« La France est en retard, je le sens. Dans d’autres pays, comme en Italie par exemple, les intellectuels se posent la question de l’inclusion des personnes handicapées. Chez nous, c’est encore le Moyen Age. C’est à nous de nous adapter à la société. Mais pour ça, il faudrait que la société française veuille bien de nous. Ça n’a pas l’air d’être le cas. Seuls les mutilés de guerre, et encore, semblent être bien traités. Ils peuvent se faire passer pour des héros, un peu. Les accidentés du travail ont aussi droit à une indemnité. Pas énorme, mais au moins ils sont reconnus par la société. Par contre, les handicapés physiques de naissance, comme moi, on est considérés comme des sous-hommes : on n’a droit à rien.
Vu qu’on ne sait pas quoi faire de nous, on nous met dans des hospices. Au passage, c’est assez drôle que ça soit le même nom pour les vieux et les handicapés. Je suis à Paris. On est 80 dans un seul dortoir. Les lits sont collés. On ne peut pas sortir. De toute façon, même si on pouvait sortir, on ne pourrait pas aller loin. Il y a des marches partout en ville. Et tout va vite, très vite, trop vite. Et puis si on tombe dans la rue, faudra pas compter sur quelqu’un pour nous relever.
Je ne peux pas dire que c’est pire qu’en Allemagne en 40. A cette époque, il faut quand même se rappeler que le régime nazi nous exterminait… On était qualifiés de “bouches inutiles”. Les fous étaient lobotomisés : un pic à glace dans le cerveau, en passant par l’œil…
Force est de constater que, même si aujourd’hui on ne nous extermine plus, on nous parque dans des hospices. Je n’ai pas vu ma famille depuis deux ans. Ils ne viennent pas me rendre visite… pourtant, ils ne sont vraiment pas loin. Mais je peux les comprendre. C’est la “cour des Miracles”, ici.
La “cour des Miracles”… »