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« Les enfants sont terribles »

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Aujourd’hui, l’enfant est devenu roi et les conseils en tous genres pour réussir son éducation fleurissent. Etre parent est devenu un métier. Pour autant, les parents doivent-ils tout attendre de leur progéniture ? Pour le pédopsychiatre Patrick Ben Soussan, auteur de « L’art d’élever des enfants (im)parfaits », il est temps de leur ficher un peu la paix…
D’où vient cette quête de la perfection dans l’éducation des enfants que vous dénoncez dans votre livre ?

Le monde d’aujourd’hui n’est plus le même que celui d’hier. Certaines contingences socioculturelles ont fondamentalement changé. La question du désir d’enfant et de la procréation s’est complètement émancipée de la sexualité et de ce qui faisait famille auparavant ; la contraception, le travail des femmes, le mariage et la parentalité pour tous… font que la manière de se représenter le couple et l’enfant est différente. Aujourd’hui, c’est « un enfant quand je veux, comme je veux », pour reprendre les termes des années 1970. La natalité a également eu un impact majeur. Avant, quand un couple avait cinq à six enfants, s’ils échouaient avec un, il y en avait quatre ou cinq autres pour se rattraper. Aujourd’hui, quand les parents en ont un ou deux, ils ont grandement intérêt à les « réussir » car il n’y en a pas d’autres. Dans une société de plus en plus individualiste, cette réussite est aussi très narcissique : elle témoigne de leur propre succès. Le phénomène est d’autant plus marqué actuellement qu’avec le chômage, les attentats, l’insécurité ambiante, les parents sont inquiets de l’avenir de leurs enfants. Au début du XXe siècle, ils étaient persuadés que ceux-ci auraient une meilleure vie que la leur. Un siècle plus tard, c’est l’inverse : ils pensent que leurs enfants auront une vie plus difficile qu’eux. Ils ont une obligation de réussite à leur égard. Il faut qu’ils les arment pour leur donner toutes les chances possibles dès le début de leur vie. Ils construisent de futurs battants, en quelque sorte. C’est à cette anxiété que répond la prolifération de conseils donnés dans les livres, les guides, les émissions, les séries sur la parentalité.

Dans ce contexte, comment définit-on des parents « parfaits » ?

Comme nul n’est censé ignorer la loi, les parents ne sont pas censés désormais ignorer les recettes efficaces pour avoir un « bel et bon enfant », capable de gérer ses émotions, d’être fort en maths, d’augmenter sa sociabilité et son intellect. Nous vivons dans un grand village planétaire où nous sommes informés en temps réel de ce qui se passe dans le monde et où plus rien ne nous est étranger. Les parents doivent donc tout savoir de ce qu’est un enfant aujourd’hui, de ses capacités précoces, de son potentiel, de la nécessité d’être attentif à son développement ou encore des découvertes des neurosciences selon lesquelles tout se passe sur le plan neurocérébral et hormonal. Il suffirait ainsi que les parents soient positifs, qu’ils parlent bien à leurs enfants pour que certaines régions de leur cerveau comme les zones de la récompense, par exemple, soient activées et que tout se passe mieux pour eux. Je veux bien croire à la parentalité positive, à la mode depuis quelques années, mais tout n’est pas aussi simple que cela. Nous ne sommes pas des chiens que l’on dresse ni des « stimulus-réponse ». Une famille non conflictuelle, cela n’existe pas. C’est aussi dans les défaillances parentales que l’enfant se construit. Or toutes ces recettes renvoient à l’idée que nous pouvons tout maîtriser et contrôler. L’idéal contemporain qui serait que chacun gère sa petite entreprise pour son bonheur personnel est une véritable imposture. C’est un vrai déni du collectif, du lien et du « vivre ensemble ». Nous sommes dans une société très normative où notre façon d’éduquer les enfants est formatée. Les experts sont là pour améliorer le produit et satisfaire le système – autrement dit, comment faire pour que les enfants soient tels que nous aimerions les avoir et, si l’on pousse le bouchon, comment faire pour qu’ils soient de meilleurs consommateurs plus tard ?

Du coup, si un enfant ne réussit pas, à qui la faute ?

Comme pour être un bon parent, il faut être comme ci ou comme ça, le parent déviant va être remis à niveau et ramené dans le troupeau. La responsabilité parentale est majeure aujourd’hui et la société est très culpabilisante à l’égard des égarés. Si un enfant n’est pas aussi « réussi » qu’espéré, les seuls fautifs dans l’histoire sont les parents. D’abord, parce qu’ils l’ont voulu, cet enfant. La contraception procure les moyens de ne pas avoir de bébés ; donc, pour les adultes qui en font un, ce doit être un projet de vie dans lequel il faut investir. D’ailleurs, beaucoup d’adolescents rétorquent à leurs parents : « Tu n’avais qu’à ne pas me faire ! » Pour que, demain, cet enfant soit le plus beau, le plus intelligent, le plus grand, il faut lui donner la meilleure nourriture, la meilleure école, la meilleure culture… Si les parents ne font pas les bonnes choses au bon moment, ce sont eux qui ratent l’enfant, un peu comme si c’était un produit. Et comme la culpabilité parentale, et en particulier celle des mères qui donnent la vie, est une chose vieille comme le monde, ça marche. Il y a là quelque chose de l’ordre de la police des familles. Mais, comme je l’ai souligné, la place de l’ego des parents dans l’éducation des enfants est énorme. Pour tout parent, l’enfant est un peu le prolongement de lui-même.

Paradoxalement, malgré l’abondance des discours sur la parentalité, on a le sentiment que certains parents sont démunis…

En consultation, j’ai désormais beaucoup de parents qui me demandent de faire quelque chose parce que leur bébé de 4 mois ne dort pas. C’est très étonnant. Pendant des années et des années s’est transmise l’idée que, dans les premiers mois de la vie, l’enfant découvre ses grandes fonctions, que cela va être compliqué pour les parents, qu’ils vont avoir des nuits blanches le temps que le bébé trouve son rythme… Aujourd’hui, il n’y a plus ça. La nouvelle génération de parents est dans une attente infinie de réponses pratiques. L’individualisme prend le pas. A la fois, la place de l’enfant devient centrale – c’est l’« enfant roi » – et, parallèlement, il ne faut pas qu’il enquiquine trop ses parents. Il faut qu’il soit autonome rapidement. C’est un des grands changements de ces derniers temps. Il engendre un modèle incessant de négociation entre parents et enfants, avec une idée sous-jacente : « Tu me laisses tranquille et je te laisse tranquille… »

Les parents ont-ils encore droit à l’erreur aujourd’hui ?

Si les parents ratent l’éducation de leurs enfants, eux ne vont pas les rater. Les enfants sont terribles sur ce point : il ne faut surtout pas attendre leur reconnaissance, ils auront toujours quelque chose à reprocher à leurs parents. Ces derniers doivent déculpabiliser et arrêter de vouloir être parfaits. Eduquer sera toujours source d’insatisfaction. A une maman qui lui demandait comment réussir l’éducation de son fils, Freud a répondu : « Faites, faites, de toute façon vous ferez mal. » Cela a été interprété comme de la culpabilisation mais, en réalité, il voulait dire : « Faites ce que vous pouvez en sachant que vous vous tromperez. » Donc ils doivent faire ce qui est opportun et important pour eux, du mieux qu’ils peuvent et avec bienveillance. En général, c’est ce qu’ils font. Après, la vie fait le reste. « L’humanité, c’est du bricolage », disait Claude Lévi-Strauss. On fait avec les moyens du bord. Si les parents se loupent une fois, ils se rattraperont la fois suivante. La vie repasse les plats. Le temps de l’enfance ne dure pas un an ni même dix, mais des années et des années. En outre, les parents ne sont pas les seuls déterminants de la vie de leurs enfants. Ils ont une part de route à construire eux-mêmes. Ils vont connaître d’autres personnes, découvrir d’autres univers, d’autres apprentissages, d’autres cultures, rencontrer sur leur chemin des « tuteurs de résilience », comme dirait Boris Cyrulnik… Il faut que les parents cessent de penser qu’ils sont tout pour leurs enfants et que ces derniers sont tout pour eux. Ils ont le droit de voir grand pour eux, mais eux ont celui de les décevoir.

Diriez-vous qu’il faut ficher un peu la paix aux enfants ?

Avoir un enfant est un engagement, il ne faut pas le nier. La parentalité induit une responsabilité importante. Au début de sa vie, le bébé a un besoin vital de l’autre à côté de lui, sans quoi il meurt. L’enracinement de l’enfant est un travail parental capital. Il y a aussi des choses sur lesquelles les parents ne doivent pas transiger, comme la question de la transmission et des valeurs, c’est-à-dire ce à quoi ils croient. Pour le reste, effectivement, il faut leur ficher la paix. Les enfants ont leur horizon à explorer et à définir. Qu’ils soient collés à leur smartphone n’est pas si grave. Ils sont là pour mettre du désordre dans nos vies bien rangées. Il ne faut pas avoir peur non plus des conflits. A partir du moment où des parents s’inscrivent dans la parentalité, ils s’inscrivent dans les désaccords, les rivalités… Ne serait-ce que parce que l’enfant est appelé un jour à les remplacer sur terre. Sa naissance est déjà la potentialité de leur mort qui pointe. Mais si, ces dernières années, avoir un enfant était un gage d’épanouissement pour les adultes, je vois beaucoup de parents maintenant qui n’en peuvent plus et qui s’en passeraient bien. Mais, surtout, il ne faut pas le dire !

Repères

Patrick Ben Soussan est pédopsychiatre et responsable du département de psychologie clinique à l’institut Paoli-Calmettes à Marseille. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur la petite enfance. Son dernier livre De l’art d’élever des enfants (im)parfaits (Ed. érès, 2018) est une sorte d’anti-manuel de la parentalité.

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