Dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) que gère Thierry Bautrant, gérontopsychiatre, 70 à 80 % des résidents ont développé une démence de type Alzheimer ou apparentée et l’écrasante majorité sont concernés par des troubles du comportement, la plupart du temps non perturbateurs. Repérer un trouble, trouver sa cause et mettre en place une thérapie adaptée, c’est la démarche qu’il a entreprise dans son établissement, Le Domaine de la Source, près de Marseille.
« Une aide-soignante nous a rapporté avoir du mal à faire les soins d’une dame le soir, parce qu’elle s’y oppose avec agressivité, et y être parvenue finalement après lui avoir parlé d’Algérie, où cette dame avait vécu. Cette aide-soignante avait tout trouvé, se rappelle le gérontopsychiatre. L’opposition aux soins, certainement causée par de l’anxiété, c’est un trouble du comportement. A partir de son expérience, nous avons développé la thérapie par réminiscence. Nous avons cherché des photos de l’Algérie, cherché le village où elle est née, interrogé sa famille… » Une méthode qui peut se décliner de jour comme de nuit, en EHPAD comme à domicile. A Marseille, à travers l’association d’aidants à domicile A3 dont il est le président, Thierry Bautrant a développé une thérapie non médicamenteuse par les aidants qui a porté ses fruits. « Le conjoint connaît mieux que personne les capacités restantes de la personne », estime-t-il.
Une seconde expérimentation est en cours depuis janvier 2018 : elle consiste à élire 21 EHPAD à un accompagnement des troubles du comportement. « Nous avons mené une expérimentation sur trois troubles majeurs qui interviennent la nuit (le cri, la déambulation excessive et l’opposition) avec la mise en place d’un environnement et d’une prise en charge propice au sommeil et au lever du résident, explique-t-il. Nous avons modulé la lumière, le soir, en leur faisant écouter une musique douce. L’idée étant d’associer la baisse de luminosité à quelque chose de rassurant, de bienveillant, pour apaiser l’angoisse issue de l’inversion du cycle du sommeil, grave trouble qui survient avec la maladie d’Alzheimer. Nous avons aussi changé les couleurs des habits de soignants le soir et avons mis des horloges afin de renforcer l’orientation temporelle : il faut que les résidents repèrent qu’ils sont passés en horaire de nuit pour qu’ils ne s’affolent pas de ne voir plus que deux ou trois soignants au lieu de la vingtaine de personnes qu’ils côtoient en journée. » A ce stade de l’expérimentation, une diminution des trois troubles du comportement a été observée le jour et la nuit. Pour les heures extrêmes (20 h-22 h), seuls les troubles de déambulation excessive ont connu une évolution positive.
« Il s’agit aussi de ne jamais mettre la personne en échec, d’évaluer ses capacités restantes en permanence, souligne Thierry Bautrant. Nous avons eu le cas d’un pâtissier en situation de déclin rapide qui s’opposait aux soins. Le soir, on lui a fait faire de la pâtisserie, qui était, au début, de haut niveau. Puis on lui a demandé de simplement battre les œufs en neige, puis finalement de passer le rouleau : on l’a accompagné étape par étape dans le déclin. Les méthodes Montessori, la réorientation, les thérapies par la réminiscence en se mettant en lien avec le passé de la personne pour ensuite travailler le trouble, sont autant de procédés qu’on peut mettre en place. » Le tout, pour finalement diminuer l’épuisement du personnel, éviter que les troubles non traités ne se transforment en troubles perturbateurs, et la prescription de psychotropes au but de contention physique.