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La journée des dupes

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• 28 mai •

La crise sociale, économique, estudiantine atteint une telle ampleur que la gauche croit son heure venue et que le régime va – comme dans la fable – lui tomber dans le bec. François Mitterrand organise une mémorable conférence de presse au cours de laquelle il affirme « constater la carence du pouvoir » et annonce sa candidature à une élection présidentielle qui n’est pourtant pas ouverte. De son côté, Waldeck Rochet, secrétaire général du Parti communiste, propose la constitution d’un gouvernement provisoire.

• 29 mai •

La journée la plus mystérieuse et la plus surréaliste de l’Histoire de France. Le matin, le général de Gaulle téléphone à son Premier ministre pour lui annoncer qu’il annule le conseil des ministres et qu’il part prendre du recul à Colombey-les-Deux-Eglises. Un peu plus tard, racontant ce coup de téléphone à quelques ministres importants convoqués à la hâte à Matignon, Georges Pompidou dira : « Curieusement, à la fin, il m’a dit : “Je vous embrasse.” » « S’il vous embrasse, alors, vous êtes baisé », s’esclaffe le facétieux Jacques Chaban-Delmas, à l’époque président de l’Assemblée nationale.

De fait, c’est une folle journée des dupes qui a commencé. Au fil des heures, une évidence s’impose : le Général n’est pas à Colombey. Mais où est-il ? Personne ne le sait. Ni le Premier ministre, ni le ministre de l’Intérieur, ni les services de sécurité de l’Elysée. De Gaulle a disparu… Sur l’échelle de Richter des secousses politiques, l’événement est à l’indice maximal. On l’apprendra plus tard mais, cartes d’état-major en main, le Général a littéralement détourné l’hélicoptère qui devait l’amener à sa gentilhommière, ordonné de couper les transmissions et de voler en dessous des radars pour aller le faire atterrir à… Baden-Baden, au siège des Forces françaises en Allemagne, pour y rencontrer le général Jacques Massu, chef desdites forces.

Pourquoi est-il allé voir ce militaire, fidèle d’entre les fidèles ? Pour lui demander de mettre les chars en route pour aller mater la rébellion du Quartier latin ? Pour s’assurer du soutien de l’armée ? Pour démissionner sur un coup d’éclat ?

C’est un des mystères, à ce jour non résolu, de la Ve République. Plus tard, Massu se donnera le beau rôle et racontera, livres à l’appui, avoir sauvé le Général, et donc la France. Il décrira un de Gaulle abattu : « Tout est foutu », lui aurait-il dit. Ils auront un entretien en tête à tête de trois heures. De Gaulle voulait-il vraiment quitter le pouvoir et Massu l’a-t-il convaincu de rentrer à Paris et de reprendre les choses en main, ou bien le Général a-t-il joué à son compère une comédie dont il avait le secret ? Nul ne le sait. Reste que, en fin d’après-midi, le président de la République reprend son hélicoptère pour Villacoublay…

• 30 mai •

S’exprimant à la radio – son média fétiche depuis un certain 18 juin 1940 – le général de Gaulle affirme : « J’ai pris mes résolutions […], je ne me retirerai pas […], je ne changerai pas le Premier ministre […], je dissous aujourd’hui l’Assemblée nationale… »

• 31 mai •

Préparée depuis plusieurs jours par le sulfureux Service d’action civique (SAC) de Charles Pasqua, une manifestation rassemblant plus d’un million de personnes se déroule sur les Champs-Elysées en soutien au général de Gaulle. Le mois de mai 1968 est – dans tous les sens du terme – terminé.

Épilogue

Dès les premiers jours de juin, l’essence revient, la vague de grève se retire, le travail reprend, les lieux symboliques de la contestation intellectuelle – la Sorbonne, l’Odéon – sont évacués, les cours reprennent dans les lycées et les universités.

Au second tour des élections législatives du 30 juin, les gaullistes et leurs alliés centristes raflent la mise avec 60 % des suffrages et – effet du scrutin majoritaire – plus de 80 % des sièges. Comme le dira plus tard Jacques Sanguinetti, le tonitruant grognard gaulliste, « en 68, si j’avais présenté mon chien avec une étiquette gaulliste, il aurait été élu à ces élections de la peur ».

De fait, la France s’est offert une grande fête et en même temps s’est fait peur à elle-même avant de revenir au bercail. Mais les effets sociétaux et sociaux de Mai 68 vont s’apprécier sur le long terme. Plus rien ne sera comme avant. De Gaulle n’est pas dupe. Il sait qu’il a perdu et cherche une porte de sortie, qu’il trouvera, l’année suivante, avec ce baroque référendum sur la régionalisation et la suppression du Sénat. Prétextant l’échec de cette consultation, il se retire au profit de Georges Pompidou, dans lequel les Français reconnaîtront la stature de celui qui a géré la crise. Il est élu président de la République le 1er juin 1969 avec 58 % des suffrages.

1968-2018

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