Précarité et instabilité. Ce sont les deux maux qui rongent le travail social et auxquels veut s’attaquer le rapport sur les quartiers populaires « Vivre ensemble – vivre en grand la République », achevé le 26 avril par Jean-Louis Borloo et remis au Premier ministre Edouard Philippe. Fruit de la concertation avec les élus locaux et les associations durant cinq mois, ce rapport est porteur de beaucoup d’espoirs, y compris chez les travailleurs sociaux. Parmi les 19 propositions de l’ex-ministre, leur rôle et leur statut y sont largement évoqués. Dans les quartiers prioritaires de la ville, ces 35 000 « héros de la République », qualifiés ainsi par l’ancien maire de Valenciennes dans son diagnostic, sont, depuis de nombreuses années, à bout de souffle.
Partant du constat que l’instabilité des financements et la multiplication d’interlocuteurs précarisaient l’action et le statut des travailleurs sociaux, l’ancien ministre de la Ville propose notamment une revalorisation salariale pour ceux employés par les collectivités et la création d’une « prime de convergence ville » (PCV) pour les statuts associatifs pouvant aller jusqu’à 2 000 € par an. Autre suggestion, mettre en place « un choc de simplification » dans le cadre des actions sociales afin de « lutter contre le découpage en dispositifs » des projets.
Mais la préconisation la plus attendue concerne plus sûrement la suppression des appels à projets, remplacés par un système de financement global s’étalant sur trois ans. « Aujourd’hui, les responsables associatifs sont devenus des auto-entrepreneurs de la commande publique. Ils passent leur temps à répondre à des appels à projets, à faire des bilans d’évaluations au lieu d’être sur le terrain, se désole Philippe Rio, maire de Grigny (Essonne), qui a participé à la concertation sur le rapport. En banlieue, nous sommes passés du travail social au travail humanitaire. On ne traite plus que l’extrême urgence. »
De son côté, si Gilles Leproust, maire d’Allonnes (Sarthe) et membre du collectif « Territoires gagnants », également consulté par Jean-Louis Borloo, salue « l’engagement fort du plan », la vigilance reste de mise : « Nous ne relâcherons pas la pression sur le gouvernement et s’il n’y a pas de réponse forte de l’exécutif en accord avec ce plan, la colère gagnera de nouveau les quartiers. »
Dès sa sortie, le projet a dû essuyer un bon nombre d’attaques venues de politiciens, et plus inquiétant encore, pour sa mise en œuvre, de la part de membres du gouvernement. Du côté des professionnels, les préconisations ne font pas non plus l’unanimité. Pour Pascal Corbex, secrétaire général de la Fédération de l’action sociale Force ouvrière, les propositions de Jean-Louis Borloo ne vont pas assez loin. La revalorisation des travailleurs sociaux en catégorie A est « une réforme en trompe-l’œil et une revalorisation au rabais ». « Les futurs indices des travailleurs sociaux éducatifs seront inférieurs aux grilles de type A et ne tiendront donc pas compte des compétences », dénonce-t-il, estimant que le rapport tant attendu « ne répond pas aux questions des besoins et des moyens nécessaires au travail social en banlieue ».
• En 2011, la France métropolitaine comptait 1,2 million de travailleurs sociaux dont 35 000 se trouvent dans les quartiers prioritaires de la ville.
• 51 000 travailleurs sociaux se regroupent dans l’aide sociale à l’enfance et les difficultés sociales. 51 % des travailleurs sociaux exerçant dans des structures de prise en charge ou des clubs et équipes de prévention sont des éducateurs spécialisés et 22 % des moniteurs-éducateurs. Par ailleurs, 29 000 éducateurs spécialisés travaillent directement pour les collectivités locales et les 18 000 assistants familiaux sont employés par les départements.
• 13 diplômes d’Etat structurent le travail social.
Sources : chiffres issus de deux études de la DREES effectuées en 2014 et 2018.