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Croissance folle, population jeune et plein emploi

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A la veille des événements de Mai 68, l’économie française est globalement prospère, comme une analyse des données démographiques de l’époque et une comparaison avec les éléments conjoncturels actuels le montrent.

Durant les années 1950, la France avait bien entamé sa mutation post-Seconde Guerre mondiale. C’était le cœur des Trente Glorieuses(1). Premier enjeu pour la relance : l’augmentation de la productivité. Au lendemain de la guerre, en effet, le peu de travailleurs disponibles ne suffisait pas à relancer la machine économique française. En 1954, Pierre Mendès France, chef du gouvernement, lance le Commissariat général à la productivité. Les résultats sont nets : les gains de productivité influencent près de deux tiers du taux de croissance, qui s’élève alors en moyenne à 4,6 % pour toute la décennie des années 1950. Cela correspond à un doublement du produit intérieur brut tous les quinze ans(2). Un niveau et une régularité jamais atteints dans l’histoire de France.

Ce taux de croissance a des conséquences directes sur le niveau de vie : alors que les ménages sont à peine sortis des rationnements de la guerre, leur consommation s’envole. En 1950, 8 % des ménages ouvriers possèdent une automobile. La décennie n’est pourtant pas parfaitement rose : c’est bien en 1954 que l’abbé Pierre fondera le mouvement Emmaüs. Son appel faisait suite au décès d’une femme sur le trottoir du boulevard Sébastopol, à Paris, qui avait été expulsée de son logement deux jours auparavant.

Un taux de chômage inférieur à 3 %

Puis la croissance économique s’accélère encore. Dix ans plus tard, près d’un quart des ouvriers connaissent les joies de la conduite, souvent en Citroën 2 CV ou en 4 CV Renault. En 1968, le taux de chômage est inférieur à 3 %(3). Un plein emploi qui est une période de crise pour les employeurs de tous horizons. Du petit patron de garage au directeur d’usine, tous font face à un manque de main-d’œuvre. Les salariés, eux, n’hésitent pas à accepter des conditions de travail meilleures dans l’établissement d’en face.

Le manque de main-d’œuvre est tel que l’Etat français n’hésite pas à provoquer lui-même l’exode de centaines de milliers d’étrangers, pour la plupart maghrébins. C’est notamment le cas à l’usine Renault de Flins, qui comptera dès 1961 pas moins de 10 000 travailleurs(4). Les étrangers qui travaillent dans les usines françaises, et qui participent donc à l’augmentation de la croissance, sont plus de 2 millions et demi en 1968, pour environ 50 millions d’habitants, soit 5 %. Les deux tiers d’entre eux occupent des emplois d’ouvriers. Le niveau moyen des salaires n’est alors pas extraordinaire. En 1967, le salaire moyen annuel brut est de 11 950 F, ce qui correspond à 1 818 € par an, soit 151 € mensuel. Les ouvriers sont bien en dessous de ce chiffre : 868 F par mois, soit l’équivalent de… 72 € par mois, alors qu’un cadre moyen est à 1 816 F brut par mois (150 €) et qu’un cadre supérieur émarge à 3 832 F brut par mois, soit 583 €(5).

Il y a cinquante ans, un ouvrier gagnait en moyenne, à valeur monétaire constante, 1 000 € par mois, contre 2 200 € brut aujourd’hui. Concrètement, cela signifie que le pouvoir d’achat d’un ouvrier en 1967 était environ deux fois inférieur à celui d’un ouvrier d’aujourd’hui. Quant au salaire moyen, il était, en 1967, de l’équivalent de 15 000 € annuels brut, contre 36 000 € en moyenne aujourd’hui.

Dans les années 1960, l’exode rural se poursuit et ne sera stabilisé qu’en 1975, selon l’INSEE. Un phénomène amplifié par le regroupement des petites exploitations agricoles en plus grandes : le remembrement. Avec la mécanisation de l’agriculture, les besoins en main-d’œuvre baissent, et de nombreux ruraux s’exilent en ville pour trouver un travail. En 1968, la part d’agriculteurs dans la population française était de 2,78 %. Aujourd’hui, ils sont à peine plus de 300 000, soit moins de 0,5 % de la population totale(6). Quant aux employés, ils n’étaient que 5 %. Cette proportion va doubler en cinquante ans : c’est l’une des conséquences de la mutation de l’économie française, qui se désindustrialise lentement, au profit des services(6). L’accroissement du nombre de cadres est également notable : d’un peu moins de 800 000 en 1968, ils sont aujourd’hui près de 4 millions. Une proportion multipliée par quatre en un demi-siècle.

Ce n’est pas un scoop : les étudiants sont à l’origine de Mai 68. A cette époque, ils sont un demi-million, soit 1 % de la population totale : c’est déjà plus du double qu’au début de la décennie. Les babys-boomers sont en âge d’entrer à l’Université, alors que plus de la moitié de la population n’a aucun diplôme ou, au mieux, le brevet des collèges. En vingt ans à peine, l’Etat a augmenté considérablement la part de son budget dédiée à l’éducation : de 7 % en 1950, il est de 17 % en 1967. Les études supérieures sont en revanche toujours réservées à une certaine élite bourgeoise. Le baccalauréat remplissait son rôle de filtre : 50 % des candidats n’obtenaient pas le précieux sésame.

Du côté des seniors, les chiffres diffèrent aussi très fortement de ceux d’aujourd’hui. En 1968, l’espérance de vie à la naissance était de 75 ans pour les femmes et de presque 68 ans pour les hommes. Aujourd’hui, elle est respectivement de 85 et de 79 ans. Ajoutons à cela que, à cette époque, les plus de 60 ans ont de fait connu les deux guerres mondiales. Ils ne représentaient alors que 17,8 % de la population totale, contre plus du quart actuellement. Les jeunes de 1968 sont les vieux d’aujourd’hui…

 

Notes

(1) Les Trente Glorieuses ou La révolution invisible de 1946 à 1975, Jean Fourastié, (éd. Fayard, 1979).

(2) « Les mutations économiques et sociales de la France durant les années 1950 », Jean-François Eck, université de Lille 3.

(3) L’Insee n’a pu transmettre à ce sujet de chiffres précis, la définition du chômage étant alors différente de celle d’aujourd’hui.

(4) Les effectifs de l’usine de Flins atteindront près de 22 000 salariés à son apogée, dans les années 1970. Aujourd’hui, ils ne sont plus que de 2 300.

(5) Calculé avec le convertisseur franc-euro de l’INSEE, qui permet d’exprimer le pouvoir d’achat d’une année donnée en une somme équivalente en euros ou en francs d’une autre année, en fonction de l’inflation observée entre les deux années.

(6) Employés et ouvriers sont, au sens des catégories socio-professionnelles, du même niveau social. Leur différence est leur secteur d’activité : les employés travaillent pour le tertiaire (notamment dans les services), les ouvriers pour le secondaire (industrie, transformation des matières premières).

1968-2018

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