Beaucoup d’acteurs disaient que la pénalisation du client était inapplicable, impossible à mettre en œuvre. Or plus de 2 000 clients ont été interpellés et l’écrasante majorité reconnaît les faits. Cette loi marche, elle montre qu’inverser la charge pénale est bien possible. Les clients écopent maintenant d’une amende, complétée ou remplacée par un stage de sensibilisation, mis en place dans trois départements pour l’instant. On a des retours positifs de la part des intervenants, qui parlent d’une prise de conscience et d’une remise en question chez de nombreux clients lors des stages de sensibilisation. Cette amende abroge neuf codes législatifs, c’est un processus qu’on ne fait qu’une fois par siècle. La nouvelle loi prévoit l’octroi d’un titre de séjour de six mois avec accès au marché du travail, renouvelable quatre fois, et, à l’issue de deux ans, la préfecture peut accorder la régularisation. Avant, c’était six mois renouvelables si la personne participe à la dénonciation du système d’exploitation sexuelle. On a obtenu que toute dénonciation octroie automatiquement le droit à un titre de séjour d’un an et les personnes concernées ont maintenant la possibilité d’avoir un titre de séjour sans faire de dénonciation. Nous sommes sur la création de nouveaux droits, d’une nouvelle allocation, d’une nouvelle forme de titre de séjour, dans un contexte où on tend plutôt à les retirer aux personnes.
Pour qu’il y ait une application réelle au niveau de tous les territoires, il faudrait que chaque préfet priorise cette problématique afin de mettre en place les commissions départementales et les parcours de sortie. Malheureusement, pour les services de police et les préfets, seule compte la lutte contre la menace terroriste et contre l’immigration clandestine. Localement, la politique migratoire peut être particulièrement raide, d’où le rejet d’une majorité des dossiers. Or la loi crée des droits, et ils doivent être appliqués. Il suffirait que le ministère de l’Intérieur produise des circulaires afin de presser les préfets à appliquer cette loi, à prioriser ces enjeux. C’est une question de volonté politique. Et cela crée en effet des inégalités territoriales très fortes. Pourtant, chaque semaine, la situation évolue et de nouvelles commissions sont créées.
En quelques mois, 55 parcours de sortie ont été obtenus avec seulement quelques commissions créées. Tabler sur 600 dossiers acceptés l’année prochaine, cela ne semble pas trop excessif car d’autres commissions voient le jour. Nous avons actuellement 1 000 dossiers plus ou moins prêts à être déposés. Dans les faits, nous avons un millier de personnes que nous accompagnons chaque année et qui sont en parcours de sortie au sens de notre association. Et là, avec un parcours de sortie instauré par la loi, cela pourrait réellement changer les choses. La secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes a affirmé vouloir la réussite de cette loi. Mais dans quelle mesure une secrétaire d’Etat pourra faire infléchir les choses, nous ne savons pas.
Nous ne souscrivons pas à leur analyse. Le sentiment d’une baisse de revenus et la détérioration des conditions de travail, cela fait quinze ans qu’on en parle. Depuis le milieu des années 1990, on nous dit qu’il y a moins de clients, qu’on ne peut plus sélectionner parmi les bons et les mauvais clients en raison de la concurrence avec les Bulgares, les Roumaines et les Albanaises. Dans les années 2000, avec l’arrivée des Nigérianes, on a entendu le même discours. Avec la crise financière de 2008, la baisse de clients s’est accentuée. Depuis dix ans, 62 % de la prostitution se fait en ligne et non plus dans la rue. Appeler à l’abrogation de cette loi, c’est, à notre sens, dogmatique et irresponsable de la part de ces associations. En revanche, certaines choses ne fonctionnent pas comme elles le devraient, et nous sommes pour cela en train de travailler sur des recours administratifs pour faire annuler certains arrêtés illégaux.