Pour Abdoul-Kader, l’aventure a commencé en 2004. Des médecins de Médecins sans frontières, en mission aux Comores, lui détectent du diabète ainsi qu’une maladie inflammatoire chronique intestinale, mettant des mots sur des souffrances physiques endurées depuis deux ans. « Ils m’ont dit que pour résoudre le problème, il fallait partir d’ici, soit pour Madagascar, soit pour l’Europe », raconte l’intéressé. En arrivant à La Réunion après une évacuation sanitaire, Abdoul-Kader se retrouve confronté aux difficultés des étrangers dans son cas. Seul à l’hôpital, face à des médecins dont il ne comprend qu’à moitié la langue, inquiet de l’avenir. On lui apprend qu’il est trop maigre pour être opéré, et qu’il faut qu’il rentre chez lui ou que quelqu’un vienne le chercher pour l’héberger, qu’il reviendra quand il aura pris du poids. Prêt à rentrer chez lui, toujours malade, Abdoul-Kader doit finalement son salut à l’un de ses compatriotes, un inconnu, qui lui propose son aide. Un épisode qu’il n’est pas prêt d’oublier.
Aujourd’hui installé à La Réunion où il doit recevoir des soins réguliers jusqu’à la fin de sa vie, Abdoul-Kader a décidé de s’inspirer de son sauveur et d’aider à son tour les Comoriens qui arrivent sur l’île après une évacuation sanitaire. En 2016, il a donc créé un collectif informel pour centraliser des actions. Aujourd’hui, le groupe est composé d’une trentaine de bénévoles qui écument les chambres d’hôtel de La Réunion pour épauler des Comoriens en détresse. Aide linguistique, soutien dans les démarches administratives, mise en contact avec des citoyens locaux et visites régulières des lits d’hôpitaux pour rassurer ses compatriotes et les aider à vaincre la solitude sont autant d’activités menées par le collectif. « On aide aussi ceux qui nous aident », précise Abdoul-Kader. « Par exemple, à la Cimade, ils nous aident mais parfois ils se trouvent bloqués par la langue des patients comoriens par exemple, alors on fait le lien. » Le collectif intervient aussi pour trouver des solutions temporaires d’hébergement aux personnes aidées, quitte à faire du porte-à-porte jusqu’à trouver un toit accueillant. Toutefois, l’action est limitée par son caractère bénévole. « Parfois, on m’appelle mais je ne réponds pas car je suis au travail », témoigne l’agent d’entretien en laboratoire.
Grâce aux différentes missions et à un bouche-à-oreille efficace au sein de la communauté comorienne, le collectif gagne progressivement en notoriété. Pour autant, les perspectives de développement sont relativement faibles. « Nous sommes un collectif informel et ne recevons donc pas de subventions », explique Abdoul-Kader. « Nos seuls fonds proviennent de récoltes organisées entre nous, entre Comoriens. Tout ce que nous faisons, c’est toujours avec de l’argent qui provient de notre poche. » Et pas question pour le collectif d’organiser des collectes ou des opérations de communication. « Les Comoriens ne sont pas toujours bien vus. Ici c’est comme partout, un étranger reste un étranger. Nous évitons ce genre d’opérations, parce que nous ne voulons pas que les gens pensent que nous profitons », précise Abdoul-Kader. « Certaines personnes ne comprennent pas que, vu la situation, nous n’avons pas le choix. Qu’on ne vient pas piquer leurs boulots. Que nous sommes venus ici juste pour chercher des soins. Pour vivre. Survivre, plutôt. » Aujourd’hui, Abdoul-Kader possède une carte de résident et est éligible à la nationalité française. Pourtant, il n’a pas prévu d’entamer les démarches. « Ça ne changera rien, ni pour moi ni pour le collectif. Nous sommes des Comoriens, et c’est écrit sur nos visages. »