Les données personnelles sont le moteur de l’IA : plus elle en collecte, plus elle s’enrichit. Cela montre le lien qui les unit. À Lyon, le 15 juin, deuxième et dernier jour de son congrès annuel, le Synerpa a organisé une table ronde autour de ces deux sujets intimement liés. Et c’est tout logiquement que la révolution – en cours – de l’intelligence artificielle concerne aussi le secteur des services aux personnes âgées, de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) au domicile. Comme toutes les nouvelles technologies, elle sera notamment utile pour compenser les effets de la dépendance.
Mais selon Luc Broussy, président de France Silver Eco, « les nouvelles technologies ne seront utiles que si on les transforme sur des valeurs d’usage. On ne mesure pas encore l’ensemble des innovations concrètes qui pourront être apportées, que ce soit en matière de prévention ou même de lien social. De plus, des outils numériques vont permettre aux salariés de mieux faire leur travail ». L’exemple apporté par Luc Broussy est celui de cette petite puce électronique qui permet de détecter le niveau de remplissage des vessies des personnes en établissement. Pour les professionnels, elle permet d’anticiper l’incontinence, et pour les usagers, c’est aussi beaucoup plus agréable. « Seuls les marchands de couches n’aiment pas trop cet outil », plaisante Luc Broussy. L’intelligence artificielle permettra d’aller plus loin, notamment dans la médecine prédictive : « La richesse de l’IA est de pouvoir traiter et analyser des données transmises spontanément. Cela permettrait de voir ce qui se passerait à une échelle indiquée, comme avec les épidémies hivernales, comme la grippe », explique le docteur Didier Armaingaud, directeur médical, éthique et qualité de Korian.
Laurent Levasseur est président de la société Bluelinea, qui offre des services de téléassistance pour personnes âgées : « Pour développer nos outils, on a choisi deux sociétés : Apple, qui est la seule qui n’a pas placé l’exploitation des données collectées dans son modèle et économique, et une toute petite entreprise, Telegrafik. » L’entrepreneur fait un test en temps réel devant l’assistance. Il appelle « Sarah » l’outil développé par sa société, sorte de conciergerie pour les seniors et reprenant l’idée des assistants vocaux comme Siri chez Apple, Cortana chez Microsoft. La voix synthétique – mais qui semble bien réelle et spontanée – répond aux questions de Laurent Levasseur qui simule une désorientation. « De plus en plus, on va parler à notre smartphone. Il est plus compliqué, pour une personne âgée, de chercher une application et de s’en servir que de demander directement ce qu’elle veut, à l’oral. On passe d’une génération des doigts à une génération de la parole », explique-t-il, devant un public conquis.
Toutes ces technologies nécessitent une quantité énorme de données, et l’entrée en vigueur récente du règlement européen de protection des données personnelles (RGPD) pourrait rendre frileux les directeurs d’Ehpad qui voudraient se lancer dans la brèche. Pour le docteur Laurent Alexandre, le RGPD « favorise les Gafa »1 : « On avantage l’offre publicitaire des géants, et on limite l’impact des petits européens. Aujourd’hui, les gens de l’Union européenne n’ont pas compris que l’IA a besoin de beaucoup de data. Ils n’ont pas compris qu’on est en guerre technologique. Le credo des Américains, c’est “Il vaut mieux demander pardon que de demander l’autorisation”. En Europe, en étant restrictif, on est réduit à la situation d’observateur. »
Mais tout le monde n’est pas aussi pessimiste que le docteur Alexandre. L’avocat Benoît Louvet estime que « l’angoisse » suscitée par le RGPD n’est pas totalement justifiée : « On a beaucoup entendu la question qui consistait à dire “Suis-je conforme au 25 mai” Mais la conformité au règlement, ce n’est pas une situation à un instant “t”, mais des logiques, des procédures, et la recherche d’une amélioration constante. » Le point particulier du RGPD qui semble inquiéter les professionnels est l’obligation de recueillir le consentement des personnes pour traiter leurs données personnelles. Là aussi, Me Benoît Louvet rassure : « Il faut faire la différence entre le RGPD et le consentement dans d’autres cadres juridiques. Il existe un consentement aux contrats, ou aux soins par exemple, qui ont déjà leurs propres règles. Le consentement RGPD n’est pas nécessaire à recueillir spécifiquement s’il y a une relation contractuelle ou de soins préexistante. On peut réutiliser des choses faites dans les établissements. Il ne faut pas réinventer la roue. »
(1) Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie/Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge.