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Jean-Pierre Rosenczveig : « Avoir une relation sexuelle avec un enfant de moins de 13 ans est un crime »

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Dans son dernier livre « Rendre justice aux enfants. Un juge témoigne », Jean-Pierre Rosenczveig, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny et figure médiatique de la protection de l’enfance, revient sur son expérience et son combat pour faire entendre la voix des enfants. En plein débat sur le projet de loi « Schiappa » sur les violences sexuelles sur mineurs, il vient de lancer une pétition : « Touche pas sexuellement à l’enfant ! »
En quarante ans de carrière, quelles ont été les avancées majeures en matière de protection de l’enfance ?

On a réussi à passer de la puissance paternelle à l’exercice conjoint de l’autorité parentale. Cela a été un combat difficile, et il a fallu trois lois (en 1987, en 1993 et en 2002) pour acter que, lorsqu’il y a deux parents, mariés ou non, ils sont égaux en droits et devoirs à l’égard de l’enfant. Il reste encore à remplacer le mot « autorité » par celui de « responsabilité » et, surtout, il n’y a toujours pas d’obligation pour les parents de créer un lien juridique avec leur enfant, notamment quand l’un d’eux n’est pas le parent biologique. Or la filiation d’un enfant n’appartient pas qu’à la mère ou au père, l’enfant a le droit de connaître ses origines. La deuxième grande avancée est la possibilité pour les mineurs d’accéder à l’interruption volontaire de grossesse, consacrée par la loi de 2001. L’autre grand progrès a été de faire prévaloir l’éducation sur la répression chez les jeunes délinquants. J’ai battu la flamme sur ce sujet, au point d’être taxé de « juge laxiste ». La prévention n’a rien à voir avec le laxisme et la prison pour mineurs est un moyen dans une stratégie, mais pas une fin en soi. Une sanction met rarement fin à la délinquance si elle n’a pas été précédée d’un travail éducatif. Depuis 2014, les jeunes faisant l’objet d’une sanction éducative doivent être pris en charge par la PJJ [protection judiciaire de la jeunesse] dans les cinq jours suivant cette décision. On n’y est pas encore en termes de délai, mais cela a été une révolution. De la même manière, depuis 2016, le législateur appelle l’aide sociale à l’enfance à faire un projet pour l’enfant ; jusqu’alors, on lui demandait seulement d’accueillir les enfants en danger.

La parole des enfants est-elle vraiment prise en compte maintenant ?

Elle est plus écoutée qu’il y a vingt ou trente ans, c’est certain. Mais est-elle toujours entendue, c’est-à-dire prise en considération ? On est encore loin du compte. Même si le statut de l’enfant a profondément évolué et que la phrase : « Tais-toi et mange ! » d’avant 1968 a disparu, certains ont encore du mal à admettre que l’enfant est une personne à part entière, comme l’a mis en lumière Françoise Dolto. Un des exemples – un peu excessif, je le concède – est celui de la circoncision et de l’excision. Au nom de valeurs communautaires religieuses, on marque l’enfant dans son corps et dans son sexe, au mépris de la Convention internationale sur les droits de l’enfant qui veut que les atteintes à son intégrité physique ne puissent être légitimes que si elles sont justifiées par des raisons médicales. La France a aussi été régulièrement épinglée par le Comité des droits de l’enfant de l’Organisation des Nations unies pour l’absence de visibilité de sa politique en direction des enfants. Cela a conduit à créer, en 2016, le Conseil national de la protection de l’enfance. Mais il n’y a toujours pas de ministère de l’Enfance et les châtiments corporels ne sont pas interdits dans notre pays. Néanmoins, l’enfant a désormais des droits, ce qui ne veut pas dire qu’il a tous les droits. L’écouter ne veut pas dire ne rien lui interdire. Un enfant peut mentir, se tromper ou être influencé par un adulte qui le terrorise ou le séduit. Sans sacraliser sa parole, la nier est une aberration. D’expérience, j’ai constaté qu’il était très rare qu’un enfant affirmant avoir subi des abus ne soit pas la victime de mauvais traitements. Quand j’ai commencé ma carrière, la maltraitance des enfants était largement ignorée. Le rapport « Strauss » (du nom du fondateur de l’Association française d’information et de recherche sur l’enfance maltraitée) de 1981 a fait prendre conscience du problème. Et, dans les années 1990, un dernier tabou est tombé : la violence n’était pas seulement intrafamiliale mais pouvait avoir lieu aussi dans les institutions, y compris dans celles ayant pour vocation de protéger les enfants. Malgré tout, ce n’est qu’en 2016 que la notion d’« inceste » est entrée explicitement dans le code pénal.

Pourquoi avez-vous lancé une pétition contre l’article 2 du projet de loi « Schiappa » sur les violences sexuelles concernant les mineurs ?

L’angle d’attaque choisi n’est pas le bon. Le gouvernement pensait faire adopter par la loi une présomption « irréfragable » – autrement dit, irréfutable – de non-consentement. Sauf que le Conseil constitutionnel n’admet pas ce type de disposition en matière pénale. S’il y a présomption, c’est que l’on doit pouvoir prouver le contraire. En clair, l’idée était bonne mais elle est bouchée sur le plan juridique. Il est donc essentiel de sortir de la question du consentement ou non-consentement. Pour qu’un juge ne puisse pas dire qu’une fille de 11 ans a plus ou moins accepté une relation sexuelle avec un adulte, il faut quitter le terrain du viol – qui oblige la victime à apporter la preuve de l’absence de non-consentement – et se placer sur celui d’une infraction spécifique. Un rapport sexuel entre un adulte et un mineur de moins de 13 ans est un crime. En dessous de cet âge, un enfant ne dispose pas de son plein discernement. C’est le message qu’il faut faire passer. On est dans le cas d’un délit formel. Il n’y a pas d’état d’âme à avoir. Il faut aboutir à une réécriture du texte en abrogeant l’article 2 et en ajoutant un article 2 bis afin de réaffirmer dans le code pénal cette interdiction absolue : un adulte ne touche pas sexuellement à un enfant.

Quels sont les combats à mener encore aujourd’hui pour les enfants ?

Il faut absolument renforcer les services de santé scolaire, de psychiatrie et de PMI [protection maternelle et infantile], qui sont les maillons faibles du dispositif de protection de l’enfance. Ces structures de proximité sont essentielles pour prendre en compte l’urgence sociale et réduire le nombre d’enfants en grande difficulté. Si j’étais délégué interministériel, ma première mesure serait de mettre des travailleurs sociaux à l’école pour prévenir la primo-délinquance. Sans compter la question des mineurs isolés, qui sont d’abord considérés comme des étrangers avant d’être vus comme des enfants. Le tribunal est un miroir qui renvoie toute la problématique sociale. Par-delà la pauvreté et la précarité, une partie des adolescents sont laissés à vau-l’eau par les adultes et ne croient plus en l’avenir. Faute de politique d’intégration citoyenne, ils sont la proie de la désocialisation et des prédicateurs religieux. La fracture sociale n’est pas qu’économique actuellement, elle est culturelle et communautariste. D’où l’importance de développer la prévention spécialisée avec des professionnels formés qui suivent les jeunes et leurs familles sur la durée, et pas exclusivement sur des actions ponctuelles. Dans ce contexte où les jeunes sont parfois livrés à eux-mêmes, sans la présence d’un adulte impliqué en face d’eux (qu’ils réclamaient lorsqu’ils étaient dans mon bureau), il est important d’identifier qui est en responsabilité à leur égard. C’est aussi tout le débat sur le statut des beaux-pères et belles-mères, qui n’est toujours pas tranché. Il concerne pourtant 8 millions de personnes, dont 2 millions d’enfants.

Justement, dans la grande mutation des filiations, quelles vont être les grandes questions de demain ?

En ce moment, on est davantage dans le registre du droit à l’enfant que dans celui des droits de l’enfant. Les progrès de la science permettent de fabriquer des enfants, c’est pourquoi le titre d’un chapitre de mon livre est volontiers provocateur : « Au nom du père, de la mère et du fabricant »… Avec la procréation artificielle et la GPA [gestation pour autrui], on ouvre une boîte de Pandore de la filiation dont on ne sait pas où elle nous mène. Je ne fais pas de procès en réaction, comme certains l’affirment, mais la puissance publique doit en débattre. Dans la GPA, quel sera le statut de la femme qui va porter le bébé ? Par ailleurs, en cas de séparation d’un couple homosexuel, que va-t-il se passer si l’un a reconnu l’enfant et l’autre non, alors qu’il vit à ses côtés. Pour l’heure, la loi ne reconnaît pas la double parentalité, donc il va falloir trouver un moyen de donner un statut à ces tiers que sont le deuxième papa ou la deuxième maman. Il est à parier que, dans le futur, les enfants vont demander l’accès à leurs origines, qu’ils soient issus de parents homosexuels ou hétérosexuels. Ce ne sera pas le débat de « la » filiation mais « des » filiations. Jusqu’à présent, c’était assez facile, mais cela va se compliquer. Qui dit que, dans l’avenir, deux femmes ne pourront pas épouser le même homme, et vice versa, et qu’il ne sera pas possible d’avoir un enfant à trois ou quatre ? Un jour, il y aura sûrement plusieurs cartes d’identité : génétique, biologique, sociale, juridique…

Repères

Ex-président du tribunal pour enfants de Bobigny, en retraite depuis 2014, Jean-Pierre Rosenczveig s’est engagé sans relâche pour que la parole des enfants soit entendue devant les tribunaux. Auteur de nombreux ouvrages, il publie Rendre justice aux enfants. Un juge témoigne (éd. du Seuil, 2018). Sa pétition sur le projet de loi concernant les violences sexuelles est accessible par le lien : http://bit.do/ekVcC.

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