Les pavés de Mai 68 ne semblent pas avoir atteint les fenêtres des hospices et des maisons de retraite. Les personnes âgées d’alors n’avaient pas la fougue ni l’énergie des seniors d’aujourd’hui, qui n’hésitent pas à aller manifester pour faire entendre leur voix. Le vieillissement démographique est d’ores et déjà une réalité, mais la vieillesse est plurielle.
Depuis 1968, la population dite « âgée » a bien changé, et ses besoins également. Daniel Réguer, sociologue de la vieillesse, a travaillé sur cette période : « En 1968, on est travailleur jusqu’à 65 ans, on passe du travail à un état de grande fatigue. Il ne faut pas oublier que l’espérance de vie est de 67 ans pour les hommes ; des personnes en bonne forme, il n’y en a pas beaucoup à cet âge-là. »
Aujourd’hui, la durée de vie passée à la retraite est estimée entre vingt-trois et vingt-cinq ans. Certains vont même au-delà. En 1968, on comptait 1 000 centenaires, pour 21 400 en 2017. Un vieillissement démographique effectif, le nombre des plus de 60 ans a quasiment doublé entre 1968 et aujourd’hui, passant de 8,8 à 16 millions. Leur prise en charge constitue un défi, et cela ne date pas d’hier.
Si une révolution a eu lieu dans le secteur de la vieillesse, elle intervient en 1962 avec le rapport « Laroque ». « C’est la première fois qu’un rapport sur le vieillissement se préoccupe non pas seulement de questions financières (montant et âge de la retraite) mais de celles de mode de vie », commente Daniel Réguer. Le conseiller d’Etat Pierre Laroque – un des auteurs des ordonnances créant la sécurité sociale en 1945 – parlait à l’époque d’un triptyque : pauvreté, mal-logement et isolement social. Un triptyque qui est d’ailleurs toujours d’actualité : aujourd’hui, plus d’un million de personnes âgées vivent avec moins de 1 000 € par mois, selon le Secours populaire français. A la suite de ce rapport, des mesures ont été mises en place pour lutter contre la précarisation de la vieillesse, avec la revalorisation des retraites et du minimum vieillesse, l’amélioration de l’habitat par des soutiens financiers (l’allocation logement) et en donnant la priorité au maintien à domicile.
En 1981, les personnes âgées ont un secrétaire d’Etat, fait inédit sous la Ve République. A cette époque, de nombreuses enquêtes épidémiologiques ont été réalisées afin de quantifier le niveau de dépendance des personnes âgées. Ces dernières sont de plus en plus considérées sous l’angle des « incapacités », mais les politiques prônent toujours le maintien à domicile. Pour soutenir ce que l’on appelle à présent la « perte d’autonomie », une série de dispositifs est mise en place : l’instauration des exonérations de cotisations sociales pour les plus de 70 ans et la création des services mandataires en 1986, la loi sur l’hébergement des personnes âgées en familles d’accueil en 1989, ou encore l’ouverture à la concurrence des services aux personnes en 1991. La professeure Françoise Forette, spécialiste en gériatrie et directrice d’ILC (International Longevity Center) France, a été témoin de ces évolutions : « A chaque gouvernement, il y a eu des améliorations en termes d’aide aux personnes âgées pour rester à domicile. Il y a eu notamment la création de l’APA [allocation personnalisée d’autonomie] en 2001. Si cette allocation a amélioré un peu la situation, c’est un dispositif qui n’est pas simple. Pour avoir un taux complet d’APA, il faut être totalement dépendant et ne pas avoir des revenus supérieurs à une certaine limite, cela limite l’intérêt de l’APA pour un grand nombre de Français. »
La prise en charge des personnes âgées reste aujourd’hui un défi des politiques publiques. Dernièrement, Emmanuel Macron a parlé, lors de son intervention télévisée, d’un « choc démographique ». Selon l’INSEE, si l’espérance de vie devrait s’accroître de sept à huit ans d’ici à 2060, dans le même temps, le nombre de personnes en situation de dépendance devrait doubler, pour passer à 2,3 millions. Face à cette projection, le président de la République a évoqué la création d’un « cinquième risque » couvert par la sécurité sociale. Un engagement déjà pris par un de ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy, en 2011, mais non tenu faute de financement. Dans tous les cas, le problème est posé : il manque 10 à 15 milliards d’euros pour financer la dépendance, et il est urgent de trouver une solution.