Il est surtout déflagrateur et actif à l’adolescence, c’est-à-dire au moment de l’affirmation de soi et de sa propre identité. Le rejet n’est pas tellement apparent au niveau des enfants et pour les adultes ; si l’homophobie existe bel et bien, la situation a un peu changé. L’homosexualité est plus admise, plus acceptée, plus visible aussi. Il y a 40 ans, le jeune « homo » était confronté à un vide total autour de lui. Aujourd’hui, l’homosexualité est partout, dans les séries, au cinéma… Il n’est pas rare d’avoir un ami, un cousin, un voisin homosexuel. Mais, paradoxalement, la situation reste difficile à l’adolescence car les jeunes sont les plus normatifs et les plus rejetants et ont tendance à stigmatiser les garçons plutôt féminins et les filles plutôt masculines. Comme c’est l’âge où ils se cherchent, où ils s’accrochent à des repères pour se définir, le « pédé » ou la « gouine » deviennent les boucs émissaires idéaux dans la cour de récréation. Ce n’est pas l’homosexualité en soi qui est un traumatisme mais tout ce qui se joue autour de son annonce. A qui se fier, à qui en parler ? Ce questionnement vient prendre le pas sur le questionnement identitaire de tous les adolescents.
Grosso modo, je dirais qu’il y a trois catégories de parents. Ceux qui rejettent en bloc l’homosexualité de leur enfant et qui les excluent pour tout un tas de raisons, parfois morales ou religieuses. Ceux qui acceptent mais que cela inquiète énormément et qui projettent une vie de souffrance pour leur enfant, c’est comme s’ils lui suggéraient que leur homosexualité les condamnait à ne jamais être heureux dans leur vie. Et il y a des parents, au contraire, très soutenants, très accompagnants, très présents. Il n’y a pas de profil type de parents plus excluants ou plus acceptants que d’autres, le rejet concerne toutes les classes sociales. Les choses ne sont pas plus simples dans un milieu bourgeois et éduqué.
Tout le monde ne réagit pas de la même façon devant les traumatismes quels qu’ils soient. Les personnes résilientes ont des capacités de clivage, comme si elles se coupaient en deux à l’intérieur d’elles-mêmes, elles laissent une partie un peu en retrait pour continuer à vivre avec les autres. L’humour, la rêverie et tout un tas de dispositions personnelles peuvent aussi les aider à faire que le traumatisme soit moins destructeur. La honte a des effets ravageurs et il arrive que les blessures ressurgissent sous forme d’angoisse ou de dépression ou s’expriment par une mauvaise image de soi et la difficulté de nouer une relation amoureuse durable. D’où l’importance de s’entourer de personnes bienveillantes, d’avoir un ancrage auprès de quelqu’un qui donne confiance et en qui avoir confiance. Encore une fois, il ne s’agit pas d’être résilient à l’homosexualité mais aux traumatismes liés à la violence de l’homophobie. C’est pourquoi il est indispensable de sensibiliser les enfants, dès la maternelle, à l’altérité, à la sexualité, à la globalité des genres… On ne peut pas dissocier le combat contre l’homophobie de celui sur l’égalité des sexes, le sexisme, le harcèlement… Tout cela participe d’un même mouvement. Nous ne sommes pas aussi différents les uns des autres. Je vois d’ailleurs de plus en plus de garçons qui aiment une fille un jour et un garçon le lendemain. Et, ce qui est nouveau, des filles qui veulent devenir garçons, en se faisant réduire la poitrine mais en conservant leurs organes génitaux. Une forme d’êtres un peu intermédiaires.
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(2) A publié : La fabrique de la famille – Editions Kero.