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La probité dans l’action publique

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La probité dans l’action publique

Crédit photo Justine Honoré
Didier Girard Docteur en droit public, chargé d’enseignement à l’Université de Bretagne occidentale, consultant-chercheur au cabinet Drai avocats (barreau de Paris).

La confiance des citoyens dans la chose publique (res publica) est un élément fondamental de légitimation des gouvernants dans un système démocratique et permet de distinguer le domaine « privé » des décideurs publics et le domaine fonctionnel où ils agissent ès qualités.

Cette distinction est nécessaire au concept d’Etat moderne car il implique la non-patrimonialisation de la puissance publique qui ne peut être réduite à un simple bien cessible comme un autre alors que tel était le cas auparavant(1).

En effet, la conception moderne de l’Etat distingue celui-ci comme étant un élément permanent et détaché de la personne des dirigeants qui doivent agir non pour leur propre cause mais pour le bien commun. Cela implique donc de définir une ligne de conduite indépendante, l’intérêt général, qui doit être suivie par l’Etat et ses démembrements.

Si la morale ou les programmes politiques d’exemplarité peuvent certainement jouer un rôle dans le maintien d’un haut niveau de probité des décideurs publics, la contrainte juridique demeure la voie privilégiée en la matière en raison de son caractère obligatoire.

Le droit français n’échappe pas à ces contraintes. Si, de manière contemporaine, certains textes peuvent résulter d’une réaction du législateur faisant suite à une prise de conscience de l’opinion publique de manquements commis par certains dirigeants, d’autres résultent de choix politiques volontaristes.

Il en résulte un enchevêtrement de textes souvent délicats à appréhender dans leur globalité. Certains textes sont propres à la matière administrative, d’autres à la matière pénale et peuvent être soit généraux, soit spéciaux. La lisibilité et l’intelligibilité du droit sont ici peu avérées et donc source de complexité et d’incompréhension.

En réalité, il convient de rechercher en premier lieu la volonté de principe du législateur et des autorités publiques qui est d’avoir des élus et agents publics intègres et indépendants des intérêts privés. Par exception, et pour des raisons essentiellement pratiques, le législateur a admis certaines situations dans lesquelles une même personne est susceptible de se trouver en conflits d’intérêts et peut néanmoins agir et passer outre.

C’est ainsi que les décisions des autorités publiques sont soumises à de multiples règles de probité qui donnent lieu à un contrôle par le juge administratif et, le cas échéant, à des sanctions pénales.

I. Le contrôle du respect de la probité publique par le juge administratif

La Révolution française a imposé(2) le principe du contrôle de l’administration de tout représentant de la puissance publique. Notre tradition juridique distingue cependant des modalités de contrôle différenciées pour les titulaires de mandats électifs et les autres administrateurs(3). Le juge administratif, juge naturel de l’administration et de la puissance publique, est compétent pour en connaître mais il apparaît parfois délicat pour un administré de justifier du bien-fondé de ses prétentions en la matière. C’est ainsi que les juridictions financières complètent ce dispositif de contrôle.

 

A. Le contrôle de la probité des élus

1. En dehors du cas particulier des parlementaires(4), c’est le juge administratif de droit commun (tribunaux administratifs, cours administratives d’appel et Conseil d’Etat) qui est amené à contrôler et à sanctionner les actes et actions de l’administration lorsqu’il est saisi à cette fin. Les voies procédurales sont multiples et peuvent prendre la forme de référés afin de disposer d’une décision provisoire dans des délais très brefs. Cependant, le contrôle de légalité des actes est assuré principalement par la voie du « recours pour excès de pouvoir » qui est un recours en annulation pour violation d’une règle de droit dirigé contre une décision administrative à la demande de tout intéressé et qui est dispensé de l’obligation de recourir à un avocat. On signalera que, depuis la décentralisation, le préfet peut également déférer au juge administratif les actes des collectivités territoriales qu’il estime illégaux.

Dans le cadre particulier du respect des règles déontologiques et de la sanction des conflits d’intérêts, le juge administratif peut être ainsi amené à annuler rétroactivement un acte pris en violation des principes administratifs imposant une probité et une impartialité des décideurs publics(5).

2. Les délibérations des communes, des établissements publics communaux et des établissements publics de coopération intercommunale (métropoles, communautés d’agglomérations…) ne peuvent être adoptées lorsque l’un des membres de l’assemblée locale est « intéressé » à l’affaire qui en fait l’objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires(6). Or les actes les plus importants des collectivités locales doivent être adoptés en cette forme collégiale.

Il résulte de cette règle légale que lorsqu’un élu se trouve dans une situation de conflit d’intérêts, il est censé se déporter afin de ne pas interférer dans le processus décisionnel. Inversement, une délibération serait illégale si elle était adoptée après qu’un élu est écarté par le maire alors qu’il n’est nullement « intéressé »(7).

Il est parfois délicat de déterminer si un conflit d’intérêt existe. Le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser qu’il convenait pour ce faire de rechercher si l’intérêt à l’affaire se confond ou se distingue des intérêts de la généralité des habitants(8). L’intérêt, ici en cause, peut être familial(9), financier(10), professionnel(11).

Il se doit d’être précisé que le maire, qui est aussi un membre du conseil municipal, est également soumis à ces règles. Or il peut être amené à présider ou diriger divers organismes d’intérêt public ou paramunicipaux ; en effet, un tel cumul est autorisé sauf texte contraire. Dès lors, toute délibération par laquelle le conseil municipal adopte un acte concernant ces organismes devrait impliquer un déport(12). La même solution est étendue aux membres du conseil municipal qui participent aux organes directeurs d’une telle structure. A noter : la circonstance selon laquelle la participation est statutairement imposée est ici sans incidence sur l’obligation de déport.

Toutefois, dans un souci de « réalisme et de pragmatisme », le juge administratif admet qu’il n’y a pas d’obligation de déport lorsque l’assemblée délibérante statue sur ses propres modalités de fonctionnement(13) ou que les intérêts de l’élu sont les mêmes que ceux des autres habitants(14).

De même, le législateur est venu encadrer les modalités d’application de ces règles de déport lorsque les élus locaux agissent en tant que mandataires des collectivités territoriales ou de leurs groupements au sein du conseil d’administration ou de surveillance des sociétés d’économie mixte. Ne sont donc pas considérés comme « intéressés », les élus présents dans certains de leurs organes directeurs. Ils peuvent ainsi, dans cette mesure, participer aux délibérations en cause(15).

De plus, la jurisprudence administrative exige désormais que l’élu ait pu exercer une influence sur l’adoption de la délibération y compris au stade préparatoire. Il serait donc illégal de ce fait qu’une délibération accordant une subvention à un organisme dont le maire est président soit adoptée en sa présence, surtout s’il assure les fonctions de rapporteur(16) ou de président de séance(17). Inversement, la délibération pourrait être légale si le conseiller concerné n’a aucune influence et reste volontairement en retrait(18), ce qui demeure complexe à démontrer à chaque occurrence.

A cet égard, selon le Conseil d’Etat, la gestion d’une maison de retraite par une association à but non lucratif, dont le conseil d’administration est composé de membres du conseil municipal, entre parfaitement dans cette situation de conflits d’intérêts(19), même si c’est à titre bénévole qu’ils agissent. Cette solution est transposable à toutes les associations et structures assimilables gérant ou opérant des actions sociales(20).

(A noter) Il n’existe aucune disposition équivalente pour les membres des assemblées délibérantes départementales et régionales. Mais cette omission a des conséquences réduites dès lors qu’un tel manquement est susceptible de relever d’une qualification pénale et que la loi du 11 octobre 2013 impose une solution similaire à tout membre du gouvernement ou titulaire d’un mandat local(21). Or ce texte récent vise, justement, à pallier les carences des textes antérieurs ; les solutions anciennes propres au conseil municipal peuvent donc être transposées à l’ensemble des actes et décisions adoptées par les élus locaux agissant seuls ou collégialement(22).

3. Il existe également des règles spéciales de déport qui se combinent avec cette règle générale sus-évoquée. C’est le cas pour la participation du maire à certains organes communaux lorsque le choix du prestataire dépend du résultat des choix en suspens ou des candidats, pour la cession de certains biens communaux au profit des élus(23) ou pour l’adoption du compte administratif(24).

L’interprétation opérée par les juges est ici beaucoup plus sévère et ne souffre nulle adaptation. La règle spéciale étant entendue strictement dans son champ d’application, elle doit être mise en œuvre avec la rigueur la plus extrême(25).

 

 

B. Le contrôle de la probité des agents publics

1. Le principe général du droit selon lequel l’administration se doit d’être impartiale(26), impose aux agents publics (titulaires et contractuels) de traiter les affaires dont ils ont connaissance en toute neutralité et en s’abstenant de prendre toute prise de position publique qui serait de nature à mettre à mal sa mise en œuvre(27). Toutefois, si un tel principe jurisprudentiel est parfaitement obligatoire en droit(28), son appréhension est souvent très délicate à raison de l’imprécision de sa formalisation.

Pour pallier cette difficulté, de nombreux textes normatifs (décrets, arrêtés) ou d’application (circulaires, instructions, notes de service) sont intervenus de manière ponctuelle.

Mais c’est la loi du 20 avril 2016(29) qui va faire profondément évoluer l’état du droit en la matière en conférant un cadre national et universel aux obligations déontologiques des fonctionnaires qui sont ainsi systématisées. Elle est, à cet égard, complémentaire à la loi du 11 octobre 2013 qui vise les élus locaux.

En effet la loi définit désormais clairement la notion clef de « conflits d’intérêt » en matière administrative comme étant « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions ».

On relève que cette définition couvre aussi bien une dimension matérielle qu’un volet formel quant à l’apparence d’impartialité. Le vade-mecum des procédés de résolution de la situation de conflits d’intérêt qui en résulte induit généralement le déport du fonctionnaire.

On constatera que ces dispositions ne sont pas expressément applicables aux élus ; ceci est logique au regard de la tradition juridique française mais demeure complexe au plan local où les élus locaux et les membres du gouvernement demeurent des autorités administratives(30).

2. Mais il convient de rappeler que très tôt le juge administratif a été confronté à une motivation extra-juridique de certains actes de l’administration qui étaient en réalité réalisés dans un but politique ou personnel. C’est ainsi que la notion de « détournement de pouvoir » a été consacrée(31) et que, le cas échéant, le juge prononce l’annulation des mesures concernées.

Le détournement de pouvoir a, dans un premier temps, entendu sanctionner un acte dépourvu de tout intérêt public : vengeance personnelle(32), politique partisane(33), faveur à un administré(34)

Il a ensuite sanctionné un acte qui peut servir un intérêt public mais sur une base légale incompatible et biaisée : expropriation irrégulière(35), organisation volontaire d’un échec à l’exécution d’une décision de justice(36)

Toutefois, si le détournement de pouvoir est souvent invoqué devant le juge, il n’est que rarement retenu par ce dernier. En effet, la charge de la preuve incombe normalement au demandeur et un acte entaché de détournement de pouvoir est rarement légal sur les autres chefs de légalité en litige. Le juge a donc tendance à privilégier l’annulation pour des motifs de pur droit qui sont peu discutables en cause d’appel ou sur le plan politique.

 

 

C. Le contrôle de la probité publique par les juridictions financières

1. Les juridictions financières (Cour des comptes, chambres régionales des comptes) sont chargées de vérifier la bonne utilisation des deniers publics et de sanctionner les irrégularités comptables. Cependant, leur compétence n’est nullement universelle mais couvre uniquement les acteurs publics ou ceux qui sont en lien avec ces derniers.

Ainsi, l’Etat, les personnes morales de droit public (établissements publics ou groupements publics), les collectivités territoriales et leurs établissements, les organismes de sécurité sociale et les structures hospitalières, les entreprises publiques sont soumis de plein droit à son office(37). La Cour des comptes peut même contrôler les « politiques publiques » dans leur globalité(38).

Cependant, il était originellement possible de contourner la rigueur de ce contrôle en transférant des concours financiers dans une structure, idéalement de droit privé, qui était ainsi un faux nez de l’administration et soustraite aux stricts contrôles relevant du droit public ; tel n’est plus le cas désormais.

En effet, le législateur a étendu le champ du contrôle du juge financier aux entreprises publiques et aux organismes tiers qui reçoivent des concours publics considérés comme importants (en proportion de leur budget) soit en valeur absolue (seuil de 1 500 €) afin de s’assurer de leur bon emploi. Il en est de même des délégataires de service public, des organismes bénéficiant de dons éligibles à un avantage fiscal ou d’un prélèvement obligatoire(39).

Ces derniers chefs de compétence ne sont pas à négliger car ils permettent d’inclure la presque totalité du monde associatif lié au secteur social dès lors qu’un financement public est opéré.

Enfin, le recours à des structures paramunicipales pour gérer certaines politiques publiques ne fait plus obstacle au contrôle du juge financier, bien que le procédé ne soit nullement illégal en soi. Il ne peut conduire à s’exonérer des règles relatives au droit public (marchés publics…) par des manœuvres ou des montages artificiels. On parle alors d’« associations transparentes » car elles sont, de fait ou de droit, dirigées et pilotées par l’exécutif local et dès lors assimilées à des structures publiques.

2. Les contrôles du juge financier s’opèrent sur pièces ou sur place et font l’objet d’un encadrement procédural prévu par le code des juridictions financières(40).

Le contrôle sur pièces implique l’examen des documents de gestion et des pièces comptables les justifiant. C’est d’ailleurs très souvent à ce stade que le contrôle relève des carences dans la bonne gestion des organismes en cause. Une délégation de service public ou l’octroi de subventions peuvent imposer de rendre compte de l’emploi des fonds publics au délégant ; l’absence des documents annuels de synthèse exigibles est ici révélatrice d’une volonté de non-transparence et induit souvent des investigations complémentaires.

Le contrôle sur place s’opère classiquement suivant les formes suivies par l’administration et permet de vérifier in situ la concrétisation des documents comptables.

On signalera que le contrôle peut s’attacher à l’ensemble des éléments financiers de la structure contrôlée : train de vie des dirigeants, frais de représentation, véhicules de l’organisme, voyages, affectation des budgets…

L’issue du contrôle prend la forme d’un rapport qui peut, selon les cas, être contradictoirement débattu pendant le contrôle ou après celui-ci et qui devra être communiqué à l’assemblée délibérante.

Ce rapport peut donner lieu à trois séries de suite(41) :

→ une transmission à une autorité administrative ou politique qui déterminera les suites à y accorder étant précisé qu’il y a parfaitement possibilité de cumuler les suites ;

→ l’ouverture d’une procédure de sanction devant les juridictions financières ;

→ l’ouverture de poursuites pénales à la suite d’une transmission du dossier au ministère public.

3. Les juridictions financières sont également chargées de vérifier les comptes des comptables publics.

Ceci est ici d’un intérêt limité sauf lorsqu’il y a maniement irrégulier de fonds public ce qui est souvent le cas dans le cadre des « associations transparentes ». En ce cas, la violation de la règle de séparation des ordonnateurs et des comptables implique une déclaration des « gestion de fait »(42) qui ou pour conséquence de rendre la juridiction financière compétente. Des amendes peuvent être prononcées à l’égard du comptable(43).

4. Les poursuites financières devant la Cour de discipline budgétaire et financière peuvent être engagées par le ministère public lorsque de graves anomalies sont constatées.

Les infractions financières sont nombreuses (dépenses irrégulièrement engagées, omissions déclaratives fiscales, avantage injustifié au profit d’un tiers en toute matière…). Elles peuvent se cumuler, dans certaines limites, avec les sanctions pénales(44).

 

II. La sanction des manquements à la probité publique par le juge pénal

Le juge pénal est compétent pour connaître des crimes et délits contre la probité publique. Parmi les multiples délits existant en la matière, la prise illégale d’intérêts et le « favoritisme » sont parmi les plus fréquemment poursuivis. Toutefois, ceci n’est pas exclusif de poursuites fondées sur d’autres bases légales.

 

A. La prise illégale d’intérêts

1. La prise illégale d’intérêts(45) est un délit qui consiste, pour un décideur public, à disposer d’intérêts dans une entreprise liée avec la personne publique ou une opération dans laquelle cette même personne publique est impliquée. Autrement dit, il vise à sanctionner le fait d’être à la fois décideur public et bénéficiaire privé, même indirect, d’une opération commune et donc de faire obstacle à tout « mélange de genres ». L’ancien code pénal parlait de « délit d’ingérence ».

Le texte d’incrimination est volontairement large quant aux personnes visées. Sont bien entendu visés les décideurs publics « officiels » (maires(46), président d’exécutifs locaux et leurs adjoints[47]) mais également ceux qui assurent ou contribuent de facto au pouvoir décisionnaire tels que les autres élus(48), les agents publics(49) ou les dirigeants d’organismes publics ou privés chargés d’une mission de service public. Un simple pouvoir de proposition ou d’avis est suffisant à cet égard, ce qui, potentiellement, permet d’inclure l’essentiel des agents publics ou les membres d’organismes privés en lien avec la collectivité publique dans le champ d’incrimination.

C’est ainsi que le président d’un conseil départemental de la Croix-Rouge, constitué sous la forme d’une association chargée d’une mission de service public, a pu valablement être poursuivi(50).

Il est à noter que l’intérêt en cause peut être purement moral(51) et donc « politique ». A ce titre, un élu membre des organes directeurs d’une association ne peut obtenir, même indirectement, de subvention à celle-ci(52).

Cet élément, qui est souvent occulté par la pratique locale, est en réalité très important et doit justifier la plus grande prudence et retenue des acteurs locaux : la présidence d’une association, qu’elle soit effective ou honorifique, est une situation source de conflits d’intérêts indépendamment de l’objet social poursuivi. Des associations ayant un rôle social, médico-social ou de simples amateurs sportifs sont donc placés dans une stricte situation d’égalité à cet égard.

2. L’une des particularités du délit de prise illégale d’intérêts réside en ce que la « victime » peut n’avoir subi aucun préjudice(53). Autrement dit, le délit est punissable même si l’action entreprise ne cause aucun tort patrimonial à la collectivité publique, y compris si l’opération litigieuse a été abandonnée avant même sa réalisation(54).

L’utilisation de personnes intermédiaires, des « hommes de paille », est également indifférente à la réalisation du délit. Ainsi, les procurations, contre-lettres et autres liens d’allégeances – même informels – ne font nullement obstacles aux poursuites(55).

Cette infraction, largement définie, est donc de nature à permettre la poursuite théorique de tout élu local qui serait l’auteur de tels faits. Mais peuvent s’y adjoindre des poursuites pour complicité(56) (conjoint, amis ou relations d’affaires de l’élu) ou recel (proches, héritiers ou ayants droit). La loi autorise cependant, pour les communes les plus petites (3 500 habitants au plus), certaines dérogations limitativement énumérées(57).

3. La jurisprudence récente en la matière est particulièrement variée et permet de constater que les juridictions pénales entendent prononcer des peines adaptées à chaque circonstance (voir tableau ci-après). Certaines carrières politiques ont été définitivement interrompues pour cela.

 

 

B. Le favoritisme

1. L’infraction de « favoritisme »(58) se rencontre dans le domaine de la commande publique. Elle consiste pour un décideur public de procurer un avantage contraire à la liberté d’égalité d’accès aux contrats de l’administration.

En préalable, il convient de rappeler que les marchés publics et les concessions publiques constituent des contrats de la commande publique pour la conclusion desquels un formalisme concurrentiel est imposé par la loi. Ce formalisme, qui peut être allégé pour les « petits » contrats, vise à garantir une saine compétition entre opérateur afin que tous puissent avoir accès la commande publique et que cette dernière puisse en contrepartie disposer des meilleurs fournisseurs sur les plans qualitatif ou financier(59).

Le favoritisme vise donc à privilégier, même sans contrepartie, un opérateur économique dans ce cadre en contradiction directe des textes.

A la différence du délit de prise illégale d’intérêts, le « délit de favoritisme » est un délit intentionnel(60) qui implique donc une conscience de la méconnaissance de la loi. C’est d’ailleurs en raison de cette exigence que l’excuse d’ignorance est souvent invoquée(61) afin de rechercher une réponse pénale moins sévère ; elle n’est toutefois pas de nature à faire obstacle à une condamnation.

2. L’avantage injustifié peut résulter tout d’abord d’une action dans le choix des procédures concurrentielles. Les autorités publiques peuvent disposer de multiples procédures qui leur sont offertes par les textes. Or si le choix opéré vise à favoriser quelqu’un, alors le délit est consommé(62). Il en est de même en cas de fragmentation artificielle du marché en plusieurs lots ou marchés indépendants(63) ou même du refus pur et simple de toute mise en concurrence(64).

Mais, l’avantage peut également résulter ensuite de la manière dont la procédure est conduite. Ainsi, le non-respect des critères préalablement définis de sélection des offres au profit de certaines opérateurs économique caractérise ce délit(65) ; il en est de même en cas d’exigence de travaux supplémentaires ou d’ententes entre candidats avec ou sans l’acheteur public(66).

3. Cette infraction ne doit pas être sous-estimée car elle trouve parfaitement à s’appliquer lorsqu’une association, une mutuelle ou un organisme privé se voit confier la réalisation de prestations par une collectivité publique. Si les très faibles marchés (inférieurs à 25 000 € annuels HT)(67) ne sont pas soumis à des obligations formelles de mise en concurrence préalable, il n’en demeure pas moins qu’il est recommandé de ne pas se limiter à un unique partenaire en ce cas et de justifier des prix par l’établissement de devis prévisionnels.

(A noter) Si le seuil de 25 000 € est atteint en cours d’année pour un même prestataire, il convient de vérifier si ce dépassement est extrêmement limité et ponctuel ou s’il permet de constater a posteriori une éventuelle irrégularité de la procédure qui pourrait être source de poursuites pénales en cas de mauvaise définition des besoins de la personne publique(68).

Le juge peut personnaliser les peines prononcées dont la jurisprudence récente fournit quelques exemples :

 

 

C. Les autres infractions

1. La corruption(69) consiste à obtenir une décision favorable à ses intérêts par un décideur public en contrepartie d’avantages ou de présents destinés à l’influencer. Ce sont donc la privatisation et la patrimonialisation des décisions de la collectivité publique qui sont sanctionnées. Infraction particulièrement grave pour la probité publique, elle est dès lors plus fortement sanctionnée que le délit de prise illégale d’intérêts. La contrepartie peut être matérielle ou immatérielle, préalable ou postérieure ; toutes sont prohibées.

Elle se distingue du « trafic d’influence » qui vise le cas particulier où l’autorité publique en cause agit envers d’autres autorités publiques : elle use – ou du moins essaye ou le fait croire – de son influence pour arriver à un but favorable à un tiers. Autrement dit, elle tentera d’« infléchir » l’autorité compétente.

La difficulté, en termes de répression, vient de ce qu’il est fréquent désormais que la contrepartie soit effectuée en « nature » par la réalisation de travaux gratuits ou fortement remisés au profit du maire qui vient d’attribuer un marché public à l’entrepreneur(70) ; de la conclusion d’un emprunt bancaire à des conditions hors marché à titre personnel de manière concomitante à la conclusion d’un prêt pour une commune.

Les peines prononcées sont toujours plus sévères en matière de corruption d’agents publics qu’en matière de corruption privée et des peines privatives de libertés sont fréquemment relevées.

2. La création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a fait suite à diverses « affaires » particulièrement médiatisées. Pour y mettre un terme le Parlement, a instauré une obligation déclarative pour les principaux élus et décideurs publics comprenant une déclaration de patrimoine ainsi qu’une déclaration d’intérêts(71). Les omissions déclaratives ou les déclarations mensongères sont pénalement sanctionnées.

Ce dispositif a une double finalité : permettre aux autorités publiques et aux électeurs de contrôler l’enrichissement des élus et leur éventuelle probité mais également, en cas de contentieux, de s’assurer que les activités sources de conflits d’intérêts ont bien été prises en compte.

Le caractère récent de ce dispositif ne permet pas d’apprécier si son efficacité est à la hauteur des aspirations de ses créateurs, mais force est de constater que de nombreuses activités annexes, auparavant exercées par les décideurs publics dans une très grande discrétion, sont désormais connues alors qu’elles peuvent légitimement soulever des interrogations pour le citoyen.

Les exigences de probité des décideurs et acteurs publics sont encadrées par de multiples textes dont il est parfois délicat de déterminer les limites pratiques mais qui s’avèrent indispensables dans un Etat de droit démocratique.

Il se doit d’être signalé que la limitation du cumul des mandats et des fonctions est de nature à simplifier cette problématique, en restreignant les possibilités de conflits d’intérêts, mais non de la solutionner intégralement dès lors que ce sont les mandats locaux qui sont la principale source de conflits d’intérêts du fait de nombreuses fonctions induites (présidences honorifiques, présidences ès qualités…).

Au regard des risques contentieux, tant administratif que pénal, il ne peut être que judicieux d’anticiper les potentielles difficultés en la matière avec les services chargés d’assister les élus. Ainsi, la déclaration d’intérêts pourra s’avérer un document particulièrement salvateur.

Le risque administratif trouvera principalement sa source dans les citoyens locaux et l’opposition locale d’une part mais également, d’autre part, dans les contrôles financiers périodiques qui peuvent induire des procédures répressives.

Le risque pénal, qui ne doit pas être négligé, implique la plus grande rigueur quant aux éventuelles divergences et convergences d’intérêts au regard des délais de prescription qui courent à compter de la dernière opération financière ou administrative en cause et ce pour 6 années.

Ces exigences législatives peuvent apparaître comme particulièrement formelles et sévères en la matière ; en réalité, elles ne sont que la matérialisation de l’idéal de probité astreint par le législateur à nos gouvernants.

 

III. Les Textes

 

A. Code général des collectivités territoriales

Article L. 2131-11 : Sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l’affaire qui en fait l’objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires.

Article L. 2131-12 : Les dispositions des articles L. 2131-1 à L. 2131-11 sont applicables aux établissements publics communaux.

 

 

B. Code des juridictions financières

Article L. 312-1 : I. –Est justiciable de la Cour [de discipline budgétaire et financière] :

a) Toute personne appartenant au cabinet d’un membre du gouvernement ;

b) Tout fonctionnaire ou agent civil ou militaire de l’Etat, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics ainsi que des groupements des collectivités territoriales ;

c) Tout représentant, administrateur ou agent des autres organismes qui sont soumis soit au contrôle de la Cour des comptes, soit au contrôle d’une chambre régionale des comptes ou d’une chambre territoriale des comptes.

Sont également justiciables de la Cour tous ceux qui exercent, en fait, les fonctions des personnes désignées ci-dessus.

II. –Toutefois, ne sont pas justiciables de la Cour à raison des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions :

a) Les membres du gouvernement ;

b) Les présidents de conseil régional […] ;

c) Le président du conseil exécutif de Corse […] ; […]

d) Les présidents de conseil départemental […] ;

e) Les maires […] ;

f) Les présidents élus de groupements de collectivités territoriales et, quand ils agissent par délégation du président, les vice-présidents et autres membres de l’organe délibérant du groupement ; […]

m) S’ils ne sont pas rémunérés et s’ils n’exercent pas, directement ou par délégation, les fonctions de président, les administrateurs élus des organismes de protection sociale relevant du contrôle de la Cour des comptes et agissant dans le cadre des dispositions législatives ou réglementaires ;

n) S’ils ne sont pas rémunérés et s’ils n’exercent pas les fonctions de président, les administrateurs ou agents des associations de bienfaisance assujetties au contrôle de la Cour des comptes ou d’une chambre régionale des comptes.

Les personnes mentionnées aux a) à l) ne sont pas non plus justiciables de la Cour lorsqu’elles ont agi dans des fonctions qui, en raison de dispositions législatives ou réglementaires, sont l’accessoire obligé de leur fonction principale.

Article L. 313-1 : Toute personne visée à l’article L. 312-1 qui aura engagé une dépense sans respecter les règles applicables en matière de contrôle financier portant sur l’engagement des dépenses sera passible d’une amende dont le minimum ne pourra être inférieur à 150 euros et dont le maximum pourra atteindre le montant du traitement ou salaire brut annuel qui lui était alloué à la date à laquelle le fait a été commis.

Article L 313-3 : Toute personne visée à l’article L. 312-1 qui aura engagé des dépenses sans en avoir le pouvoir ou sans avoir reçu délégation de signature à cet effet sera passible de l’amende prévue à l’article L. 313-1.

Article L. 313-6 : Toute personne visée à l’article L. 312-1 qui, dans l’exercice de ses fonctions ou attributions, aura, en méconnaissance de ses obligations, procuré à autrui un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l’organisme intéressé, ou aura tenté de procurer un tel avantage sera passible d’une amende dont le minimum ne pourra être inférieur à 300 euros et dont le maximum pourra atteindre le double du montant du traitement ou salaire brut annuel qui lui était alloué à la date de l’infraction.

 

 

C. Code pénal

Article 432-11 : Est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 000 000 euros, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction, le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public, ou investie d’un mandat électif public, de solliciter ou d’agréer, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour elle-même ou pour autrui :

1° Soit pour accomplir ou avoir accompli, pour s’abstenir ou s’être abstenue d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat ;

2° Soit pour abuser ou avoir abusé de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d’une autorité ou d’une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable.

Article 432-12 : Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 500 000 euros, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction.

Toutefois, dans les communes comptant 3 500 habitants au plus, les maires, adjoints ou conseillers municipaux délégués ou agissant en remplacement du maire peuvent chacun traiter avec la commune dont ils sont élus pour le transfert de biens mobiliers ou immobiliers ou la fourniture de services dans la limite d’un montant annuel fixé à 16 000 euros.

En outre, dans ces communes, les maires, adjoints ou conseillers municipaux délégués ou agissant en remplacement du maire peuvent acquérir une parcelle d’un lotissement communal pour y édifier leur habitation personnelle ou conclure des baux d’habitation avec la commune pour leur propre logement. Ces actes doivent être autorisés, après estimation des biens concernés par le service des domaines, par une délibération motivée du conseil municipal.

Dans les mêmes communes, les mêmes élus peuvent acquérir un bien appartenant à la commune pour la création ou le développement de leur activité professionnelle. Le prix ne peut être inférieur à l’évaluation du service des domaines. L’acte doit être autorisé, quelle que soit la valeur des biens concernés, par une délibération motivée du conseil municipal.

Pour l’application des trois alinéas qui précèdent, la commune est représentée dans les conditions prévues par l’article L. 2122-26 du code général des collectivités territoriales et le maire, l’adjoint ou le conseiller municipal intéressé doit s’abstenir de participer à la délibération du conseil municipal relative à la conclusion ou à l’approbation du contrat. En outre, par dérogation au deuxième alinéa de l’article L. 2121-18 du code général des collectivités territoriales, le conseil municipal ne peut décider de se réunir à huis clos.

Article 432-13 : Est puni de trois ans d’emprisonnement et d’une amende de 200 000 euros, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction, le fait, par une personne ayant été chargée, en tant que membre du gouvernement, membre d’une autorité administrative indépendante ou d’une autorité publique indépendante, titulaire d’une fonction exécutive locale, fonctionnaire, militaire ou agent d’une administration publique, dans le cadre des fonctions qu’elle a effectivement exercées, soit d’assurer la surveillance ou le contrôle d’une entreprise privée, soit de conclure des contrats de toute nature avec une entreprise privée ou de formuler un avis sur de tels contrats, soit de proposer directement à l’autorité compétente des décisions relatives à des opérations réalisées par une entreprise privée ou de formuler un avis sur de telles décisions, de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans l’une de ces entreprises avant l’expiration d’un délai de trois ans suivant la cessation de ces fonctions.

Est punie des mêmes peines toute participation par travail, conseil ou capitaux dans une entreprise privée qui possède au moins 30 % de capital commun ou a conclu un contrat comportant une exclusivité de droit ou de fait avec l’une des entreprises mentionnées au premier alinéa.

Pour l’application des deux premiers alinéas, est assimilée à une entreprise privée toute entreprise publique exerçant son activité dans un secteur concurrentiel et conformément aux règles du droit privé.

Ces dispositions sont applicables aux agents des établissements publics, des entreprises publiques, des sociétés d’économie mixte dans lesquelles l’Etat ou les collectivités publiques détiennent directement ou indirectement plus de 50 % du capital (…).

L’infraction n’est pas constituée par la seule participation au capital de sociétés cotées en bourse ou lorsque les capitaux sont reçus par dévolution successorale.

Article 432-14 : Est puni de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 200 000 euros, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction, le fait par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public ou exerçant les fonctions de représentant, administrateur ou agent de l’Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics, des sociétés d’économie mixte d’intérêt national chargées d’une mission de service public et des sociétés d’économie mixte locales ou par toute personne agissant pour le compte de l’une de celles susmentionnées de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession.

 

 

D. Dispositions non codifiées

 

1. Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires

Nota : Les articles ci-dessous résultent de l’intervention de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016.

Article 25 : Le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité.

Dans l’exercice de ses fonctions, il est tenu à l’obligation de neutralité.

Le fonctionnaire exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité. A ce titre, il s’abstient notamment de manifester, dans l’exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses.

Le fonctionnaire traite de façon égale toutes les personnes et respecte leur liberté de conscience et leur dignité.

Il appartient à tout chef de service de veiller au respect de ces principes dans les services placés sous son autorité. Tout chef de service peut préciser, après avis des représentants du personnel, les principes déontologiques applicables aux agents placés sous son autorité, en les adaptant aux missions du service.

Article 25 bis : I. –Le fonctionnaire veille à faire cesser immédiatement ou à prévenir les situations de conflit d’intérêts dans lesquelles il se trouve ou pourrait se trouver.

Au sens de la présente loi, constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions.

II. – A cette fin, le fonctionnaire qui estime se trouver dans une situation de conflit d’intérêts :

1° Lorsqu’il est placé dans une position hiérarchique, saisit son supérieur hiérarchique ; ce dernier, à la suite de la saisine ou de sa propre initiative, confie, le cas échéant, le traitement du dossier ou l’élaboration de la décision à une autre personne ;

2° Lorsqu’il a reçu une délégation de signature, s’abstient d’en user ;

3° Lorsqu’il appartient à une instance collégiale, s’abstient d’y siéger ou, le cas échéant, de délibérer ;

4° Lorsqu’il exerce des fonctions juridictionnelles, est suppléé selon les règles propres à sa juridiction ;

5° Lorsqu’il exerce des compétences qui lui ont été dévolues en propre, est suppléé par tout délégataire, auquel il s’abstient d’adresser des instructions.

 

 

2. Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique

Article 2 : Au sens de la présente loi, constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction.

Lorsqu’ils estiment se trouver dans une telle situation :

1° Les membres des collèges d’une autorité administrative indépendante ou d’une autorité publique indépendante s’abstiennent de siéger. Les personnes qui exercent des compétences propres au sein de ces autorités sont suppléées suivant les règles de fonctionnement applicables à ces autorités ;

2° Sous réserve des exceptions prévues au deuxième alinéa de l’article 432-12 du code pénal, les personnes titulaires de fonctions exécutives locales sont suppléées par leur délégataire, auquel elles s’abstiennent d’adresser des instructions ;

3° Les personnes chargées d’une mission de service public qui ont reçu délégation de signature s’abstiennent d’en user ;

4° Les personnes chargées d’une mission de service public placées sous l’autorité d’un supérieur hiérarchique le saisissent ; ce dernier, à la suite de la saisine ou de sa propre initiative, confie, le cas échéant, la préparation ou l’élaboration de la décision à une autre personne placée sous son autorité hiérarchique. […]

Article 4 : I. – Chacun des membres du gouvernement, dans les deux mois qui suivent sa nomination, adresse personnellement au président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique prévue à l’article 19 de la présente loi une déclaration exhaustive, exacte et sincère de sa situation patrimoniale concernant la totalité de ses biens propres ainsi que, le cas échéant, ceux de la communauté ou les biens indivis. Ces biens sont évalués à la date du fait générateur de la déclaration comme en matière de droits de mutation à titre gratuit.

Dans les mêmes conditions, chacun des membres du gouvernement adresse au président de la Haute Autorité, ainsi qu’au Premier ministre, une déclaration faisant apparaître les intérêts détenus à la date de sa nomination et dans les cinq années précédant cette date. La même obligation s’applique en cas de modification des attributions d’un membre du gouvernement.

Durant l’exercice de ses fonctions, un membre du gouvernement dont la situation patrimoniale ou les intérêts détenus connaissent une modification substantielle en fait, dans le délai d’un mois, déclaration à la Haute Autorité. S’il s’agit d’une modification substantielle des intérêts détenus, il en fait également déclaration au Premier ministre.

Les obligations de déclaration prévues aux deux premiers alinéas s’appliquent à tout membre du gouvernement dans les deux mois qui suivent la cessation de ses fonctions pour une cause autre que le décès. Les déclarations sont adressées personnellement au président de la Haute Autorité. La déclaration de situation patrimoniale comporte une récapitulation de l’ensemble des revenus perçus par le membre du gouvernement et, le cas échéant, par la communauté depuis le début de l’exercice des fonctions de membre du gouvernement.

Le membre du gouvernement peut joindre des observations à chacune de ses déclarations.

Lorsque le membre du gouvernement a établi depuis moins de six mois une déclaration de situation patrimoniale en application du premier alinéa du présent I, de l’article 11 de la présente loi ou de l’article L.O. 135-1 du code électoral, aucune nouvelle déclaration mentionnée à la première phrase du premier alinéa du présent I n’est exigée et la déclaration prévue au quatrième alinéa du même I est limitée à la récapitulation mentionnée à la dernière phrase du même alinéa et à la présentation mentionnée au dernier alinéa du II.

II. – La déclaration de situation patrimoniale porte sur les éléments suivants :

1° Les immeubles bâtis et non bâtis ;

2° Les valeurs mobilières ;

3° Les assurances-vie ;

4° Les comptes bancaires courants ou d’épargne, les livrets et les autres produits d’épargne ;

5° Les biens mobiliers divers d’une valeur supérieure à un montant fixé par voie réglementaire ;

6° Les véhicules terrestres à moteur, bateaux et avions ;

7° Les fonds de commerce ou clientèles et les charges et offices ;

8° Les biens mobiliers, immobiliers et les comptes détenus à l’étranger ;

9° Les autres biens ;

10° Le passif.

[…]

III. – La déclaration d’intérêts porte sur les éléments suivants :

1° Les activités professionnelles donnant lieu à rémunération ou gratification exercées à la date de la nomination ;

2° Les activités professionnelles ayant donné lieu à rémunération ou gratification exercées au cours des cinq dernières années ;

3° Les activités de consultant exercées à la date de la nomination et au cours des cinq dernières années ;

4° Les participations aux organes dirigeants d’un organisme public ou privé ou d’une société à la date de la nomination ou lors des cinq dernières années ;

5° Les participations financières directes dans le capital d’une société à la date de la nomination ;

6° Les activités professionnelles exercées à la date de la nomination par le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin (…) ;

7° Les fonctions bénévoles susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts ; […]

9° Les fonctions et mandats électifs exercés à la date de la nomination.

La déclaration précise le montant des rémunérations, indemnités ou gratifications perçues par le membre du gouvernement au titre des éléments mentionnés aux 1° à 5° […] et 9° du présent III. […]

Article 11 : I. – Adressent également au président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d’intérêts, établies dans les conditions prévues aux quatre premiers alinéas du I et aux II et III de l’article 4, dans les deux mois qui suivent leur entrée en fonctions :

1° Les représentants français au Parlement européen ;

2° Les titulaires d’une fonction de président de conseil régional, de président de l’Assemblée de Corse, de président du conseil exécutif de Corse, de président de l’assemblée de Guyane, de président de l’assemblée de Martinique, de président du conseil exécutif de Martinique, de président d’une assemblée territoriale d’outre-mer, de président de conseil général, de président du conseil de la métropole de Lyon, de président élu d’un exécutif d’une collectivité d’outre-mer, de maire d’une commune de plus de 20 000 habitants ou de président élu d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la population excède 20 000 habitants ou dont le montant des recettes de fonctionnement figurant au dernier compte administratif est supérieur à 5 millions d’euros ainsi que les présidents des autres établissements publics de coopération intercommunale dont le montant des recettes de fonctionnement figurant au dernier compte administratif est supérieur à 5 millions d’euros ;

3° Les conseillers régionaux, les conseillers à l’assemblée de Guyane, les conseillers à l’assemblée de Martinique, les conseillers exécutifs de Martinique, les conseillers exécutifs de Corse, les conseillers généraux, les adjoints aux maires des communes de plus de 100 000 habitants et les vice-présidents des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 100 000 habitants et du conseil de la métropole de Lyon lorsqu’ils sont titulaires d’une délégation de signature, respectivement, du président du conseil régional, du président du conseil exécutif, du président du conseil général, du maire, du président de l’établissement public de coopération intercommunale ou du président du conseil de la métropole de Lyon, dans les conditions fixées par la loi. Les délégations de signature sont notifiées sans délai par l’exécutif de chaque collectivité territoriale ou établissement public de coopération intercommunale au président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ;

4° Les membres des cabinets ministériels et les collaborateurs du président de la République ;

5° Les collaborateurs du président de l’Assemblée nationale et du président du Sénat ;

6° Les membres des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes ;

7° Toute autre personne exerçant un emploi ou des fonctions à la décision du gouvernement pour lesquels elle a été nommée en conseil des ministres.

Les déclarations d’intérêts des personnes mentionnées aux 4° à 7° sont également adressées au président de l’autorité indépendante ou à l’autorité hiérarchique.

Toute modification substantielle de la situation patrimoniale ou des intérêts détenus donne lieu, dans un délai de deux mois, à une déclaration dans les mêmes formes. […]

Article 26 : I. – Le fait, pour une personne mentionnée aux articles 4 ou 11 de la présente loi, de ne pas déposer l’une des déclarations prévues à ces mêmes articles, d’omettre de déclarer une partie substantielle de son patrimoine ou de ses intérêts ou de fournir une évaluation mensongère de son patrimoine est puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Peuvent être prononcées, à titre complémentaire, l’interdiction des droits civiques, selon les modalités prévues aux articles 131-26 et 131-26-1 du code pénal, ainsi que l’interdiction d’exercer une fonction publique, selon les modalités prévues à l’article 131-27 du même code.

II. – Le fait, pour une personne mentionnée aux articles 4, 11 ou 23, de ne pas déférer aux injonctions de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ou de ne pas lui communiquer les informations et pièces utiles à l’exercice de sa mission est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. […]

 

 

Notes

(1) Jean-Philippe Genêt – L’Etat moderne : genèse, bilan et perspectives – Ed. CNRS, 1990.

(2) Article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.

(3) Sur la constitutionnalité de cette distinction, voir Conseil constitutionnel du 2 décembre 2016, n° 2016/599 QPC, Mme Sandrine A. [personnes justiciables de la cour de discipline budgétaire et financière].

(4) Le Conseil constitutionnel est alors seul compétent avec les organes parlementaires.

(5) Conseil d’Etat, 3 novembre 1997, préfet de la Marne.

(6) Code général des collectivités territoriales, art. L. 2131-11, L. 2131-12 et L. 5211-3.

(7) Cour administrative de Douai, 8 septembre 2014, commune de Vignemont.

(8) Conseil d’Etat, section, 16 décembre 1994, commune d’Oullins.

(9) Conseil d’Etat, 23 février 1990, commune de Plougernével.

(10) Conseil d’Etat, 6 mai 1994, Gindreau.

(11) Conseil d’Etat, 22 février 1995, Commune de Menotey.

(12) Conseil d’Etat, section, 16 décembre 1994, préc.

(13) Conseil d’Etat, 6 décembre 1993, communauté urbaine de Lyon.

(14) Conseil d’Etat, 20 janvier 1989, Association des amis de Chérence.

(15) Code général des collectivités territoriales, art. L. 1524-5.

(16) Conseil d’Etat, 13 février 1987, commune de Saint-Vivien-de Monségur.

(17) Conseil d’Etat, 11 décembre 1992, commune de Vaux-sur-Vienne.

(18) Conseil d’Etat, 26 février 1982, Association renaissance d’Uzès.

(19) Conseil d’Etat, 9 juillet 2003, Crédit agricole mutuel de Champagne-Bourgogne.

(20) Cour administrative d’appel de Marseille, 13 mai 2008, Association jeunesse toulonnaise.

(21) Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

(22) Voir en ce sens, la Charte de l’élu local régie par l’article L. 1111-1-1 du code général des collectivités territoriales.

(23) Conseil d’Etat, 12 février 1986, commune d’Ota.

(24) Code général des collectivités territoriales, art. L. 2121-14.

(25) G. Di Marino, « Le recours aux objectifs de la loi pénale dans son application », Rev. sc. crim. 1991, p. 505.

(26) Conseil d’Etat, section, 29 avril 1949, Bourdeaux.

(27) Conseil d’Etat, section, 30 décembre 2010, Société Métropole télévision.

(28) Conseil d’Etat, section, 28 octobre 1960, De Laboulaye.

(29) Loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

(30) Conseil d’Etat, 12 novembre 1965, Compagnie marchande de Tunisie.

(31) Conseil d’Etat, 26 novembre 1875, Pariset.

(32) Conseil d’Etat, 23 juillet 1909, Fabrègue.

(33) Conseil d’Etat, 13 mars 1968, commune de Malaussène.

(34) Conseil d’Etat, 5 mars 1954, Soulier.

(35) Conseil d’Etat, 20 mars 1953, Bluteau.

(36) Conseil d’Etat, 27 octobre 1971, commune de Saint-Marc-Jaumegarde.

(37) Code des juridictions financières, art. L. 111-1 et suivants.

(38) Code des juridictions financières, art. L. 111-13.

(39) Code des juridictions financières, art. L. 111-6, L. 111-10 et L. 111-11.

(40) Code des juridictions financières, art. L. 111-2.

(41) Code des juridictions financières, art. L. 243-1 à L. 243-10 et L. 314-1 ; code de procédure pénale, art. 40.

(42) Loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963, art. 60.

(43) Code des juridictions financières, art. L. 131-5 et suivants.

(44) Code des juridictions financières, art. L. 313-1 à L. 313-13.

(45) Article 432-12 du code pénal.

(46) Cass. crim., 20 février 1995, Bull. n° 231.

(47) Cass. crim., 18 juin 1996, Bull. n° 305.

(48) Cass. crim., 14 novembre 2007, Bull. n° 279.

(49) Cass. crim., 27 février 2002, Bull. n° 48.

(50) Cass. crim., 3 avril 2007, Bull. n° 1000.

(51) Cour d’appel de Paris, 15 novembre 2010, n° 09/09961.

(52) Cass. crim., 5 novembre 1998, Bull. n° 289.

(53) Cour d’appel de Poitiers, 3 mai 1952, D. 1952, jur., p. 501.

(54) Cass. crim., 5 juin 1890, Bull. n° 117.

(55) Cass. crim., 10 avril 2002, Bull. n° 84.

(56) Cass. crim., 24 mars 2010, n° 09-81.153.

(57) Code pénal, art. 312-12.

(58) Code pénal, art. 432-14.

(59) Ordonnances n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession.

(60) Cass. Crim., 14 janvier 2004, Bull. n° 11.

(61) Cass. Crim., 24 octobre 2001, n° 01-81.039.

(62) Cass. Crim., 19 novembre 2003, n° 02-87.336.

(63) Cass. Crim., 10 septembre 2008, n° 08-80.589.

(64) Cass. Crim., 25 juin 2008, Bull. n° 166.

(65) Cass. Crim., 19 septembre 2007, Bull. n° 217.

(66) Cass. Crim., 16 novembre 2011, n° 11-80.433.

(67) Décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, art. 30 8°.

(68) Conseil d’Etat, 12 décembre 1994, Société Viale Vendôme.

(69) Code pénal, art. 433-1.

(70) Cour d’appel d’Amiens, 5 avril 2017, n° 16/00885.

(71) Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

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