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« La médiation familiale en santé publique est une discipline innovante »

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Des rancœurs, des conflits non digérés peuvent parfois resurgir dans la famille au moment où l’un de ses membres tombe malade ou devient dépendant, au risque d’entraver les décisions médicales. Au même titre qu’il existe des médiateurs familiaux pour accompagner les couples qui se séparent, Rabia Hamidi, docteure en médiation, prône le développement de la médiation familiale en santé publique.
Habituellement, la médiation familiale est plutôt réservée aux conflits inhérents aux séparations conjugales. Qu’est-ce que la médiation familiale en santé publique ?

Aujourd’hui, les conflits familiaux liés à la vieillesse et à la maladie peuvent être plus complexes encore que ceux liés aux couples qui se séparent et à la garde des enfants. En effet, dès lors qu’un parent vieillissant, un conjoint ou un proche est en perte progressive d’autonomie physique et/ou psychique, atteint d’une maladie neurodégénérative (Alzheimer, Parkinson) ou d’un handicap, les conflits entre membres de la famille peuvent se réactiver par la présence d’enjeux opposés et d’intérêts divergents. Ceux-ci ne se cantonnent pas à la sphère privée mais s’exportent au sein de l’institution médicale ou de l’EHPAD [établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes]. Ces problèmes risquent de se multiplier car, d’un côté, les progrès de la médecine permettent de vivre de plus en plus vieux, voire de maintenir artificiellement des personnes en vie. De l’autre, la famille a évolué et est de plus en plus multiforme et multigénérationnelle. Enfin, grâce à l’émergence de la démocratie sanitaire, le patient est de plus en plus acteur de sa santé. Il peut faire part de sa volonté concernant ses traitements et sa fin de vie, ce qui peut créer des désaccords familiaux.

En quoi le vieillissement, la dépendance et la maladie constituent-ils des périodes fatidiques pour les familles ?

La prise en charge de la personne vulnérable impose une réorganisation et une adaptation à ses besoins. Ce changement vient bouleverser les habitudes de vie des aidants familiaux qui ont des vies organisées par ailleurs. La plupart travaillent, sont parents, d’autres sont des seniors, parfois eux-mêmes en mauvaise santé… L’obligation morale d’aider ses parents, ses grands-parents, son conjoint ou son enfant malade remet en cause l’équilibre établi. L’histoire familiale est revisitée. Des choses qui n’ont pas été dites avant peuvent resurgir et réveiller des conflits anciens. C’est le cas des blessures d’enfance non refermées, des préférences parentales du style : « Tu étais le chouchou », ou : « On ne m’a jamais aimé, donc je ne vois pas pourquoi j’aiderais papa ou maman ! » Si la communication n’était pas très bonne, ce qui était mis entre parenthèses refait surface au moment où il y a des décisions importantes à prendre. Des conflits nouveaux peuvent aussi émerger et être causés par la culpabilité et l’impuissance à l’égard de parents vieillissants.

Quels sont les conflits intrafamiliaux les plus répandus ?

Un des plus fréquents concerne l’épuisement et le besoin de répit d’un aidant familial. La situation peut dégénérer quand, pour souffler un peu, ce dernier sollicite la participation de la fratrie auprès de la personne vulnérable. Certains frères et sœurs ne s’entendent pas et ne voient pas pourquoi ils le relaieraient. D’autres ne sont jamais disponibles, et ce sont toujours les mêmes qui se dévouent, ce qui crée des tensions. Une autre source de conflit est le coût élevé des prises en charge des personnes dépendantes, et notamment l’obligation alimentaire qui s’impose aux enfants quand leurs parents n’ont pas les moyens financiers d’assurer leur subsistance ou leur hébergement en établissement. Cette problématique existe même dans les familles aisées. En réalité, l’argent n’est souvent qu’un prétexte qui sert à exprimer un différend resté latent jusque-là. La désignation d’une personne de confiance par la personne malade ou en fin de vie, comme la loi le lui permet pour l’accompagner et faire respecter ses dernières volontés auprès des médecins, est aussi à l’origine de nombreux litiges. Les enfants du patient ne sont pas toujours au courant de son existence et, quand ils l’apprennent, ils sont choqués et, surtout, vexés que leurs parents fassent confiance à quelqu’un qui peut être étranger à la famille. Ils n’admettent pas non plus que l’équipe soignante se concerte avec cette personne de confiance pour prendre des décisions médicales concernant leur père ou leur mère. L’affaire s’envenime aussi quand cette personne de confiance leur dissimule des informations. Autre problème récurrent : à l’occasion d’une demande d’APA [allocation personnalisée d’autonomie], il arrive que la fratrie découvre que leurs parents ont fait une donation anticipée à un frère ou une sœur. Si, en plus, ce dernier ou cette dernière ne s’occupe pas beaucoup ou pas du tout du parent malade, les choses deviennent vite ingérables.

Vous pointez le risque accru de conflits dans les familles recomposées vieillissantes. Pourquoi ?

Lorsque la famille se reconstitue jeune, les deux conjoints ont souvent des enfants chacun de leur côté qui grandissent et ont leurs projets de vie. Mais avec l’âge, quand l’un des deux conjoints devient dépendant, il peut être demandé un soutien ou une aide financière aux enfants qu’il a eus d’un premier mariage. J’ai vu concrètement des enfants de précédentes unions séparer les deux conjoints, au point de mettre parfois en place une procédure de divorce à leur insu, en essayant de récupérer soit son père, soit sa mère pour le ou la placer dans un établissement de la région où ils habitent et ne pas devoir payer pour l’autre famille. Il y a un vide juridique autour de ces situations.

Y a-t-il beaucoup de problèmes autour des traitements, et particulièrement au sujet de la fin de vie ?

La problématique existe pour la fin de vie et, surtout, pour l’arrêt des traitements, mais elle n’est pas dite de manière claire et nette. Même quand le patient a laissé ses directives anticipées au cas où il ne pourrait plus s’exprimer, il peut rester difficile de trouver un consensus. On le voit dans l’affaire « Vincent Humbert ». Les conflits autour des soins sont également de plus en plus fréquents, certains membres de la famille étant favorables à telle ou telle prise en charge, et d’autres non. Le médecin se retrouve au milieu de l’indécision familiale, ce qui ne relève pas de ses missions. C’est ce qui advient, par exemple, quand un gériatre oriente un patient vers une maison de convalescence ou un EHPAD et qu’une partie de la famille refuse.

Quel est l’impact de ces incompréhensions sur le patient et sur les soignants ?

L’effet sur la personne vulnérable est considérable. Elle vit dans un climat familial explosif qui engendre un état d’épuisement moral et physique important. Il ne faut pas oublier que la famille se dispute souvent devant elle, parfois au pied de son lit, que ce soit en institution ou au domicile quand celui-ci est devenu le lieu de soins. Cette ambiance délétère peut conduire le patient à se laisser glisser ou à mal prendre ses médicaments, voire à ne pas les prendre. Les conflits obligent les médecins à gérer des situations délicates et à jouer les médiateurs pour défendre l’intérêt de leurs patients et les soigner efficacement. Mais ils peuvent avoir du mal à évaluer le suivi médical d’une personne quand on lui cache ce qui se passe dans la famille. De même, il y a souvent beaucoup de turn-over chez les auxiliaires de vie qui viennent au domicile de la personne âgée dépendante parce qu’on leur demande de prendre parti pour l’un ou pour l’autre des membres de la famille. Dans ces cas-là, les conflits ont tendance à s’aggraver, et il faut parfois saisir le juge pour désigner un tuteur.

Quel est le travail d’un médiateur familial en santé publique ?

Sa mission est d’accompagner les familles dans la résolution des conflits en leur permettant de renouer le lien s’il est coupé ou en facilitant la communication. Il n’a aucune contrainte médicale. Son efficacité est fondée sur sa capacité à responsabiliser les différents participants à la médiation. Celle-ci se fait à la demande de la famille ou d’un tiers comme la personne de confiance, un aidant… Le premier rendez-vous sert souvent à évaluer le contexte familial et les difficultés posées sur le plan médical. Dans un deuxième temps, le médiateur propose à la famille de rencontrer les soignants. Comme on se situe sur des problématiques de santé, souvent urgentes, la médiation se déroule sur deux à trois jours consécutifs, à raison de trois heures quotidiennes. Le médiateur ne peut pas être un médecin. La médiation familiale en santé publique est une spécialité à part entière. Il faut que le professionnel soit formé. J’ai été médiatrice familiale avant de me spécialiser. On en est encore aux balbutiements, mais je pense que c’est une discipline innovante qui va se développer dans les années à venir. Aujourd’hui, la seule réponse aux conflits en santé publique est la saisine du juge. La médiation hospitalière, elle, ne concerne que les plaintes des patients ou de leur entourage.

Quels conseils donneriez-vous aux familles ?

Elles ne doivent pas hésiter à demander de l’aide. Parfois, les familles n’osent pas le faire car elles ont tout simplement honte d’avouer qu’elles sont en conflit.

Repères

Formatrice et médiatrice familiale spécialisée en santé publique, Rabia Hamidi est également universitaire et chercheuse. Elle a créé l’association Espace « s’ouvrir à la parole », à Marseille. Destiné aux professionnels et aux étudiants, son livre Médiation familiale en santé publique (ASH Editions, 2018) est le premier du genre sur cette thématique.

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