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Le film de notre vie (4)

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Nous poursuivons notre exploration de la mutation sociale et sociétale qui a marqué le pays depuis Mai 68. Aujourd’hui, c’est sur l’évolution de la famille que porte notre regard. Quel chemin parcouru en un demi-siècle ! En 1968, la famille est encore articulée autour du « chef de famille » qui a tous les pouvoirs, ou presque, sur ses enfants – qui doivent d’ailleurs attendre 21 ans pour accéder à la majorité – mais aussi sur sa femme. Celle-ci vient à peine d’avoir le droit de travailler sans son autorisation, d’ouvrir un compte en banque et de prendre la pilule… Mais pour tout le reste, le chef reste le chef… Il en faudra, des combats féministes, pour aboutir à l’égalité des droits. Ce parcours des combattantes fera évoluer le modèle familial. Autrefois exclusivement nucléaire – papa, maman et les enfants – la structure famille est aujourd’hui éclatée, pulvérisée, « éparpillée façon puzzle » comme on dit dans Les tontons flingueurs. Entre les familles recomposées, monoparentales et homoparentales, chacun peut trouver sa voie. Du divorce interdit au mariage pour tous, retour sur un Big Bang.
L’explosion nucléaire de la famille

En 1968, la famille traditionnelle dite « nucléaire » (le père, la mère et les enfants) est le modèle par excellence, alors que les familles monoparentales ne représentent que 722 000 ménages. A l’époque, d’ailleurs, cette situation était souvent la conséquence de la disparition précoce d’un des parents. Depuis, la famille s’est réinventée, et les événements de Mai 68 n’y sont pas étrangers.

Mai 68 est un mouvement de lutte contre l’autorité et la répression, nous avons pu le constater avec la révolte des étudiants et la grève des ouvriers. Eh bien, dans la famille, c’est aussi le cas, comme nous l’explique François de Singly, sociologue de la famille : « 68, c’est une critique de la famille répressive, c’est-à-dire une famille qui interdit à chacun de ses membres d’être soi-même. Le père est tout puissant, il symbolise d’ailleurs toutes les autorités de la société. La famille va donc être progressivement chamboulée, les femmes vont ainsi avoir une place différente, et les enfants également. » Cette analyse se vérifie avec la loi du 4 juin 1970 qui établit l’égalité des époux qui « s’obligent mutuellement à une communauté de vie ». Cela implique l’abandon de la notion de « chef de famille », la « puissance paternelle » du code Napoléon est supprimée et remplacée par l’« autorité parentale », exercée en commun par les deux parents.

« Les mots “discipline” et “obéissance” vont perdre leur valeur centrale, commente François de Singly. En 68, l’objectif de l’éducation républicaine était la discipline : respecter les horaires, les règles de vie, ne pas parler à table, ne pas répondre… Cet objectif change avec la dynamique de 68, la négociation rentre dans les familles, l’enfant ne doit plus être obéissant mais il a le droit d’être lui-même. Ainsi, à travers la négociation, l’enfant va exprimer ce qu’il souhaite. Avant, un désir d’enfant était appelé un “caprice”, ce qui voulait dire que la parole de l’enfant n’avait aucun sens. Ce mot a totalement disparu aujourd’hui. » Effectivement, depuis des décennies, l’enfant s’exprime et existe par lui-même, et est considéré comme une personne à part entière. En novembre 1989, la Convention internationale des droits de l’enfant cèlera définitivement ce changement.

Mai 68 a donc chamboulé la famille, une dynamique a été enclenchée et, depuis, elle ne cesse d’évoluer. Ainsi, la loi du 11 juillet 1975 sur le divorce, avec l’introduction du consentement mutuel, modifie les rapports. Avant cette date, 61 000 divorces étaient prononcés, quand on parle aujourd’hui d’une moyenne de 130 000 par an. Ceci explique que, entre 1975 et 2014, la proportion des familles monoparentales soit passée de 8,2 % à 22,5 % de l’ensemble des familles, selon l’INSEE. La multiplication des divorces a également entraîné de nouvelles unions. On parle ainsi de familles « recomposées », qui sont néanmoins comptabilisées en familles traditionnelles : en 2011, l’INSEE en dénombrait 720 000.

La dernière évolution a été possible grâce à la loi du 17 mai 2013 sur le mariage pour tous. Elle a permis, certes, le mariage pour les personnes de même sexe – 40 000 ont été célébrés depuis – et également la reconnaissance des familles homoparentales en permettant l’adoption intrafamiliale et sur agrément. Selon l’APGL (Association des parents et futurs parents gays et lesbiens), ces familles sont entre 40 000 et 60 000, mais aucune statistique officielle ne le confirme, car la famille homoparentale n’est pas comptabilisée pour l’instant dans les recensements de l’INSEE.

De nos jours, la famille est donc multiple et n’obéit plus à un seul modèle : les familles dites traditionnelles ou « nucléaires » côtoient celles monoparentales, recomposées, homoparentales… Cette institution a donc su s’adapter, ce qui constitue son salut, selon le sociologue François de Singly : « C’est parce que la famille a changé qu’elle reste attractive. Si elle était restée comme avant, on la détesterait. » Une institution qui va certainement être amenée à poursuivre son évolution, en fonction, notamment, des réponses apportées aux débats sur la procréation médicalement assistée (PMA) pour tous et sur la gestation pour autrui (GPA), laquelle est interdite en France alors que, chaque année, des couples homosexuels et hétérosexuels y ont recours à l’étranger.

1968-2018

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