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Personnaliser pour mieux traiter

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Le docteur Thierry Bautrant fait partie de ces personnes qui veulent laisser une trace de leur passage. Le géronto-psychiatre, fondateur de son propre Ehpad et président d’une association d’aide aux aidants familiaux en souffrance, a créé le concept de la thérapie non médicamenteuse personnalisée (TNMP). D’abord testée dans sa structure, l’idée fait des émules pour une raison simple : à l’heure du tout-médicament et des burn out en série, le turn-over dans son établissement est inexistant.

« Alzheimer, c’est un déclin cognitif, mais surtout des troubles du comportement. Des troubles qui épuisent l’entourage. Il existe d’ailleurs un risque de surmortalité de plus de 60 % pour les aidants dans les trois années qui suivent le début de la maladie de leur proche. Cela vaut aussi pour le personnel : les soignantes qui se prennent des coups d’une rare violence et qui ont du mal à faire leur travail dans ces conditions. »

Le constat du médecin psychiatre Thierry Bautrant, spécialisé en géronto-psychiatrie, est le fruit d’une observation de terrain. Expert auprès des tribunaux de Marseille depuis 1990, il s’installe dans un cabinet médical à La Ciotat en 1997. En intervenant dans des maisons de retraite, il se familiarise avec les personnes âgées, et décide de créer son Ehpad à Roquefort-la-Bédoule en 2006, à l’occasion de la réforme tripartite. « Le conseil départemental voulait des établissements plus modernes et mieux traitants », se souvient-il. Si comme dans de nombreux établissements, la structure s’appuie sur 85 lits, quinze places en accueil de jour et un pôle d’activité et des soins adapté (Pasa) dédié aux troubles du comportement de la maladie d’Alzheimer, la différence vient du parcours et de l’expérience de son responsable. « En devenant directeur, j’ai appris le métier. J’étais à l’aise sur le sanitaire, pour le reste j’ai été assisté par des experts ainsi que mon épouse, médecin coordinateur de l’établissement, en étant toujours guidé par l’idée d’une prise en charge bientraitante des personnes âgées. » Sa structure fait maintenant référence du côté de l’agence régionale de santé (ARS) et du conseil départemental.

Un Ehpad bientraitant

Quel est donc l’ingrédient secret qui fait le succès de l’Ehpad de Thierry Bautrant ? « Mon concept de thérapie non médicamenteuse personnalisée (TNMP) consiste à adapter les thérapies non médicamenteuses (TNM) aux troubles de la personne et à son projet individuel », détaille-t-il. Les TNM sont un ensemble de techniques de soins, d’approches environnementales ou humaines qui visent le traitement ou le soulagement de certains symptômes et l’amélioration de la qualité de vie. Il en existe pléthore, au rang desquelles on peut trouver la réminiscence thérapie (mettre la personne en lien avec le souvenir), la réorientation thérapie (renforcer les repères), la thérapie par les sens (stimulation par des éléments familiers)… « Ces thérapies sont plus efficaces si elles sont mises en lien avec le projet personnalisé de la personne accompagnée », insiste le psychiatre. « On cherche la cause du trouble du comportement. Par exemple, pour une personne qui est en opposition aux soins le soir à cause d’une anxiété due à la solitude, l’aide-soignante se met en lien avec son passé en allant chercher sur Google Earth le village de la personne pour lui montrer des photos, en demandant à la famille des objets en lien avec son histoire… Et peut alors accéder à son corps et éviter la contention chimique. » Le professionnel alerte également sur l’importance de prendre en compte les potentialités de la personne pour la réussite du processus, dans l’optique Montessori. « Si on fait de la musicothérapie pour dépasser le stade de l’animation, il faut que cela soit en lien avec le passé, les goûts de la personne. Si elle est musicienne, on peut lui faire jouer d’un instrument en réfléchissant à ses capacités restantes pour ne pas la mettre en échec. Un ancien pianiste de haut niveau à qui on veut faire rejouer ses partitions mais qui n’en a plus les capacités ressortira désappointé de la séance. »

Sous les médicaments, les TNMP

Du côté du personnel, des réunions sont organisées toutes les semaines dans l’Ehpad avec les acteurs du soin, afin d’ajuster les thérapies, en se basant sur les troubles du comportement et les capacités de la personne. Des thérapies qui ne « nécessitent pas plus de personnel », souligne Thierry Bautrant, mais des personnes référencées au moment de mettre en œuvre ces TNMP. « C’est plus une question de culture que de transformation radicale du planning des salariés. » Installer des espaces dédiés comme un Pasa ou un Snoezelen (qui diffuse des stimuli sensoriels bienveillants) est cependant essentiel. Une fois le cercle vertueux mis en place, l’effet est double. « Les TNMP agissent, grâce à la répétition, sur la mémoire implicite, qui reste longtemps présente, détaille le spécialiste. Même si un malade ne se rappelle pas du nom ou du métier de l’aide-soignante qui entre dans sa chambre, il saura que c’est pour lui faire du bien. » Une culture de la bientraitance qui donne du sens au travail des soignants, qui comprennent mieux les troubles, les raisons des coups, et deviennent acteurs de la thérapie, « au lieu d’attendre l’arrivée du médecin qui prescrira des neuroleptiques en cas de crise ». Le médicament devient alors moins systématique, et n’est plus donné pour créer la sédation chez le résident.

Aider les aidants

Sa méthode, le psychiatre a voulu aussi la transmettre aux proches désemparés devant la maladie. Président depuis 2015 de l’association A3 d’aide aux aidants familiaux en souffrance, il a publié cette année son deuxième livre Alzheimer, peut-on combattre la maladie sans médicaments ?, où il explique avec pédagogie les signes avant-coureurs des troubles, et les TNMP à utiliser en réaction. « Les familles sont très intéressées, explique-t-il, car cela prône autre chose que le médicament-sanction. » Devant le succès rencontré par la méthode, Thierry Bautrant a initié, en janvier 2018 et pour le compte de l’ARS Paca une expérimentation sur deux ans en créant un Pasa de nuit dans 21 Ehpad. « L’idée m’est venue après une expérimentation dans mon établissement, où j’ai mis en place un changement d’environnement dans un secteur protégé pour voir si cela influait sur les troubles : en faisant varier la lumière, la musique, en donnant une couleur pyjama à la tenue des soignants, les cris, l’agitation et les déambulations ont diminué. C’est ce qu’on appelle une thérapie de synchronisation. » Les résultats de ce projet d’ampleur, qui pourraient changer la face de l’accompagnement, devraient être connus en 2020.

Le docteur n’avale pas la pilule

Concernant le déficit de mémoire lié à la maladie, le docteur Thierry Bautrant est catégorique, « il n’y a malheureusement pas de traitement, les nouveaux ne fonctionnent pas. Les troubles de la mémoire proviennent de plaques d’amyloïdes qui se logent dans l’hippocampe en détruisant les neurones. L’un des traitements prometteurs consistait à créer des anticorps luttant contre ces plaques pour les détruire, mais les résultats ne sont pas satisfaisants car d’autres facteurs rentrent en ligne de compte ». Pour les médicaments déjà disponibles à la vente, parmi lesquels figurent en bonne place le Dibeoezil(r), la Galantamine(r) et la Rivastigmine(r), le constat est le même. « On a fait croire que les médicaments anti-Alzheimer qui existent sont efficaces, même si la Haute Autorité de santé a indiqué en 2016 que le service rendu était minime, et que le Gouvernement précédant a réfléchi à les dérembourser. Je n’y ai plus recours car ils sont pourvoyeurs d’effets secondaires et que leur efficacité est contestable. » Malgré l’inefficacité de ces médicaments qui continuent d’être remboursés au motif qu’ils apportent une prise en charge « symbolique » du malade et donc une reconnaissance de la maladie, les perspectives sont bonnes. « Le nombre de nouveaux cas diminue, même s’il y en a plus qu’avant en raison du vieillissement global de la population, car les facteurs de risque que sont l’hypertension artérielle, le diabète, le tabac, la dépression, le cholestérol commencent à être mieux maîtrisés, fait valoir le géronto-psychiatre. Si ces facteurs étaient totalement contrôlés, ce serait 50 % de malades en moins dans le monde. »

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