La plupart des grandes villes universitaires (Lyon, Strasbourg, Nantes, Rennes…) rejoignent la grève et organisent des manifestations auxquelles des groupes d’ouvriers se joignent.
Ce jour marque un tournant du mouvement. La faculté de Nanterre est rouverte. Le mouvement social s’amorce avec un appel à la grève lancé par la CGT, la CFDT, la FEN et l’UNEF. Dans la soirée, une manifestation rassemblant étudiants et lycéens se déroule dans le Quartier latin. Ce sera une des plus violentes du mois, connue sous le nom de « nuit des barricades » : les manifestants dépavent les rues et saisissent tous les éléments de mobilier urbain pour ériger des barricades. C’est aussi le début du jeu du chat et de la souris entre les étudiants et les CRS, orchestré par les radios périphériques Europe n° 1 et RTL. En effet, grâce aux voitures émettrices, les étudiants – qui écoutent les reportages radio sur leurs transistors – sont informés du positionnement des forces de l’ordre et peuvent ainsi les éviter. La petite histoire veut que l’état-major de la police écoutait aussi les radios pour savoir où étaient les étudiants… A l’issue de cette nuit chaude, on relèvera plusieurs centaines de blessés, mais aucun mort, malgré la violence des affrontements.
Informé de la violence de la manifestation de la nuit, Georges Pompidou décide d’interrompre son voyage en Afghanistan. De retour à Paris, il prend conscience de la gravité et surtout de la nature des « événements ». Dans un souci d’apaisement, et contre l’avis du général de Gaulle, il décide la réouverture de la Sorbonne pour le 13 mai et demande au ministre de l’Education, Alain Peyreffite, d’ouvrir des négociations avec la FEN. Mais c’est trop peu et trop tard. Le mouvement est parti. Les syndicats (CGT, CFDT, FO, CGC) lancent un appel à la grève générale. L’université de Strasbourg se déclare autonome.
La grève se propage comme une traînée de poudre. Des manifestations massives ont lieu un peu partout dans le pays. A Paris, un cortège d’un million de personnes rassemblant ouvriers, enseignants et étudiants défile de la gare de l’Est à Denfert-Rochereau, avec le slogan « 10 ans, ça suffit ! » – allusion au 13 mai 1958, le jour où les Français d’Algérie avaient manifesté, appelant au retour au pouvoir du général de Gaulle…
L’alliance col bleu-col blanc – hantise de tous les pouvoirs – va-t-elle se produire ? Pas encore. Les étudiants seuls poursuivent leur route jusqu’au Champ-de-Mars, au pied de la tour Eiffel.
Le mouvement prend une dimension politique. Alors que la Sorbonne se déclare « commune libre », le Parti communiste et la FGDS (la formation de François Mitterrand) déposent une motion de censure. L’usine Sud-Aviation (Dassault) est occupée et la direction séquestrée. Toujours pas convaincu de la gravité de la situation, le général de Gaulle part en voyage officiel en Roumanie. Erreur funeste. Quand il rentrera, quatre jours plus tard, son « cher et vieux pays » ne sera plus le même et il aura virtuellement perdu le pouvoir au profit du Premier ministre. Georges Pompidou prend en effet la main.
La grève générale est à son paroxysme. Les usines sont à l’arrêt, le pays est paralysé, faute de distribution d’essence, des pénuries alimentaires apparaissent en raison de l’impossibilité d’approvisionner les villes, l’électricité est coupée par les ouvriers d’EDF, les poubelles non ramassées s’amoncellent dans les rues… Le théâtre de l’Odéon est occupé par tout ce que Paris compte d’intellectuels, d’artistes et de people – comme on ne disait pas encore – qui refont le monde, dénonçant l’impérialisme américain, vantant le communisme et s’enthousiasmant pour la Révolution culturelle chinoise. A Paris, le Quartier latin est devenu une zone de guerre.
Le pays retient son souffle. Il est sur une ligne de crête, hésitant entre révolte, insurrection et révolution. De quel côté va-t-il tomber ?