Aujourd’hui, la situation n’est pas comparable à celle d’il y a dix ans. Le recours au religieux chez les personnes accueillies dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux [ESSMS] et la visibilité du religieux dans le secteur ne sont pas en augmentation. Depuis les attentats de 2015, la lutte contre la radicalisation, la création d’un « Etat d’urgence », les travailleurs sociaux ont été amenés à devoir repérer chez les jeunes accueillis dans les structures ceux qui se référent à l’islam de façon préoccupante. A partir des attentats, on peut dire qu’il y a eu un télescopage entre cette problématique de la radicalisation et celle des faits religieux. Mais tous les faits religieux ne tourne pas autour de la dite radicalisation.
Certains managers peuvent être en difficulté par rapport à cette question. Ils ont peur d’ouvrir la boîte de Pandore. Il y a encore une méconnaissance du cadre légal et réglementaire de la laïcité. Moins le personnel est formé, moins ces questions sont travaillées et plus les dérives apparaissent. La question de la laïcité a désormais été intégrée dans les formations initiales des travailleurs sociaux. Un avis du Conseil supérieur du travail social, en 2015, a formulé une série de recommandations afin d’aider les travailleurs sociaux à mieux appréhender la laïcité et ainsi à renforcer leur positionnement dans leurs pratiques sociales. Certaines associations ont fait le choix d’inscrire ce principe de neutralité dans le règlement intérieur de leurs structures, d’autres ont défini une charte et fait travailler les professionnels autour de ça. Les problèmes et les conflits liés à l’expression de l’identité religieuse apparaissent quand cela questionne, met en difficulté la cohérence de l’équipe. Par exemple, un éducateur qui refuse de serrer la main des femmes en raison de ses convictions religieuses.
Les professionnels doivent s’interroger sur leur propre rapport à l’expression du fait religieux. Il faut désacraliser la question du fait religieux, adopter un rapport distancié, le travailler comme d’autres problématiques des usagers. Quand un usager se réfère plus que d’habitude à la religion, ça vaut le coup de gratter, d’aller regarder sous le tapis, de requestionner le regard sur la situation. Est-ce qu’on est bien dans le champ de la croyance chez l’usager ? Qu’il y a-t-il derrière cette référence, cet habillage religieux ? En mobilisant les savoirs et les savoir-faire des professionnels, on peut travailler sur ces questions des faits religieux.
Comme le souligne le sociologue, Daniel Verba, un certain nombre de fonctions du travail social se sont fortement ethnicisées. Des femmes issues de populations étrangères occupent des fonctions d’assistante maternelle, d’auxiliaire de vie sociale, de femmes relais avec une moindre qualification tout en étant fortement imprégnées d’une socialisation religieuse.
Les équipes professionnelles qualifiées ont également connues des évolutions sociologiques avec une plus forte présence des travailleurs sociaux issus de populations maghrébines ou sub-sahariennes. Dans certaines villes, ou grands pôles urbains, avec une forte proportion de populations issues de l’immigration, les éducateurs ou assistants sociaux de telle ou telle origine craignent d’être stigmatisés, d’être réduits à cette dimension-là, considèrent qu’ils n’ont pas droit à l’erreur et vont donc refuser en bloc toutes références religieuses quelles qu’elles soient. L’interculturalité n’est pas nouvelle dans le secteur social, mais à la suite des attentats, l’expression de faits religieux a conduit à des crispations plus fortes, à des réactions émotionnelles.