La naissance du travail social, habituellement située à la fin du XIXe siècle avec les premières « maisons pour pauvres », est le résultat d’une conjonction d’actions philanthropiques, de militantisme féministe, d’engagement personnel… Puis, peu à peu, des dispositifs se sont mis en place avec des formes d’institutionnalisation de plus en plus poussées, sur fond d’hygiénisme et de velléités de contrôle social des populations. C’est peu dire que les professionnels du service social et de l’éducation spécialisée se sont vite sentis enfermés dans des structures déconnectées de la vie sociale ordinaire, et prisonniers de discours moralisateurs.
Dans ce contexte, Mai 68 a été un souffle de liberté. Il en résultera une attention forte accordée à la contractualisation, et les prémices de la participation au sens où on l’entend aujourd’hui. D’une certaine façon, même s’il a fallu beaucoup de temps pour en arriver là, la loi du 2 janvier 2002 est un enfant de Mai 68. Elle marque un tournant sur au moins deux versants : la montée de l’individualisme (et de l’individualisation des approches) et la montée du droit, devenu un outil central de régulation de l’action sociale et du travail social.
Il a plusieurs dimensions, au-delà de la problématique des moyens. C’est d’abord une perte de repères dans un paysage social et institutionnel de plus en plus complexe, opaque, voire incompréhensible (émiettement des structures et des métiers, multiplication de textes juridiques, de normes…). Ensuite, il existe un véritable doute sur les finalités du travail social : s’impliquer pour quoi ? Comment trouver un équilibre entre aide à l’autonomie et protection des personnes ? Comment ouvrir les institutions sans aboutir à leur disparition ? Comment travailler avec de nouveaux acteurs (les pairs aidants, notamment) et les autres professionnels de l’aide à autrui (par exemple dans l’Education nationale ou la santé) ?
En même temps, des changements profonds interviennent dans les pratiques, dont certains font d’ailleurs actuellement l’objet de réflexions au sein du Haut Conseil du travail social (logiques de parcours et de territorialisation de l’action sociale, développement du numérique, mise en œuvre effective de la participation…). Enfin, la société elle-même se transforme, avec des comportements perçus comme inédits (les phénomènes de radicalisation) et qui rendent difficiles des formes d’intervention collective.
Avec toutes ces problématiques, il y a de quoi relancer le thème de la recherche en travail social ! D’autant que le décret du 6 mai 2017 définissant le travail social (voir encadré page 22) le conforte sur le terrain des savoirs : savoirs universitaires, savoirs pratiques, savoirs d’expérience. C’est là que, sans doute, s’ouvre une nouvelle période, avec de nouveaux enjeux, pour le travail social.
C’est un texte important. Mais il est vrai que, globalement, on a l’impression que l’action publique à l’égard du secteur s’est ralentie. Cela fait longtemps que l’on attend un texte politique un peu ambitieux comme l’avait été la circulaire de Nicole Questiaux, en 1982. Mais je crains qu’il faille encore attendre, quand on voit par exemple le sort qui a été fait au rapport « Borloo ». Dès lors, il faut continuer à interroger les changements en cours plutôt que pleurer dessus. Les travailleurs sociaux ont toujours été porteurs d’innovations et facteurs de changements. Initialement, c’est cela, le travail social : participer au travail de la société sur elle-même, à son évolution.
Mais, pour cela, il me semble important de sortir de la relation duale avec des politiques qui se montrent peu à l’écoute, et de développer des alliances avec les structures de personnes accompagnées comme le Conseil national des personnes accueillies et/ou accompagnées, ou encore, dans le champ du handicap, l’association Nous aussi.
(1) « Mai 68 : la deuxième naissance du travail social », à lire sur