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Le film de notre vie (5)

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Le film de notre vie (5)

Crédit photo Olivier Hielle
Nous terminons notre exploration de la mutation sociale et sociétale qui a marqué le pays depuis Mai 68. Aujourd’hui, notre attention s’est arrêtée sur l’évolution des prisons et de la politique carcérale. Si les prisons étaient déjà surpeuplées et vétustes – les premières révoltes dans les maisons d’arrêt ont lieu dès le début des années 1970 – les conditions de détention étaient beaucoup plus dures dans les années 1960 qu’aujourd’hui. Les quartiers de haute sécurité (QHS) – connus sous le nom de « mitards » – ont disparu, les détenus ont conquis des droits comme celui d’avoir la radio et la télévision, le travail en prison s’est un peu amélioré, les médecins sont devenus indépendants et peuvent protéger les détenus. Et, surtout, la politique carcérale n’est plus binaire – prison ou liberté – des peines alternatives comme le bracelet électronique ou la probation tendent à se développer. Mais le débat sur le fait de savoir si la prison doit être un lieu punitif ou une source de réinsertion reste entier.
Les va-et-vient de la politique carcérale

Depuis plus de cinquante ans, en matière carcérale, les ré­formes et retouches législatives tentent de rendre les conditions de vie en prison un peu moins inhumaines. Entre illusions et désillusions, chronologie d’un demi-siècle d’évolutions…

C’est à partir de l’après-guerre que la société civile s’intéresse aux conditions de détention – en fait, depuis que des résistants ont été incarcérés par le régime de Pétain et se sont rendu compte des conditions de détention. C’est alors que les grands principes de la politique pénitentiaire sont mis en place. D’abord, dès 1945, avec la réforme « Amor », du nom du premier directeur de l’administration pénitentiaire. Avocat et magistrat, Paul Amor veut instituer une politique d’humanisation des conditions de détention. Il place alors le reclassement social des condamnés au centre de sa réforme. Les principes de modulation de l’exécution des peines en fonction de la conduite des détenus sont instaurés. La Convention européenne des droits de l’Homme, texte issu du Conseil de l’Europe nouvellement créé pour garantir les droits fondamentaux sur le Vieux Continent, entre en vigueur en 1953.

Puis, quelques mois après le référendum positif à la Ve République, plusieurs ordonnances viennent asseoir la réforme « Amor ». L’ordonnance n° 58-1296 du 23 décembre 1958 crée le poste de juge d’application des peines en remplacement de celui de juge de l’exécution des peines et, surtout, légalise les mesures d’aménagement de peine. La question de l’alternative à l’incarcération était déjà posée.

Il faudra cependant attendre 1960 pour que les travaux forcés soient abolis, et remplacés par la réclusion criminelle. A cette époque, les conditions de détention sont toujours aussi précaires (voir notre reportage fictif, page ?). C’est en tout cas ce qu’a constaté Bernard Bolze. Fondateur de l’Observatoire international des prisons (OIP), le journaliste a récemment travaillé avec Mireille Debard, également journaliste spécialisée sur les prisons, sur un projet de livre sur les conditions de détention dans les prisons lyonnaises depuis les années 1960. « C’était quelque chose de très spartiate, explique-t-il. Mais il y avait de la solidarité, qui a toujours existé : les personnes à l’extérieur projetaient des produits depuis la rue, comme du café, du savon. » Toutefois, les détenus sont encore assez peu revendicatifs.

Cela va changer dans les années 1970, qui voient apparaître les premières révoltes au sein des établissements pénitentiaires, occupés par quelques soixante-huitards. Puis, en septembre 1972, arrivent les premières améliorations réelles, concrètes, des conditions de détention : les journaux sont autorisés, la radio aussi, mais sous conditions, et les coiffures deviennent libres. Dans le même temps, la durée maximale de mitard passe de 90 à 45 jours. Mais les prisons sont sur­peuplées, en particulier à Lyon. L’Etat lance alors une grande campagne de modernisation des équipements. « C’est l’époque d’un discours gestionnaire et sécuritaire, indique Bernard Bolze. On construit des prisons bon marché avec la mise en place de standards : toilettes, eau courante… » Une campagne qui n’a pas été lancée par hasard. Au début de l’année 1973, plusieurs dizaines de détenus demandent l’amélioration des conditions de détention et la réduction de la détention provisoire. A l’issue d’une grève de la faim qui n’a pas fait entendre leur voix, ils vont dévaster 200 cellules. Partout en France, dans beaucoup de prisons, des mutineries éclatent. « L’administration était obligée de suivre ces revendications », estime Bernard Bolze.

Il poursuit : « L’arrivée de la gauche en 1981, qui a toujours prévu ou promis des améliorations, suscite un immense espoir chez les détenus. Le soir des résultats, il y a eu une explosion de joie dans les prisons. » Robert Badinter, le garde des Sceaux, abolira la peine de mort et remplacera les terribles quartiers de haute sécurité (QHS) par les quartiers d’isolement. Créés en 1975, les QHS ont vu passer toutes les grandes figures du grand banditisme. Certains détenus y ont perdu la vie, tandis que Jacques Mesrine et François Besse parviendront à s’en évader. « C’étaient des lieux épouvantables », s’émeut Bernard Bolze. Mais la joie est de courte durée. Les bastonnades se poursuivent, bien que les châtiments corporels aient été abolis, en théorie, en 1972. « En avril 1985, un surveillant est agressé par deux détenus à Montluc, raconte Bernard Bolze. Cela fait naître une grande colère chez les surveillants, qui vont rouer de coups les détenus. La révolte va atteindre Fresnes et Fleury, plus de 10 000 détenus vont se mettre sur les toits des établissements. La gauche est là depuis quatre ans mais pas grand-chose n’a changé, elle n’a pas réussi à contenir la surpopulation. »

Pendant que les positions politiques se durcissent, les années 1990 voient tout de même arriver une vraie révolution. En 1994, précisément, le régime hospitalier de droit commun va être appliqué aux détenus : « Cela va changer beaucoup de choses dans l’approche médicale. Les médecins deviennent beaucoup plus libres », raconte Bernard Bolze. Le décret d’application interviendra quatre ans plus tard, le 8 décembre 1998. Les praticiens sont désormais vraiment indépendants des pressions des directeurs d’établissements. Cependant, la santé mentale n’est pas concernée par la réforme. De leur côté, les surveillants reprochent au pouvoir de l’époque de donner des droits aux détenus sans qu’ils aient, eux, de compensation. C’est pendant cette décennie que la question de la surpopulation va être massivement posée. Dès 1997, émerge l’idée d’un contrôle extérieur des lieux de privation de liberté. Cela prendra dix ans : le contrôleur général des lieux de privation de liberté, institution indépendante de tout pouvoir, est créé en 2007.

Loin de chercher à améliorer les conditions de détention, le législateur multiplie les dispositifs d’aménagement de peine et de peine alternative : une journée sous bracelet électronique coûte 12 €, contre plus de 300 € pour une journée de détention en maison centrale en partenariat public-privé. Ces dernières années sont marquées par la recherche de l’économie abstraite des deniers publics au détriment des conditions de détention des détenus, une considération concrète laissée de côté.

Une vocation née dans l’ombre

Né en 1951, Bernard Bolze a été incarcéré deux mois dans les années 1970. Il devient journaliste, crée l’Observatoire international des prisons pour « s’occuper des prisonniers ordinaires », qui décrochera le premier budget de l’Union européenne sur les prisons. Il le quitte ensuite pour créer Prison Insider, un média en ligne d’information sur les établissements pénitentiaires en France(1). Il a participé à plusieurs visites d’établissements avec le contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Notes

(1) www.prison-insider.com.

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