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L’égalité, sauf pour les pauvres

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Entre maladresses et manipulation, les explications de Bruno Le Maire pour justifier les économies envisagées par Bercy sur les dépenses sociales ont suscité des interrogations. Enseignant-chercheur à l’université de Lille, l’économiste Michaël Zemmour relève les failles et le manque de cohérence dans l’argumentaire du ministre de l’Economie et des finances.

Bruno Le Maire a été obligé de s’expliquer, dimanche 20 mai au soir, sur le séisme provoqué par les révélations du Monde. Deux jours plus tôt, le quotidien avait publié sur son site le contenu d’un document issu tout droit de Bercy qui recensait différentes pistes abordées par la direction du budget pour faire des économies dans les dépenses sociales. Au programme, réformes des minima sociaux, bourses et aides au logement, pour en modifier les critères d’attribution ou en réduire le montant. Une fois de plus, c’est aux plus précaires que le gouvernement « Philippe » prévoit de demander des efforts.

Arguments absurdes

« Expliquer qu’on va réduire la dépense publique sans toucher aux aides sociales ne serait pas cohérent et pas juste vis-à-vis des Français », a justifié Bruno Le Maire au micro d’Europe 1, estimant que les dépenses sociales représentaient « 50 % des dépenses publiques ». Un chiffre généreux qui prend la dépense sociale au sens large en incluant la santé, note l’enseignant-chercheur en économie Michaël Zemmour, qui souligne que les pistes d’économies avancées par Bercy « sont concentrées sur les minima sociaux », lesquels comptent pour à peine 3 % des dépenses sociales (20 milliards d’euros sur un budget de 700 milliards d’euros).

Quant à l’argument de piocher dans les aides sociales par un souci de justice vis-à-vis des Français, il pourrait presque faire sourire s’il n’était pas aussi empreint d’indécence. « Il suffit de regarder les études récentes de l’Observatoire français des conjonctures économiques pour se rendre compte que les principaux effets des réformes du gouvernement actuel sont concentrés sur les 5 % de la population les plus aisés. Après cette vague-là, proposer des économies sur les minima sociaux qui concernent les 30 % les moins fortunés, c’est rajouter une forme d’injustice », s’offusque le chercheur.

Manipulation ministérielle

Le ministre a tenté de faire passer ces pistes budgétaires pour un projet favorisant l’égalité. Il a estimé que « la manière de lutter contre les inégalités depuis 20 ou 30 ans en France » n’était « pas la bonne » puisqu’elle se résumait à « compenser les inégalités par des aides sociales toujours plus élevées » plutôt que de s’attaquer à la racine du problème, comme lui souhaitait le faire. « Si les aides sociales ont augmenté depuis la crise, c’est que le chômage de longue durée s’est accru en nombre. C’est parce qu’il y a plus de précarité qu’il y a davantage de personnes éligibles », rétablit Michaël Zemmour, qui n’a « pas l’impression que les aides sociales aient été massivement augmentées en France ces 30 dernières années ».

Bruno Le Maire a également expliqué qu’il pouvait être « légitime de réduire la politique sociale sur l’emploi » si le gouvernement réussissait à créer des emplois dans le privé. Si le raisonnement peut sembler légitime au premier abord, Michaël Zemmour estime que le ministre « joue sur les mots ». « Le chômage, comme les autres prestations, est lié à la situation des personnes. Si la situation s’améliore, la baisse des dépenses liées aux prestations sociales est automatique », précise le chercheur associé à Sciences Po Lille, qui estime qu’en l’état, la proposition de Bercy ne ferait que « diminuer les droits dans une situation donnée ».

Economies inutiles

Mais l’économiste s’interroge surtout sur l’utilité pour le gouvernement d’engager cette baisse des dépenses. « Jusqu’à cette année, on nous expliquait qu’il fallait réduire les dépenses pour arriver sous les 3 % de déficit. Là, on est à 2,6 % et on nous dit qu’il faut continuer ? Ce postulat me paraît très étrange », note Michaël Zemmour. Selon lui, ces pistes d’économies ne sont ni légitimes ni cohérentes. Outre le risque « d’aggraver les injustices », elles passent à côté des vrais enjeux des prestations sociales que sont « le montant et la lutte contre le non-recours ». Une chose est certaine : en prévoyant des économies sur des prestations accessibles sous conditions de ressources et d’un montant si faible qu’elles ne permettent pas de dépasser le seuil de pauvreté, le gouvernement légitime une fois de plus les voix l’accusant de favoriser les plus aisés.

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