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La France invente les clandestins légaux…

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Soifiat a 33 ans. En août 2015, sa vie bascule alors qu’une lampe à pétrole, moyen d’éclairage encore très répandu aux Comores, lui explose dans les mains. La cabane en location, dans laquelle elle se trouve avec deux de ses filles (1 et 3 ans) et sa nièce, part en fumée. « Le feu est entré partout dans les chambres. J’ai pris les enfants pour les aider à sortir. J’étais désespérée », se souvient la jeune femme avec émotion. Toutes les quatre parviennent à sortir mais sont grièvement brûlées et ont besoin de soins d’urgence. Elles n’ont plus qu’un seul objectif : rejoindre Mayotte – c’est-à-dire la France – à 80 kilomètres en mer, pour espérer survivre.

« Enfermés dans une précarité durable »

Après avoir vendu les terres cultivables de sa famille pour s’affranchir des 2 500 € nécessaires à leur traversée, Soifiat embarque avec les trois jeunes filles et des clandestins sur un kwassa-kwassa, canot de pêche local sur lequel beaucoup de Comoriens tentent le voyage. Ils sont arrêtés par la gendarmerie française, qui remarque les blessures des brûlées et les accompagne jusqu’au centre hospitalier de Mayotte, mais l’offre de soins y est insuffisante pour les prendre en charge. Deux jours passent avant que Soifiat ne bénéficie d’une évacuation sanitaire, un dispositif inclus dans la sécurité sociale de Mayotte lors de sa création en 2004. Elle est envoyée à La Réunion avec Fahamia, sa fille de 3 ans.

Voilà aujourd’hui trois ans que Soifiat et sa fille sont sur le sol français, où elles ont reçu des soins. Elles sont désormais hors de danger, mais Fahamia – qui a maintenant 6 ans – doit rester à La Réunion jusqu’à la fin de sa croissance, soit encore une dizaine d’années, pour recevoir un traitement, conformément à l’avis médical. En vertu de la loi française, les parents d’enfants malades peuvent rester sur le territoire jusqu’à ce que les soins ne soient plus nécessaires. Pourtant, il est impossible pour Soifiat d’obtenir un titre de séjour longue durée. La préfecture de Saint-Denis se contente de lui attribuer des autorisations provisoires de séjour (APS) de trois à six mois, qu’elle a déjà fait renouveler quatre fois. Des documents insuffisants qui entraînent une situation de « véritable insécurité sociale, avec impossibilité d’aller sur un logement durable et de trouver un travail », constate Marie Delers, bénévole à la Cimade et médecin à la permanence d’accès aux soins (Pass) du CHU. « Les gens comme Soifiat se retrouvent enfermés dans une précarité durable et dramatique qui les empêche de s’insérer convenablement à La Réunion. »

L’association de solidarité et de soutien aux migrants, réfugiés et demandeurs d’asile connaît bien le sujet, sur lequel elle travaille depuis deux ans. « Le but de la Cimade, c’est d’accompagner ces personnes et d’arriver à stabiliser leur droit au séjour », résume Emmanuelle Gamain, intervenante juridique à la Cimade. « Nous faisons des demandes de titres “liens personnels et familiaux”, car l’APS octroyée par la préfecture est un titre de séjour spécifique vendu comme une avancée pour les parents d’enfants malades, mais qui est en vérité un vrai piège juridique. Il est bien plus précaire que le titre de séjour qu’ils obtenaient sur un autre fondement », explique-t-elle.

Malheureusement, l’intervention de l’association suffit rarement à faire bouger les lignes. « C’est un vrai combat juridique parce qu’en général, la préfecture applique bêtement la loi et continue de délivrer des APS », regrette Emmanuelle Gamain. La Cimade doit laisser s’écouler quatre mois après la demande pour considérer la non-réponse de la préfecture comme un refus implicite de la requête. « Dans ce cas, on est obligé d’aller au contentieux devant le tribunal administratif pour qu’un magistrat statue dans le sens de la délivrance d’une carte d’un an », précise-t-elle. « On arrive à obtenir des cartes d’un an, mais cela prend plusieurs mois, voire plusieurs années, ce qui limite le nombre de personnes que l’on peut accompagner », complète Marie Delers, qui précise que la longueur des délais s’explique par le fait que, « en l’absence d’obligation de quitter le territoire français, ces situations sont considérées comme non urgentes ». Dans le cas de Soifiat, la demande de titre formulée à la préfecture ces dernières semaines n’a pas encore abouti. « Il y a des jours où c’est difficile. Je n’ai pas autre chose comme horizon que le foyer, cela fait trois ans que je n’ai pas revu mes deux enfants restés aux Comores, et je ne vois rien bouger », témoigne la jeune femme. La préfecture de Saint-Denis n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Confiscation de papiers et enfermement à l’hôpital

« L’enjeu des évacuations sanitaires, c’est que c’est un dispositif qui a été conçu à l’origine comme un aller-retour, pour que des gens viennent se soigner et repartent », analyse Emmanuelle Gamain. « Lorsque qu’une personne qui a bénéficié d’une Evasan [évacuation sanitaire ou médicale] demande à rester à La Réunion, il y a une confrontation entre cette logique d’aller-retour et la loi qui offre à un étranger la possibilité de s’installer en France s’il est atteint d’une pathologie nécessitant une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences graves. » « Cette confrontation fait apparaître des pratiques assez particulières », note la Cimade. « Plusieurs personnes qui sont arrivées à La Réunion dans le cadre d’une Evasan avec tous leurs documents, état civil et laissez-passer inclus, et à l’arrivée à l’hôpital ils se sont fait confisquer tout leur dossier. »

L’objectif, « c’est de s’assurer que ces personnes rentrent chez elles, ou du moins qu’elles ne quittent pas l’hôpital », estime la Cimade, qui précise que « l’absence de ces documents complique la démarche pour demander un titre de séjour ». Une information non confirmée par la direction du centre hospitalier de Saint-Denis, mais corroborée par Marie Delers. « J’ai toujours entendu dire que, quand les gens viennent de Mayotte dans le cadre d’une Evasan, l’hôpital est responsable d’eux et de leur retour à Mayotte. Donc, en fait, si les gens décident de rester, c’est de la responsabilité de l’hôpital de ne pas faciliter l’accès aux droits et au titre de séjour ici. Il y a plein de gens qui pourraient rester hospitalisés sur indications médicales, ou avoir des permissions de sortie le week-end s’ils ont une solution d’hébergement sur place, mais on leur interdit parce qu’ils sont en Evasan, donc cloîtrés à l’hôpital. »

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