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Les « malgré-nous » du système social

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Bénévoles, épuisés, non reconnus, les proches aidants de personnes âgées et handicapées sont au bord de l’explosion. Alors qu’Emmanuel Macron s’était engagé à « accompagner les aidants dans leur engagement », la question de leur donner un statut se pose avec acuité. L’aide familiale doit-elle devenir un métier ?

Dans la mythologie grecque, Atlas est un titan condamné à porter la voûte céleste sur ses épaules… pour l’éternité. Pendant combien de temps encore, les 8 à 11 millions de proches aidants de personnes âgées dépendantes ou handicapées seront-ils, eux, contraints à supporter le système sanitaire et social, au nom de la solidarité familiale ?

Le travail bénévole de ces hommes et – majoritairement – de ces femmes, que la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) a qualifiés en 2012, « d’acteurs invisibles », de ces « soutiers du care », selon l’expression du sociologue et spécialiste du vieillissement, Serge Guérin, fait économiser à l’Etat, entre 12 et 16 milliards d’euros au total, soit 0,6 % à 0,8 % du produit intérieur brut (PIB). Au regard des évolutions démographiques, du vieillissement de la population, de l’explosion des maladies chroniques et neuro-dégénératives – en 2020, 1 Français de plus de 65 ans sur 4 devrait être touché par la maladie d’Alzheimer – le nombre des aidants ne va pas cesser de croître (17 millions en 2020, selon certaines estimations). Conséquence : la politique d’aide et de soutien aux aidants devient une urgence sociétale, un enjeu majeur de santé publique.

En octobre dernier, Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, appelait, à « réveiller les consciences » sur le quotidien des aidants. Elle envisageait trois axes de travail pour y parvenir : la formation des professionnels de santé, la reconnaissance des aidants dans la société, et leur prise en charge institutionnelle.

Erigeant le maintien à domicile des personnes âgées dépendantes en priorité politique, la loi d’adaptation de la société au vieillissement (loi « ASV »), entrée en vigueur le 1er janvier 2016, avait donné des gages de reconnaissance aux aidants : un statut, un congé du proche aidant ouvert aux aidants sans lien de parenté avec la personne aidée, un droit au répit intégré à l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). « Certes, la loi “ASV” a eu le mérite de mettre en lumière les 6 millions d’aidants d’un proche âgé, mais dans les faits, il ne se passe pas grand-chose. On leur a fait miroiter un droit au répit pour ensuite leur opposer une fin de non-recevoir car certains conseils départementaux ont refusé de mettre en place cette mesure », déplore Pascal Jannot, président et fondateur de la Maison des aidants à Bergerac (Dordogne). « La France compte 5 millions de salariés aidants. Et quand on croise un aidant actif et qu’on lui explique que le congé de proche aidant, qui ne fait que remplacer le congé de solidarité familiale, est un congé de trois mois, sans solde… C’est de la poudre aux yeux ! », poursuit-il.

Florence Leduc, présidente de l’Association française des aidants, partage ce constat d’échec pour ce qui devait être une mesure phare de la loi « vieillissement » : « On rend le droit au répit tellement difficile d’accès que les aidants n’y ont pas recours. Ensuite, on dit que le droit n’est pas effectif car il n’y a pas de besoins. »

La stratégie nationale pour soutenir et accompagner les aidants de personnes en situation de handicap joue, également, la carte de la reconnaissance. A travers l’ensemble des politiques en faveur du handicap, les pouvoirs publics entendent « faire reconnaître le rôle central des aidants, rappeler le caractère indispensable de leur contribution à l’accompagnement pour l’autonomie et réaffirmer la nécessité de leur accorder davantage de reconnaissance et de soutien au regard de ce rôle et des impacts sur leurs propres vies ».

Un système hypocrite

Mais les associations refusent que l’on accroche la médaille du mérite sur le plastron des proches aidants pour se dédouaner d’une réflexion approfondie sur les moyens d’une prise en charge de la perte d’autonomie. « Il faut en finir avec ce discours ambigu, décomplexé sur la reconnaissance des aidants, sur l’entraide familiale. Ce discours a des effets pervers majeurs et tend à faire de ces femmes, des saintes et de ces hommes, des héros. Le risque majeur est d’assigner les aidants à résidence, de les rendre indispensables, pour qu’ils fassent les soins, qu’ils remplacent l’auxiliaire de vie, l’infirmier, le kiné. Non, ce n’est pas naturel de devenir le soignant de son proche ! Il y a urgence à clarifier le rôle de chacun, à sortir d’un système hypocrite, à mettre le curseur à la bonne place et de ne pas faire des aidants une variable d’ajustement. L’enjeu prioritaire, ce ne sont pas les aidants mais les moyens attribués à la prise en charge de leurs proches malades, dépendants ou handicapés. La question de la prise en charge de la dépendance n’est pas une question de bons sentiments mais une question politique ! », critique Florence Leduc.

Brigitte Lamarre, administratrice en charge des aidants familiaux à l’Union nationale des associations familiales (UNAF) et porte-parole du Collectif inter-associatif d’aide aux aidants familiaux (CIAAF), s’oppose également à « une reconnaissance des aidants qui glisse vers une obligation effective du devoir familial ». Et d’ajouter : « Une personne doit pouvoir choisir d’être l’aidant d’un proche et pouvoir choisir son degré d’implication. La solidarité familiale et l’aide aux aidants ne doivent pas être les prétextes à un désengagement de la solidarité nationale envers les personnes aidées. Le CIAAF demande le développement de services de proximité et de qualité. »

« La seule obligation envers des ascendants est l’obligation alimentaire. 40 % des aidants sont totalement isolés. Le rôle des aidants consiste à organiser, coordonner la prise en charge par des professionnels du secteur social, sanitaire et médico-social de leur proche. Leur rôle n’est pas de se désocialiser, d’être contraints de pratiquer des actes techniques tels que s’occuper d’une sonde gastrique, d’une sonde urinaire, de faire des pansements complexes, des aspirations bronchiques qui relèvent de l’exercice illégal de la médecine, de mettre leur santé en danger, de sacrifier leur vie professionnelle, personnelle, affective. Non, être aidant n’est pas une obligation ! », martèle Pascal Jannot.

Droit au répit, droit à la formation, droit à l’information… Qu’attendent de la puissance publique, les proches aidants, de plus en plus souvent décrits comme épuisés, à bout de souffle, propices au burn-out ?

Dans un rapport du 1er décembre 2017 relatif à la prise en charge des aides à l’autonomie et son incidence sur la qualité de vie des personnes âgées et de leurs proches aidants, le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) considérait que « le premier droit des aidants est que le plan d’aide de leur proche soit d’un bon niveau et qu’un service public de bonne qualité le mette en œuvre ».

Un plan national « aidants »

Comme le rappelle la stratégie nationale de soutien aux aidants de personnes en situation de handicap, les études menées par des équipes de recherches, les sondages, les remontées de terrain relayées par les associations d’usagers convergent autour d’une liste de besoins fréquemment rencontrés chez les aidants. En tête de cette ladite liste, on trouve… le besoin d’une aide financière et/ou matérielle. En clair, il faut des sous. Et des sous pour tous les aidants !

Dans leur rapport d’évaluation sur le volet « domicile » de la loi « ASV », publié en octobre 2017, l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’inspection générale de l’administration (IGA) ont considéré que « la question des aidants doit s’envisager de façon large » en englobant les personnes âgées dépendantes, les personnes en situation de handicap et les personnes vivant avec une maladie chronique invalidante. Cela pourrait prendre la forme d’un plan national « aidants », sous l’égide de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), en lien avec la « stratégie nationale pour soutenir et accompagner les aidants des personnes en situation de handicap ».

« Il faut sortir des politiques publiques genrées par pathologies. Par exemple, une aidante nous a fait savoir qu’elle n’a pas pu bénéficier d’un accueil de jour situé à proximité du domicile de son père atteint de la maladie de Parkinson car le dispositif était fléché sur une mesure Alzheimer. C’est aberrant ! », tempête Florence Leduc. Pour sa part, le CIAAF revendique notamment de permettre un départ à la retraite à 65 ans à taux plein à tous les aidants familiaux et non uniquement aux aidants des personnes handicapées, d’accorder à tous les aidants familiaux une majoration de la durée d’assurance vieillesse.

Si les pouvoirs publics ne peuvent plus ignorer l’urgence du dossier « aidants », les entreprises, jusque-là attentistes, ne pourront plus longtemps classer cette question dans la sphère privée de leurs collaborateurs. Selon l’étude « Qualité de vie au travail 2017 » de Malakoff Médéric, publiée en octobre dernier, seuls 31 % des dirigeants interrogés sont en mesure d’estimer le nombre de salariés aidants présents dans leur entreprise, et ce sujet n’est aujourd’hui un thème de réflexion que pour 15 % d’entre eux. Et pourtant, ils sont légion : entre 15 % et 20 % des salariés des entreprises sont des aidants. Une « double vie » qui n’est pas sans conséquence pour leurs employeurs : absentéisme, baisse de la productivité, présentéisme, démissions et remplacements… Comment concilier vie d’aidant et vie professionnelle ? Dominique Gillot, présidente du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), a été missionnée, en décembre 2017, par le gouvernement pour formuler des propositions concernant le retour et le maintien dans l’emploi des aidants familiaux de personnes handicapées comme de personnes âgées. Les conclusions des travaux sont attendues, très prochainement, pour nourrir l’élaboration du projet de loi relatif à l’apprentissage et à la formation professionnelle. Les entreprises devront également faire de cette problématique une priorité de leur politique de ressources humaines.

Congés payés pour les aidants ?

« Monsieur le Président, passez à l’acte ! » Dans une lettre ouverte, en date du 16 avril, 51 associations représentant les familles, les personnes handicapées et âgées ont sollicité le soutien d’Emmanuel Macron à la directive européenne sur l’équilibre vie professionnelle, vie privée des parents et des aidants. Ce texte, en discussion au Conseil de l’Union européenne, propose, notamment, que les salariés aidants puissent bénéficier d’un droit à congé d’un minimum de cinq jours par an, indemnisés au moins au niveau d’un congé maladie.

Pour rappel, l’Assemblée nationale a repoussé, le 8 mars, une proposition de loi portée par Pierre Dharréville, député communiste des Bouches-du-Rhône et rapporteur d’une « mission flash » sur les aidants familiaux, qui proposait un montant d’indemnisation du congé de proche aidant identique à l’allocation journalière de présence parentale (AJPP), soit 43,14 €. « 30 000 personnes pourraient bénéficier du dispositif, pour un montant de 250 millions d’euros par an », avait estimé le député. Pour la ministre des Solidarités et de la Santé, l’ardoise aurait été bien plus – et trop – salée pour les finances publiques. « Si 20 % des aidants demandaient un congé de 120 jours par an […], le coût de cette mesure serait de 550 millions d’euros », avait chiffré Agnès Buzyn.

Le Parlement a adopté, en début d’année, l’extension du droit au don de RTT, déjà autorisé pour les collègues ayant un enfant malade, aux salariés aidants de personnes handicapées ou dépendantes (loi du 13 février 2018). « Jouer sur la solidarité entre collègues pour éviter de mettre en place une indemnisation du congé de proche aidant, c’est très pervers ! », tranche Brigitte Lamarre de l’l’Union nationale des associations familiales.

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