Selon une enquête de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) sur les pratiques et perspectives de la laïcité dans le secteur social et médico-social, réalisée en 2015, seuls 44 % des directeurs interrogés ont introduit des dispositions sur la neutralité religieuse dans le règlement intérieur applicable au personnel de leurs établissements. C’est le cas pour plus de 50 % des grands établissements de plus de 200 places. Les revendications identitaires de certains professionnels du secteur social et médico-social viennent bousculer les principes déontologiques et éthiques de l’action sociale. En 2011, dans un avis, feu le Haut Conseil à l’intégration s’est déclaré favorable à « l’extension aux structures privées des secteurs social, médico-social et de la petite enfance des obligations de neutralité laïque qui s’imposent aux structures publiques sociales équivalentes ».
Dans un avis du 9 décembre 2015 intitulé « La laïcité, un principe fondamental du travail social », le Conseil supérieur du travail social (CSTS) – devenu le Haut Conseil au travail social en juillet 2016 – recommande notamment que « le travailleur social adopte un positionnement impartial en travail social où toutes les relations engagent le professionnel comme la(les) personne(s) accompagnée(s), la neutralité est un positionnement volontairement impartial au nom de l’égalité de traitement ». Et d’ajouter : « Le travailleur social lui-même doit être conscient que toute manifestation ou marque d’appartenance religieuse ou idéologique, dans l’exercice de sa fonction, peut entrer en tension, voire en contradiction, avec les finalités de la mission qu’il remplit. En effet, la laïcité énonce des droits et implique aussi des devoirs dans les professions d’éducation, d’aide à des personnes vulnérables, d’encadrement de personnes en situation de dépendance… »
« Le travailleur social, lui, agit selon le respect des droits de l’usager mais aussi d’une déontologie. Sa position d’“autorité” dans l’action, d’ascendant au regard de sa fonction, de guide, peut générer une certaine influence sur celui qu’il accompagne. Aussi, les manifestations ostensibles d’appartenance religieuse le concernant doivent être proscrites, pour préserver l’autonomie de décision de l’usager au regard de ses choix les plus intimes », analyse Guylain Chevrier, docteur en histoire, formateur en travail social et chargé d’enseignement à l’université, ancien membre de la mission « laïcité » du Haut Conseil à l’intégration. « L’usager doit pouvoir exprimer sa propre différence, ce qu’il est, sans brouillage extérieur. C’est la seule façon de respecter sa possibilité d’accéder à l’ensemble de ses droits, son libre choix, sa liberté. »
En mars 2016, dans son rapport « Valeurs républicaines, laïcité et prévention des dérives radicales dans le champ du travail social », Michel Thierry, inspecteur général des affaires sociales et ancien vice-président du Conseil supérieur du travail social, reconnaissait qu’en dépit de nombreuses chartes ayant trait à la laïcité, « la situation reste floue », notamment « en raison de la prépondérance de la gestion associative, qui rend malaisée une définition suffisamment homogène d’un élément essentiel de la laïcité qu’est le principe de neutralité ».
Michel Thierry proposait alors l’idée d’une charte de la laïcité concernant l’ensemble du secteur social et médico-social. « Elle permettrait en particulier de définir les grands traits de l’obligation de neutralité ou de non-ingérence pour les établissements privés mettant en œuvre une mission d’intérêt général, de fournir quelques références communes, utiles aux gestionnaires pour déterminer leurs règlements intérieurs et plus généralement leur pratique de la laïcité. » Cette démarche serait « la démonstration que les travailleurs sociaux peuvent traiter par eux-mêmes de l’irruption du fait religieux et des problèmes qu’elle pose sans renier leur éthique professionnelle ».
« Défendre la laïcité, c’est défendre l’idéal du “vivre ensemble” », insiste Guylain Chevrier.