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Le film de notre vie (3)

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Nous poursuivons notre exploration de la mutation sociale qui a marqué le pays depuis Mai 68. Aujourd’hui, le regard se porte sur le handicap. « Regard » est, en effet, le terme qui convient. Celui que la société porte sur le handicap et les personnes en situation de handicap est sans doute la plus grande évolution de ces cinquante dernières années. En 1968, les « handicapés » physiques et plus encore psychiques sont marginalisés. Il n’y a pas de mots pour décrire leurs maux. Qui a entendu parler de l’autisme ? Qui s’intéresse à la paralysie ? L’« inclusion » est un terme qui n’existe pas. Il faudra que les handicapés eux-mêmes se mobilisent pour être reconnus en tant que personnes en situation de handicap… Retour sur une longue marche.
Des « zandicapés » à l’inclusion sociale

La considération sociale et politique prêtée aux personnes en situation de handicap a fait un chemin non négligeable depuis l’Antiquité. Cette évolution de la reconnaissance du handicap s’est produite par le biais d’un changement de regard progressif, sur plusieurs siècles. Pour autant, l’objectif d’une société universellement accessible et durablement inclusive n’est toujours pas au menu quinquennal.

Il fut un temps où le handicap symbolisait la colère des dieux, et il était alors recommandé de tuer les personnes qui en portaient la marque. Des siècles de progrès scientifiques plus tard, notre société a fini par admettre que le handicap n’avait rien de divin, sans pour autant considérer les concernés comme égaux à leurs semblables. Aujourd’hui, ce fossé s’est considérablement réduit, mais l’égal accès aux droits est encore loin d’être acquis.

Les bombes ouvrent la voie à une reconnaissance des besoins

« La première fois qu’il y a eu une prise de conscience d’une invasion du handicap, c’était lors de l’après-Première Guerre mondiale », raconte Bruno Gaurier, assistant à la direction générale d’APF France handicap. « Toutes les familles françaises ont été touchées par la violence de la guerre, tout le monde a vu des proches revenir abîmés. Forcément, ça a donné à la société un nouveau regard sur le handicap. » De cette première reconnaissance naissent les premières législations. Pension d’invalidité (1919), obligation d’emploi de mutilés de guerre pour les entreprises (1924) ou encore allocation pour les grands infirmes (1949) sont autant de mesures allant dans le sens d’une reconnaissance plus large des personnes en situation de handicap – en France du moins, car certains pays inspirés par l’eugénisme rouvrent parallèlement la voie à la stérilisation des personnes handicapées, comme les Etats-Unis, le Japon et quelques pays européens (Allemagne, Royaume-Uni, Estonie, pays scandinaves…).

Mais ce premier pas vers une société qui assume le handicap est à nuancer. « Il ne s’agissait pas de régler d’abord la situation du handicap, mais celle des veuves, des orphelins et de ceux qui avaient survécu à la guerre », souligne Bruno Gaurier. « Il fallait réparer les torts causés à ces gens qui avaient fait don de leur vie à la nation, mais ça ne faisait pas apparaître pour autant des personnes avec un handicap. Ça veut dire que, globalement, on a décelé des besoins avant de déceler des personnes », insiste le conseiller politique. Car elle est là, la clé de la lutte pour la reconnaissance et l’intégration des personnes en situation de handicap. Etre reconnues en tant que personnes, « comme ayant les mêmes droits que les autres ».

Exclus du cœur de la société

Il faut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour voir une vraie réflexion politique se mettre progressivement en place sur cette question. Ce n’est qu’en 1957 qu’apparaissent les termes de « travailleur handicapé » et, avec eux, la vraie reconnaissance d’un droit à l’emploi pour les personnes en situation de handicap. « A l’époque, il n’y avait guère que les Postes, télégraphes et téléphones [PTT], parmi les services publics, pour donner des postes à des personnes handicapées. Ils s’étaient dit que les “handicapés” en fauteuil roulant et en possession de leurs deux mains pouvaient traiter des chèques postaux. Du bon sens », relate Bruno Gaurier.

Si ces avancées sont de bon augure pour la suite, les personnes en situation de handicap ont encore du chemin à faire pour la reconnaissance de leur dignité. Ainsi, lorsqu’en 1966, pour la première fois de son histoire, l’APF de l’époque sort battre le pavé, c’est « pour se montrer dans la rue et dire aux citoyens que nous sommes autre chose que des objets de charité » plus que pour faire valoir des revendications concrètes et précises, détaille Bruno Gaurier. Du reste, avant 1968, on fait encore souvent référence aux personnes en situation de handicap par les termes « estropiés », « inadaptés », « zandicapés », « fous » s’ils ont un handicap psychique, « hystériques » pour les femmes, ou encore « non scolarisables » pour les plus jeunes, alors considérés comme « inéducables »… « Des bulles de vocabulaire qui, aujourd’hui, sont considérées comme totalement inconvenantes, note le spécialiste. Mais le vocabulaire signale le regard qu’on a sur les gens. Ceux-là sont clairement exclus du cœur de la société. »

Nouveau regard sur le handicap

Le premier pas décisif vers l’intégration des personnes en situation de handicap est finalement marqué par la loi de 1975, qui crée une obligation de solidarité et pose le cadre juridique des pouvoirs publics. Elle met notamment en place la prévention et le dépistage des handicaps, une éducation obligatoire pour les enfants ainsi que le maintien dans un cadre ordinaire de travail et de vie dès que cela est possible, et pourvoit à l’accueil des personnes, tant en milieu solaire qu’au niveau de l’emploi et de l’hébergement. « On commence enfin à reconnaître les personnes avant les besoins », analyse Bruno Gaurier, qui estime toutefois que « la loi de 1975 n’a pas réglé tous les problèmes à cet égard. Il y a encore dans l’inconscient populaire une vision médicale du handicap. »

Le législateur français a ensuite continué à travailler dans le sens de l’inclusion, que ce soit par la création en 1987 de l’Agefiph (Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées), par les actions en 1989 de Charles Fiterman, alors ministre des Transports, visant à faciliter l’accès aux transports en commun et à favoriser l’intégration scolaire ou, plus récemment, par la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

La France en retard

Ce n’est toutefois pas à la France que ces lois doivent leur impulsion. « Cette évolution vers une société inclusive trouve majoritairement son origine dans les pays nordiques et anglo-saxons, rappelle Bruno Gaurier. La vérité, c’est que la France n’a pas été tête de pont de la conception universelle. » L’idée d’une société inclusive se retrouve effectivement dès 1948 dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme, qui établit le principe d’« égale dignité du fait de la naissance ». En 1966, le Pacte international relatif aux droits économiques, culturels et sociaux des Nations unies rappelle également l’égalité des droits pour « tous les membres de la famille humaine ». Mais la clé de ce changement de regard, qui ouvrira la porte aux lois d’inclusion, intervient en 1981, alors que les Nations unies décrètent la première année internationale des personnes handicapées, présidée par l’ex-ministre suédois des Finances Bengt Lindqvist, lui-même non voyant. « Ensuite, cela a été la décennie du handicap », se souvient Bruno Gaurier. En sont sorties ce que l’on a appelé les « 22 règles standards des Nations unies relatives à l’intégration des personnes handicapées », qui consistent en « une déclaration de principe afférente aux responsabilités des Etats, aux règles politiques en faveur des personnes handicapées », et qui « recouvrent des propositions concrètes » pour « garantir l’égalité des chances », rappelle l’inspection générale des affaires sociales dans un rapport paru en 2003.

C’est également au niveau européen que s’est impulsé le changement de regard, notamment avec l’article 13 du traité d’Amsterdam de 1997 sur la non-discrimination, qui doit son existence à l’engagement des organisations non gouvernementales et du Forum européen des personnes handicapées, mais aussi, notamment, des présidents français et irlandais, Jacques Chirac et Mary Robinson. « Ce texte a été une partie de la contribution de l’Europe à la Convention internationale des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, qui s’en nourrit partiellement », observe Bruno Gaurier. Il a ensuite servi d’inspiration au traité de Nice de 2000, qui l’a élargi dans la Charte européenne des droits sociaux, et on en trouve à ce titre toujours des traces dans le traité de Lisbonne de 2005, qui reprend cette charte. Aujourd’hui encore, l’article 13 du traité de Lisbonne est donc « le nœud gordien de tout ce qui doit se faire de façon obligatoire au niveau des lois dans toute l’Europe ».

Le handicap en 8 chiffres

• On estime que 650 millions de personnes vivent avec un handicap, soit 10 % de la population mondiale.

• 90 % des enfants handicapés ne sont pas scolarisés (Unesco).

• Le taux annuel de violences à l’égard des enfants handicapés est 1,7 fois plus élevé que pour les enfants non handicapés (ONU).

• 80 % des personnes handicapées vivent dans un pays en développement (PNUD).

• 45 pays seulement ont une législation antidiscriminatoire ou qui fait spécifiquement référence aux handicapés (ONU).

• 35 % des actifs reconnus handicapés sont sans emploi en France.

• Les actifs en situation de handicap sont deux fois plus nombreux à être au chômage que dans la moyenne nationale (OCDE).

• L’espérance de vie d’une personne trisomique est passée de 9 ans en 1929 à 55 ans aujourd’hui.

Bruno Gaurier, combattant de l’inclusion

Aujourd’hui retraité, Bruno Gaurier est engagé depuis de nombreuses années dans la lutte pour l’accès aux droits des personnes handicapées. Il poursuit aujourd’hui son combat à travers plusieurs actions bénévoles, occupant les rôles d’assistant à la direction générale d’APF France handicap, de conseiller politique au sein du Conseil français des personnes handicapées pour les questions européennes (CFHE), et d’expert aux transports au Forum européen des personnes handicapées.

1968-2018

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