juste le ménage », relate-t-il. Pas question pour autant de baisser les bras. « On va explorer une autre possibilité avec lui, peut-être dans la boucherie », assure Robert.

Sur le pas de tir, les salves s’enchaînent et les éducateurs montrent l’exemple. Parmi eux, Kodjovi Dodji Obilalé, qui travaille depuis 2013 pour l’association à Lorient. Celui-ci décide de s’octroyer une pause et s’assoit pour reposer ses jambes. Les béquilles avec lesquelles il se déplace témoignent d’un passé douloureux. Cet ancien footballeur semi-professionnel fut autrefois gardien de but pour la sélection nationale du Togo. Sa vie a basculé le 8 janvier 2010, lors de la Coupe d’Afrique des nations. Ce jour-là, le car de la sélection togolaise est mitraillé par un mouvement armé indépendantiste. Deux membres du staff décèdent. Kodjovi, lui, reçoit deux balles dans le dos. Après une hospitalisation en Afrique du Sud et une longue rééducation au centre mutualiste de Kerpape, un établissement de soins de suite et de réadaptation (SSR) de Lorient, il a passé un diplôme d’éducateur spécialisé et intégré l’association. Adieu les rêves de gloire et de ballon rond. « Je ne voulais pas rester à pleurer à la maison, donc j’ai décidé de travailler avec eux, raconte-t-il. Ce boulot m’a aidé à remonter la pente. Du fauteuil roulant, je suis passé aux béquilles. Je me sens utile. Les stagiaires m’apportent autant que je leur apporte. » Il se réjouit notamment d’avoir pu aider un jeune footballeur béninois qui s’était retrouvé à la rue après avoir été lâché par son centre de formation français. « Je l’ai aidé à maintenir le cap quand il voulait abandonner et rentrer au pays. Aujourd’hui, il a décroché un contrat à durée indéterminée de fileteur et il est très heureux. » L’éducateur se sert de sa propre expérience pour remobiliser les jeunes. « Je leur raconte mon histoire, mon enfance difficile, la fusillade. Ça leur permet de se remettre en question. Si j’ai réussi à me relever, ils peuvent aussi le faire. C’est une question de patience. Je leur fais savoir la chance qu’ils ont d’être dans un aussi beau pays où des gens leur tendent la main. S’en sortir, c’est un choix de vie. Il faut rester positif, ne pas rejeter la faute sur les autres. »

La séance de tir à l’arc se termine sous le soleil et dans la bonne humeur. Chacun commente ses performances et se met au défi de faire encore mieux la prochaine fois. « Le sport, ça vide la tête quand on a des soucis. Les jeunes se sentent mieux dans leur peau », remarque l’éducateur spécialisé Thomas Loaëc en rangeant le matériel.

Un suivi individualisé

Après la pause déjeuner, les stagiaires de Quimperlé se retrouvent pour un après-midi plus studieux dans une salle mise à disposition par la commune. L’éducateur distribue les feuilles d’exercice. A chaque stagiaire, son programme personnalisé, car leur niveau est très différent. Certains sont allés jusqu’en terminale, tandis que d’autres ne savent pas lire. Ici, pas de notes, ni de classement. « Quand ils arrivent chez nous, ils ont en général tout raté, donc on positive tout. Au lieu de compter les dix mots où il y a une faute, par exemple, on compte les cinquante où il n’y en a pas, explique Robert Salaün. Même quand ils font un exercice, ils ont les solutions à disposition sur la table. » Alan, toujours la casquette et la capuche sur la tête, planche sur l’histoire contemporaine. Sarah, elle, préfère aider Sulliman, 21 ans, maillot du Stade rennais sur le dos, qui apprend à écrire l’heure en français. Arrivé en France en juin 2016, ce jeune Soudanais veut mettre toutes les chances de son côté en suivant un stage de peinture en bâtiment, un secteur qui recrute.

A l’autre bout de la salle, Flora, 17 ans, fait distraitement des exercices de mathématiques. « On va la faire bosser, si elle est motivée », suggère Thomas Loaëc. En l’occurrence, pas vraiment… Son truc, à Flora, c’est le foot. Elle préfère aller jongler habilement avec un ballon à l’extérieur de la salle, sous le regard bienveillant de Robert Salaün. « Faut que j’arrête de fumer, Robert », plaisante-t-elle, une cigarette à la main. « Cela fait six mois que je te le dis, lui répond le septuagénaire. Sinon, tu ne pourras pas jouer à un bon niveau. » Flora a déjà eu la chance de s’entraîner plusieurs fois avec l’équipe féminine du FC Lorient. « Au foot, il n’y a aucun problème, elle est très douée. Le souci, c’est le comportement. » Avant cet après-midi, cela faisait une semaine que Flora n’avait pas mis les pieds à la formation. En situation de rupture familiale, elle a vécu à Brest dans la rue durant un an, avant d’être placée en foyer.

« Il y a de l’absentéisme, mais c’est normal, affirme Hélène Guiziou, responsable de la mission locale. Beaucoup de jeunes ont des parcours de vie chaotiques, avec des obstacles d’ordre social, familial, psychologique qui parfois se cumulent. On ne leur ferme jamais la porte. Ils ne sont ni jugés, ni exclus. Durant ces sept mois, ils prennent confiance en eux en s’investissant à leur rythme. Ils ont la possibilité de se perdre pour mieux revenir. » Il y a d’ailleurs très peu d’abandons en cours de route. Aucun la première année à Quimperlé, deux cette année.

Un premier bilan positif

Chaque cas étant différent, le suivi est très individualisé. « Nous n’avons pas 15 stagiaires mais 15 fois un stagiaire », aime à rappeler Robert Salaün, pour qui sa mission ne semble pas s’arrêter aux heures ouvrables. « L’année dernière, au bout d’une semaine, nous nous sommes aperçus que quatre stagiaires dormaient dans la rue. La mission locale ne le savait pas. On a dû leur trouver un hébergement. On travaille aussi avec les Restaurants du cœur et la Banque alimentaire. C’est vraiment une prise en charge globale. » De fait, l’association est régulièrement en lien avec plusieurs partenaires tels que l’aide sociale à l’enfance (ASE), la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ou les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). « Il m’arrive parfois de recevoir un coup de fil quand l’un d’eux est en garde à vue. On a un seuil de tolérance assez haut », glisse Robert en souriant.

Un tiers des stagiaires ont déjà eu affaire à la justice. Ils en gardent généralement un mauvais souvenir. Cette année, Robert Salaün a donc décidé de créer un module « citoyenneté ». Tous les vendredis, un officier de gendarmerie à la retraite, habillé en civil, vient discuter avec les stagiaires à propos de la loi. « Ils posent beaucoup de questions. Cela leur permet d’avoir un rapport différent à la justice et aux forces de l’ordre. » Patience et écoute sont les maîtres-mots. « Il faut lutter contre nos propres préjugés, remarque Kodjovi Dodji Obilalé. Derrière toute réaction de prime abord incompréhensible se cachent des blessures. » S’ils le désirent, les stagiaires peuvent bénéficier d’un soutien psychologique. « En général, je rencontre les jeunes en début de formation pour savoir ce qu’ils en attendent, connaître leur motivation. Ils savent aussi qu’ils peuvent me solliciter s’ils ont des difficultés. Le suivi peut dans certains cas être plus régulier. Au besoin, je renvoie aussi vers des structures spécialisées, notamment sur des problématiques addictives », explique Morgane Vanhaelen, la psychologue. Cette dernière revoit les stagiaires en fin de session pour faire le point sur la manière dont la formation les a aidés, sur les compétences acquises et comment ils pourront les réutiliser. Une manière de prendre du recul sur le chemin parcouru.

Au bout d’un an et demi, le bilan est pour le moment positif du côté de la mission locale de Quimperlé. « Le principal intérêt de cette formation est de revaloriser les jeunes, et ça fonctionne », salue Hélène Guiziou. Pour justifier son appréciation, elle s’appuie sur des indicateurs qualitatifs : « La façon de se comporter dans un groupe ou de gagner en autonomie, ce n’est pas une donnée quantifiable, mais c’est très important. » Après la première session de l’année passée, les jeunes ont continué à s’investir dans la construction de leur parcours. Quatre stagiaires ont, par exemple, accepté de suivre une prestation préparatoire à l’insertion durant six mois. Une proposition qu’ils avaient refusée quand elle leur avait été présentée une première fois. Des stagiaires ont opté pour la garantie jeunes, sont partis en apprentissage, tandis que d’autres ont commencé à passer le permis de conduire. « Ils ont développé leur envie et veulent reprendre leur vie en main, estime Hélène Guiziou. La différence fondamentale avec leur arrivée dans le dispositif, c’est qu’ils se mettent en route. » Ce n’est pas Anthony, 23 ans, qui dira le contraire. Le jeune homme au sourire timide faisait partie des 15 jeunes suivis par Remise en jeu l’année dernière à Quimperlé. « Après avoir arrêté l’école en troisième, j’avais un peu baissé les bras, je traînais dehors », raconte-t-il. La formation l’a remis sur les rails. Grâce au football, il a réappris certaines valeurs comme le respect, la ponctualité mais aussi la confiance en soi. Il est aujourd’hui stagiaire en alternance chez Remise en jeu et prépare le brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport (BPJEPS) afin de devenir éducateur sportif. « Comme je suis passé par là, ça me donne envie à mon tour d’aider d’autres personnes grâce au sport. »

Un réseau national de coachs

Le 27 mars 2018, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), l’Agence pour l’éducation par le sport (APELS) a lancé le réseau national des « Coachs de l’insertion par le sport ». Elle invite à y participer tous les éducateurs, entraîneurs, professeurs d’EPS, bénévoles, salariés du sport qui accompagnent depuis des années des publics qui décrochent, sans emploi, sans qualification, dans les quartiers populaires. Cette initiative s’inscrit dans le prolongement du programme « Déclics sportifs » qui, depuis trois ans, met des jeunes déscolarisés détectés par les clubs locaux en contact avec des entreprises qui diversifient leurs recrutements. Au terme d’un stage de trois semaines puis de plusieurs mois de formation, ces jeunes, épaulés par des tuteurs, trouvent un emploi dans 80 % des cas. Dans son rapport sur les banlieues remis à la fin avril au Premier ministre, Jean-Louis Borloo appelait au recrutement de 5 000 coachs d’insertion par le sport.

Reportage

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