Marcel Nuss : En mars 2015, un arrêt du tribunal de grande instance de Strasbourg a été rendu en notre faveur. Ce référé nous a permis de lancer la première formation d’accompagnants sexuels, ce qui n’existait pas avant. Les choses évoluent depuis, car aujourd’hui plusieurs associations (CH(S)OSE et Corps Solidaires) proposent ce type de formations. Nous ne sommes plus les seuls. Depuis trois ans en France, l’accompagnement sexuel est devenu une réalité car il est pratiqué aux quatre coins du pays. Mais si nous voulons faire reconnaître l’accompagnement sexuel dans une France aveugle et hypocrite, il nous faut respecter un cadre très strict. C’est pour cette raison que nous ne l’organisons pas n’importe comment et pas par n’importe qui. La preuve, personne ne nous a attaqués. On est doté d’un service juridique, une avocate a rejoint notre combat. Tout est encadré pour que nous ne soyons pas attaquables.
M. N. : Je ne peux parler qu’au nom de l’Appas. Depuis 2015, nous avons formé 53 professionnels et recensé pas moins de 1 100 demandes. Le besoin est bien réel, personne ne peut le nier. Ce qui est nouveau en revanche, c’est le nombre de femmes qui expriment leur volonté de bénéficier de cet accompagnement. Le taux est passé de 5 % à 10 % en 2018.
M. N. : La demande vient parfois des professionnels, on est d’ailleurs en contact avec des gestionnaires d’établissements. Certes, de plus en plus d’associations et d’établissements médico-sociaux se sont saisis de ce dossier, mais certains le font pour leur image. Beaucoup en parlent, certains sont sincères et vont plus loin que le simple fait d’en parler, mais pas tous, pas encore. Il reste à obtenir une légalisation. Nous demandons une exception à la loi sur le proxénétisme pour les associations qui travaillent dans le champ de l’accompagnement sexuel pour favoriser un cadre protecteur et des contrôles avec la volonté de protéger autant les personnes en situation de handicap que les accompagnants.
M. N. : Il y a eu deux périodes : les années 2005-2010 où nous avons pu compter sur des soutiens politiques chez des sénateurs, des députés et même au niveau du Gouvernement, mais depuis 2012, on observe un vrai recul avec des ministres tous unanimement contre la légalisation de l’accompagnement sexuel pour les personnes en situation de handicap. Le Gouvernement actuel reste silencieux malgré mes sollicitations. J’ai envoyé mon dernier ouvrage (voir encadré) à Sophie Cluzel, la secrétaire d’État et à Brigitte Macron, mais je n’ai reçu aucun retour. J’ai seulement eu des réponses de Laurent Fabius et de Jacques Toubon, le Défenseur des droits. Un des adjoints de M. Toubon s’intéresse véritablement à ce dossier. Nous espérons bien sûr une réponse positive mais, dans tous les cas, c’est une première avancée réelle. Le problème reste que nous n’avons pas de moyens, pas d’argent, rien… Uniquement le soutien de nos adhérents. Autant dire que c’est difficile et on ne peut rien prévoir malgré tous nos projets. Peut-être que les politiques et d’autres espèrent que nous allons être asphyxiés financièrement parlant et que l’association s’arrêtera d’elle-même. Mais nous restons combatifs face à la souffrance des personnes que nous défendons.
M. N. : Les résultats sont parlants en termes de bien-être. Les personnes s’épanouissent, certaines rencontrent ensuite l’amour, car enfin elles osent, elles retrouvent confiance en elles-mêmes. L’accompagnement sexuel est un passage et non une fin en soi sauf pour des personnes dans des situations très précises où on sait qu’il n’y aura jamais d’ouverture possible. D’où ma volonté de dénoncer l’hypocrisie du pays.
M. N. : J’en parle régulièrement. Le sujet est un vrai scandale. Dans le champ du handicap, les gouvernements se taisent ou font mine de s’intéresser le temps que le scandale qui les motive retombe, alors que le médico-social en est infesté ; laissant ainsi penser qu’une femme ou un homme avec un handicap n’est pas un être humain à part entière, donc qu’il n’y a pas urgence. D’après une étude assez ancienne, 25 % de femmes en situation de handicap risquent d’être soit violées, soit abusées sexuellement ou maltraitées contre 15 % pour les hommes. Beaucoup de femmes que je rencontre, me le confient. Elles sont détruites d’autant plus que c’est assez vicieux, notamment dans les actes de la vie quotidienne, quand elles se font déshabiller, laver ou essuyer les parties intimes. Il y a des regards dégradants aussi. Comment peuvent-elles se défendre ? La chape de plomb est totale. En France, c’est un sujet accessoire qui n’est pas suffisamment débattu. À quoi sert Madame Cluzel alors qu’elle vient du milieu associatif ? Qu’a-t-elle fait alors qu’elle connaît la réalité de ce qui se passe sur le terrain. J’aurais espéré beaucoup mieux et plus de sa part. Je suis déçu par son non-positionnement, du moins officiel, sur ces sujets qui devraient être des priorités. Je, parle sans cesse de la souffrance car la souffrance de tout un chacun devrait être une priorité. Un Gouvernement doit penser à l’intérêt général.
M. N. : Non, je connais la France. J’ai déjà mené des combats, je sais comment ça se passe. En 2007, j’avais fait la promesse que l’accompagnement sexuel serait une réalité en France, ce qui est le cas. J’ai tenu parole, même s’il manque la reconnaissance. L’enjeu est aussi financier pour que l’association se développe dans de meilleures conditions. Aujourd’hui, des centaines de personnes bénéficient de l’accompagnement qui n’était pas possible avant. C’est une étape. Maintenant la présidence de l’association en septembre sera prise par Laëtitia Rebord, une femme en situation de handicap, qui a bénéficié un temps de l’accompagnement sexuel, et qui est aujourd’hui en couple. J’espère qu’elle pourra débloquer la situation, que l’association prendra un nouveau virage sous son impulsion. Qu’une femme soit à la tête de l’association pour mener ce combat est loin d’être anodin ou simplement symbolique, nous défendons des droits humains, notamment le droit à la santé sexuelle, prônée par l’OMS depuis 2002. Notre cause ne doit pas être personnalisée par moi, je ne suis que le détonateur, celui qui a donné l’impulsion, derrière moi, je ne suis pas le seul à pouvoir mener ce combat jusqu’au bout et à pouvoir le faire fructifier.
L’Association pour la promotion de l’accompagnement sexuel (Appas) a fait paraître en novembre 2017 aux éditions Chronique Sociale Handicaps et accompagnement à la vie affective, sensuelle et/ou sexuelle : plaidoyer pour une liberté !, codirigé par Marcel Nuss et Pierre Ancet. « L’idée de départ était d’apporter une information concrète et complète pour faire découvrir tout le registre de l’accompagnement sexuel, informer mais aussi sensibiliser sachant que certains textes sont extrêmement touchants et parlants », confie Marcel Nuss.
Créée en 2013, l’Appas milite pour la reconnaissance en France de l’accompagnement à la vie affective, sensuelle et/ou sexuelle des personnes en situation de handicap. Il s’agit de la seule association à faire des formations à l’accompagnement sensuel et/ou sexuel et à mettre en relation ces accompagnants avec des personnes en demande. La structure propose également des journées de formation et de sensibilisation aux professionnels du secteur médico-social. La dernière formation a eu lieu les 7-10 juin dernier à Montpellier. Un second module est d’ores et déjà programmé aux 26-28 octobre prochain. Ce sera l’occasion notamment d’aborder le handicap mental.