Si l’on en doutait encore, cette 11e édition des Assises nationales de la protection de l’enfance, l’a cruellement rappelé : le désarroi des professionnels est bel et bien une réalité. Et l’événement en a fait les frais dès l’ouverture. Non contents d’avoir négocié une dizaine de minutes d’expression à la tribune, les syndicats, réunis sous la bannière du Collectif de la protection de l’enfance en Loire-Atlantique et rejoints par des salariés du Maine-et-Loire, ont livré un bras de fer avec les forces de l’ordre. Pendant deux heures, tout accès à la Cité des congrès est resté interdit, pour les manifestants comme pour les congressistes. Au cœur des revendications : le manque de moyens, le délitement des conditions de travail et la logique des appels à projet qui concourt, selon eux, à une « marchandisation » de la protection de l’enfance. « Nous sommes loin de la notion de “respect des besoins fondamentaux de l’enfant” », note le collectif, qui réclame notamment la création de places d’accueil et d’hébergement dans les établissements. A l’intérieur de la Cité des congrès, les organisateurs bouillent. Et les premières plénières débutent en l’absence des participants qui n’ont pu rejoindre les lieux avant le blocage. Non sans amertume et avec une bonne heure de retard. « Il y a huit ans, les assises portaient sur le désarroi des professionnels, alors qu’on ne nous disent pas qu’on n’a pas conscience de cette souffrance », lâche au micro Jean-Louis Sanchez, directeur du Journal des acteurs sociaux (JAS) et délégué général de l’Observatoire national de l’action sociale (ODAS).
Le blues des professionnels ? Cette 11e édition des assises s’en est fait l’écho, en détaillant les résultats de l’enquête nationale sur la protection de l’enfance, réalisée, pour l’occasion, par l’ODAS et le JAS. Près de 63 % des professionnels interrogés se disent inquiets quant aux objectifs visés par la protection de l’enfance. En 2017, ils n’étaient que 41 % à partager ce sentiment. « Que s’est-il passé en une année pour saper à ce point le moral des acteurs de la protection de l’enfance ? », interroge Marie-Agnès Feret. La chargée d’études à l’ODAS avance des hypothèses : « En 2016, les débats parlementaires sur le sujet ont pu susciter de l’espoir ; la disparition, l’année suivante, d’un ministère dédié à l’enfance, la situation financière des départements et la délicate prise en charge des mineurs non accompagnés expliquent peut-être ces réponses pessimistes. »
La question des moyens, comme le dénoncent les syndicats, n’y est pas étrangère, bien sûr. Dans son rapport annuel, publié en mai, sur les dépenses des départements en matière d’action sociale, l’ODAS parle d’un « effritement inquiétant de leurs marges de manœuvre ». Les dépenses des départements augmentent peu (1,4 % sur l’aide sociale à l’enfance) mais leurs responsabilités, notamment avec l’accueil de jeunes migrants, ne cessent de croître. Faut-il en faire une pierre d’achoppement ? « Partageons une donnée : les ressources sont comptées. A partir de là, construisons les choses », exhorte Didier Lesueur, le directeur général de l’ODAS, qui évoque trois pistes d’avenir : la nécessité de partager les observations, de coopérer entre institutions sans se replier sur les cœurs de métier de chacun et le fait de dégager des innovations à partir des dynamiques collectives. Et il en faudra des dynamiques collectives pour modifier une autre tendance : l’inquiétude des professionnels quant à l’avenir de la jeunesse en France. Selon l’enquête de l’ODAS et du JAS, 68 % d’entre eux se disent inquiets pour le futur de cette population. « C’est inquiétant de voir que les professionnels n’aient pas confiance dans la jeunesse, note Jean-Louis Sanchez. Et c’est dommage que les pouvoirs publics n’en prennent pas conscience. Il faut réinventer la protection de l’enfance ! »