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Mandataires : les pièges de la relation triangulaire

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Les récentes évolutions législatives – notamment la réforme du droit du travail engagée par la loi du 8 août 2016, dite loi « travail »(1), et poursuivie par les ordonnances « Macron » – conduisent à repenser la place du particulier employeur et, par extension, le rôle des structures mandataires dans le secteur des services à la personne et de l’aide à domicile.

« S’il est une problématique récurrente dans le secteur des services à la personne, celle des structures mandataires et de leur inévitable responsabilité en cas de dépassement du cadre de leur mandat peut valablement être soulevée.

La question n’est pas nouvelle, mais les juridictions connaissent régulièrement des litiges relevant de cette qualité de mandataire, et plus précisément des contours permettant aux associations et entreprises de conserver leur statut de mandataire, sans encourir le risque d’une requalification.

La difficile distinction entre mandataire et prestataire dans le secteur des services à la personne connaît une application des règles de droit que l’on pourrait qualifier d’“adaptée”, ou d’“adaptable”.

Les dispositions de l’article L. 7232-6, 1°, du code du travail exposent clairement que l’association ou l’entreprise qui exerce son activité en mode mandataire assure le placement de travailleurs auprès de personnes physiques (particuliers employeurs) et accomplissent, pour le compte de ces derniers, des formalités de nature administrative ainsi que des déclarations sociales et fiscales liées à l’emploi desdits travailleurs. Il convient toutefois de relever que le mode mandataire ne doit pas être confondu avec le prêt de main-d’œuvre, qui connaît l’application des dispositions spécifiques relatives au travail temporaire. A ce titre, l’article précité du code du travail mentionne expressément que les entreprises ou associations ont la faculté d’exercer leur activité en mode mandataire, prestataire, ou en assurant le recrutement des travailleurs afin de placer les salariés auprès de particuliers.

En réalité, dès lors que la structure intervient en mode mandataire, une forme de relation triangulaire se met en place, y incluant la structure, le particulier employeur et le salarié.

Par définition, la structure mandataire agit alors en simple intermédiaire, dans une relation contractuelle entre le particulier et son salarié. Il ressort en conséquence de cette situation que le particulier doit être lié par deux contrats : le premier avec la structure mandataire et le second avec le salarié. Il ressort également dans ces conditions que seul l’employeur, comme dans le cadre de l’emploi de gré à gré, est responsable du déroulement de la relation contractuelle mais aussi et surtout de la rupture du contrat de travail.

Toutefois, l’histoire juridique et surtout jurisprudentielle de ce mode mandataire démontre une tout autre réalité. Il n’est pas aussi aisé de limiter l’exercice de l’activité de la structure au mode mandataire, et comme souvent, ce sont les conditions réelles d’exercice qui vont être soigneusement et méticuleusement analysées régulièrement par la Cour de cassation.

Deux difficultés majeures surviennent de manière récurrente (point I) et conduisent invariablement à subir la condamnation de la haute juridiction (point II)[2].

I. Le lien de subordination

La première difficulté est relative au comportement de la structure. Lorsque cette dernière, malgré son statut, dépasse les limites du simple mandat, la relation contractuelle doit pouvoir être requalifiée.

La Cour de cassation relève avec justesse qu’il convient de s’interroger sur le rôle réel de la structure et recourt à la technique éprouvée du “faisceau d’indices”. Par plusieurs arrêts, la haute juridiction a rappelé son attachement à la réalité de la relation contractuelle, admettant le contrôle très factuel exercé par les juridictions de premier et second degré.

Il est par ailleurs constant que la preuve de l’existence du contrat de travail entre la structure et le salarié appartient alors à celui qui souhaite s’en prévaloir, comme en présence de tout contrat apparent (Cass. soc., 23 octobre 2013, n° 12-19.921 ; Cass. soc., 9 juin 2017, n° 16-14.358). Il sera alors nécessaire de démontrer la réunion des conditions de reconnaissance du contrat de travail et de rapporter classiquement la preuve de l’existence d’une prestation de travail, d’une rémunération et d’un lien de subordination.

La problématique relative aux structures mandataires amène à s’interroger sur le lien de subordination, et surtout à déterminer si ce lien est effectif avec le particulier ou si les conditions d’exercice de la prestation de travail dénotent une subordination prégnante envers le mandataire. Dès lors que le mandataire détermine les conditions d’exercice de la prestation du salarié telles que les horaires de travail, les dates de congés ou le versement des salaires, il exerce des prérogatives relevant du pouvoir de l’employeur et doit être déterminé comme tel. La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser à de nombreuses reprises que ces éléments font nécessairement basculer le lien de subordination et, par là même, le contrat de travail vers l’association ou l’entreprise (Cass. soc., 2 février 2011, n° 09-69.235 ; Cass. soc., 28 novembre 2012, n° 11-21.520 ; Cass. soc., 21 octobre 2014, nos 12-28.706 et 12-28.707). A contrario, lorsque le mandataire ne dépasse pas les limites de son mandat et se limite à l’assistance du particulier notamment dans l’établissement des bulletins de paie, la structure n’encourt pas le risque de la requalification (Cass. soc., 13 janvier 2016, n° 14-22.567). La chambre sociale de la cour d’appel de Bourges a récemment rappelé à titre d’illustration que l’association mandatée ne peut être requalifiée d’employeur, à moins que celle-ci ne se substitue totalement au particulier en fixant unilatéralement les conditions de travail dans le cadre d’un service organisé (cour d’appel de Bourges, chambre soc., 6 janvier 2017, n° 14/00753).

La plus grande prudence doit ainsi être observée dans le respect du mandat donné par le particulier, mais également dans les limites permettant de ne pas considérer juridiquement que le mandataire a exécuté des prestations que l’on ne pourrait considérer comme simple accompagnement.

La seconde difficulté est relative au particulier qui a la qualité d’employeur et à sa capacité même à contracter avec un salarié.

Tel que défini par le code du travail, le rôle du mandataire est de fournir un accompagnement en accomplissant, pour le compte des particuliers, les formalités administratives, sociales et fiscales incombant habituellement à l’employeur. Le mandataire permet au particulier de bénéficier d’une aide non négligeable, mais demeure le risque inhérent à la capacité réelle du particulier à devenir employeur. Le mandataire ne doit-il pas vérifier la capacité du particulier à devenir employeur pour pallier tout risque éventuel ? La capacité à contracter est en effet une des conditions essentielles et déterminantes de la validité de tout contrat et connaît une stricte application en droit du travail (code civil, art. 1108 ; code du travail, art. L. 1221-1). Si le mode mandataire a pour objectif affiché de faciliter l’emploi d’un salarié par un simple particulier, demeure donc la question concernant la personne dont l’état de santé ne doit pas permettre d’assurer une capacité à contracter. La problématique est renforcée s’agissant des particuliers dont l’âge avancé ou la situation de handicap peuvent permettre de remettre en question la capacité à donner un consentement libre et éclairé à la relation de travail (Cass. soc., 28 novembre 2006, nos 05-43.195 et 05-43.196). La structure mandataire doit en conséquence prendre toutes les précautions nécessaires et procéder à la vérification de la capacité juridique du particulier à contracter, si elle souhaite éviter par la suite de se voir reconnaître comme employeur.

II. Les conséquences de la requalification de la structure mandataire

L’intérêt pratique d’une telle requalification pour les structures mandataires doit évidemment être évoqué. Hélas, loin des considérations juridiques pures, l’intérêt sera finalement limité à celui de l’opportunité et surtout de l’effectivité du succès d’une action en justice devant le conseil de prud’hommes. Tant le particulier que le salarié ont tout intérêt à attraire dans la cause le mandataire en cas de litige prud’homal. Le mandataire qui se substitue au particulier dans son rôle d’employeur encourt nécessairement le risque de se voir reconnaître la qualité d’employeur et de subir les conséquences afférentes. Et dans ce contexte, le “mandataire” devenu prestataire pourra, sous le prétexte de son immixtion dans la relation contractuelle entre le particulier et son salarié, se voir reconnaître le statut à tout le moins de coemployeur, ou, plus grave, d’employeur, en lieu et place du particulier, devenant redevable de l’ensemble des conséquences juridiques et indemnitaires.

Le particulier se verra ainsi déchargé de la responsabilité qui lui incombait en tant qu’employeur, et plus spécifiquement des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre.

Quant au salarié à l’initiative de l’action prud’homale, la bonne exécution du jugement, et surtout le règlement des condamnations, est assurée grâce à la meilleure solvabilité – en principe – de la structure par rapport à celle du particulier. Il est enfin utile de rappeler que les juges risquent d’être plus enclins à allouer au demandeur des dommages et intérêts conséquents, quand ils peinent à condamner un particulier qui ne connaît quant à lui qu’une solvabilité limitée. »

Notes

(1) Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, J.O. du 9-08-16.

(2) Le titre et les intertitres sont de la rédaction.

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