En 2010, émerge la notion des « NEET » (ni en emploi, ni étudiants, ni en formation), une mesure internationale qui permet d’appréhender le phénomène des jeunes âgés de 15 à 29 ans en déshérence. Une mesure que j’ai affinée avec un nouveau critère : l’accompagnement social, essentiel aujourd’hui pour leur permettre de s’insérer dans la vie. Ces jeunes « invisibles » – ni en études, ni en formation, ni en emploi, ni en accompagnement social – ne visitent pas les missions locales. Quand on habite en zones urbaines sensibles [ZUS], on est informé de ce que fait la mission locale, mais ceux vivant en milieu diffus ne sont informés de rien et cela les rend plus vulnérables. On les retrouve enfermés chez eux, avec des parents souvent désemparés. Pourtant, en quatre ans d’entretiens, sur la centaine de jeunes rencontrés, pas un ne m’a dit : « Je ne veux rien faire ». Cette jeunesse souffre de se sentir inutile à la société.
Nous sommes face à une nouvelle sociologie de la jeunesse en difficulté. Avant, il s’agissait essentiellement de jeunes issus des ZUS, aujourd’hui 87 % des jeunes en difficulté sont hors ZUS, dont 40 % sont issus de milieux favorisés. Nous sommes face à un phénomène de descendeur social qui s’est mis en route et qui n’en finit plus aujourd’hui. Or les politiques publiques ont été pensées pour les ZUS, pas pour les jeunes des quartiers moins sensibles.
Contrairement à ce qu’on dit souvent, on ne manque pas de dispositifs en France. Mais ils sont mal répartis sur les territoires, avec des acteurs qui ne travaillent pas ensemble, qui ne mettent pas de cohérence dans leurs propositions.
Il faut noter aussi, que les politiques de raccrochage scolaire ont eu pour effet de diminuer le flux des décrocheurs mais rien n’a été fait pour le « stock », les décrochés de l’Education nationale depuis plus d’un an. Et plus ces jeunes vieillissent, moins il y a de dispositifs pour eux, du fait des limites d’âge. C’est un réel problème : les politiques jeunesse, depuis 40 ans, s’arrêtent à 26 ans alors que l’âge d’accès à l’autonomie ne fait que reculer. Récemment, le ministère du Travail a annoncé que l’apprentissage sera ouvert jusqu’à 30 ans : c’est une avancée.
L’orientation doit être réformée en profondeur. Elle est quasi inexistante dans l’éducation. Dans la société en général, les envies des jeunes ne sont pas prises en compte. Si on met un jeune dans une école de boulangerie alors qu’il voulait travailler dans la carrosserie, on le pousse au décrochage. On ne fait que remplir des cases et on oriente par l’échec : pourquoi orienter systématiquement ceux qui sont en difficulté vers les métiers manuels ? Parmi eux, il y en a qui ne sont pas manuels du tout et cela dévalorise ces métiers du même coup. En fonctionnant ainsi, on fragilise notre équilibre économique.
La politique de la ville à l’égard des jeunes en ZUS a fonctionné, il faudrait maintenant prendre en considération les jeunes qui vivent en milieu diffus. On sait que les jeunes « invisibles » ne viendront pas dans les structures car ils ne les connaissent pas ou car elles se trouvent dans des quartiers difficiles d’accès. La prévention spécialisée, avec des éducateurs qui vont à la rencontre des jeunes marginalisés, cela fonctionne dans les quartiers sensibles où tout est concentré mais pas ailleurs. C’est pourquoi nous allons lancer, avec le département des Hauts-de-France, une campagne d’information et mettre en place un numéro qui les orientera vers les structures proches de chez eux. Extérioriser les missions locales dans les autres quartiers pourrait aussi être une idée. En fonctionnant ainsi, on peut redonner de la cohésion à la jeunesse et éviter les fractures, entre les jeunes de quartiers et les autres, entre ceux qui passent par la voie royale et les décrocheurs.
• 14 millions de NEETs ((ni en emploi, ni étudiants, ni en formation) en Europe.
• Entre 500 000 et 1 million d’« invisibles » en France.
• 11 % des jeunes âgés de 30 ans vivent ou sont retournés chez leurs parents.
• 87 % des jeunes en difficulté habitent hors zones urbaines sensibles.
• 40 % des jeunes « invisibles » sont issus de milieux favorisés.