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Florence Cestac : « L’isolement était total »

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Florence Cestac est dessinatrice. En 1968, quelques semaines seulement après les « événements », elle passe des vacances paisibles à quelques kilomètres de Bordeaux, à Gradignan. Là, dans la nuit du 14 juillet, elle va rapidement se retrouver en détention, pendant 18 jours, dans un établissement fraîchement construit et moderne pour l’époque. Les 18 jours vont lui sembler longs, très longs…
Dans quel contexte votre interpellation s’est-elle passée ?

C’était le 14 juillet 1968. On était partis en vacances avec toute une bande de copains au bord du bassin d’Arcachon. Ce soir-là, on a descendu tous les drapeaux de toutes les mairies aux alentours, on a arraché le bleu et le blanc et on a remonté le rouge. Ça s’appelle « vol et destruction d’emblèmes nationaux ». Vu qu’on était nombreux, on a rapidement été dénoncés. Après avoir été véritablement humiliés, baladés dans la ville avec les menottes et une chaîne devant toute le monde, on s’est retrouvés au cachot au Cap-Ferret. Maintenant, c’est chic, mais à l’époque…

J’ai fait dix-huit jours de préventive à Gradignan. Au procès, j’ai été condamnée à une lourde amende que mon père a payée, et déchue de mes droits civiques pendant cinq ans. Tous mes copains étudiants sont partis en camp disciplinaire en Allemagne pendant seize mois, sans permission. Ça calme, c’est sûr. Je ne les ai revus qu’au procès, ils étaient tondus avec un costume de prisonnier.

Et pour vous ?

On vous enlève tous vos bracelets, vos affaires, tout, tout. Et puis on vous colle une blouse… avec rien, quoi. On nous donnait une cantine toutes les semaines avec le minimum : savon, dentifrice, etc. Heureusement, les femmes aînées détenues voyaient bien que j’étais perdue. Les premiers jours, elles m’ont beaucoup aidée. J’avais rien au début, vu qu’il fallait attendre la distribution commune des cantines.

Il fallait se lever très tôt le matin, vers 6 heures ou 7 heures, et replier son lit contre le mur. La journée, on ne pouvait même pas s’allonger sur le lit. Il n’y avait pas de barreaux aux fenêtres, mais une grande baie vitrée, un petit bureau, une chaise. J’étais seule en cellule, et ce que je voulais particulièrement, c’était rencontrer d’autres gens. L’ennui est terrible. A tel point que, quand on m’a demandé si je voulais travailler, j’ai dit « oui » tout de suite.

Et en quoi consistait ce travail ?

Il s’agissait de faire des bouquets de violettes pour des couronnes mortuaires, avec des pétales en plastique et des fils de fer… Passionnant ! On était payées 10 centimes pour chaque bouquet de 25 violettes. Mais, au bout de deux-trois jours, il se sont rendu compte que j’étais mineure, donc j’ai dû arrêter de travailler. Du coup, je faisais toutes les activités possibles pour passer le temps, dont la messe. Il y avait une heure de promenade par jour. Seul moment où on pouvait rencontrer les autres. A part ça, l’isolement était total.

A l’époque, Gradignan était pourtant un établissement moderne, construit une année avant votre incarcération…

Oui, c’était la prison la plus moderne de France. Tout était tout neuf, mais ça n’est pas forcément plus gai ! Le fait d’être seule en cellule, ça rendait les journées particulièrement longues. Surtout, on n’avait aucune nouvelle de l’extérieur.

A Paris, il y a eu des manifestations pour nous. Mais on l’a joué « erreur de jeunesse ». Les flics avaient un dossier extraordinaire sur nous : ils avaient les photos de nous à chaque manif, avec la date et nos visages entourés… On ne pensait pas que ça allait nous mener à ça, mais à l’époque, il fallait faire des exemples. On nous avait tout mis sur le dos pour cela.

1968-2018

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