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Un objet financier non identifié

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Réunissant dans un improbable partenariat banques, associations et Etat pour financer des projets d’insertion et d’intégration, le contrat à impact social suscite autant d’engouement que de répulsion. Créé en 2016, à titre expérimental, il n’a, à ce jour, qu’une seule application concrète. Décryptage d’un véritable objet financier non identifié.

Depuis de nombreuses années, l’ensemble des services publics doit faire face à une logique de diminution des dépenses publiques. Et le secteur du social et du médico-social n’est pas épargné par ce désengagement progressif de l’Etat. Pourtant, aujourd’hui, des besoins sociaux majeurs ont besoin de réponses : l’insertion professionnelle, le décrochage des étudiants, la protection de l’enfance, la désertification des territoires isolés… Les acteurs sur le terrain ont envie de traiter ces problématiques en expérimentant des projets dans la durée. Mais ils ne le peuvent pas, faute d’argent.

Pour encourager ces initiatives, le précédent quinquennat avait lancé un nouveau modèle de financement : le contrat à impact social (CIS).

Précisément, le 16 mars 2016, Martine Pinville, secrétaire d’Etat chargée de l’Économie sociale et solidaire, avait lancé un appel à projets (terminé le 31 mars 2017) visant à expérimenter ces contrats à impact social. Dont l’objectif est de financer des programmes innovants, de prévention sociale, pour apporter des réponses nouvelles à des défis tels que l’exclusion, les addictions ou bien encore la dépendance.

Le mécanisme du CIS est simple sur le papier

Un acteur social ou une association, par exemple, pourra faire financer un programme de prévention par un investisseur privé, qui sera lui-même remboursé par la puissance publique uniquement en cas de succès.

L’obligation de résultat est la grande originalité de ce dispositif.

Un contrat peut porter par exemple sur un programme d’accompagnement de mères célibataires en difficulté ou de réduction du taux de récidive de détenus à leur sortie de prison. Ce nouveau type de contrat réunit donc trois acteurs :

→ un opérateur social, qui a identifié un besoin auprès de la population et propose une action avec des indicateurs d’évaluation de son impact social ;

→ un ou des financeurs privés, qui s’engage(nt) à financer cette expérimentation et à en supporter le risque ;

→ un payeur au résultat (l’Etat), qui s’engage à rembourser et à verser une prime de réussite aux financeurs si les résultats prévus dans le contrat sont atteints et après vérification par un expert indépendant. Le contrat à impact social est « une mesure de progrès, une mesure qui donne plus de moyens aux acteurs sociaux pour agir et une mesure qui apporte plus de solidarité au sein de la société », assurait Martine Pinville à l’époque.

Les particularités françaises du CIS

Issu des « Social Impact Bonds », le CIS vient du Royaume-Uni où le système a été expérimenté pour la première fois en 2010 autour d’un programme de prévention de la récidive mis en place dans la prison de Peterborough. Mais le contrat à impact social tel qu’il existe en France est un peu différent, comme l’explique Alicia Izard, responsable de projets mécénat et investissements citoyens aux Entreprises pour la Cité, un réseau d’entreprises investies dans l’innovation sociale. « La particularité française est qu’il existe une limite de surplus du coût pour l’Etat. Concrètement, les intérêts pour le risque pris par les investisseurs sont limités, en France, à 5,5 % du montant global du CIS alors que dans les autres pays ces intérêts peuvent grimper jusqu’à 14 ou 15 %. »

« La deuxième spécificité française est que l’appel à projets lancé par Martine Pinville était très ouvert, poursuit Alicia Izard. Ce n’était pas l’Etat qui faisait part de ses besoins dans tel ou tel secteur mais c’étaient les différentes structures/associations qui faisaient leurs propositions de projets pouvant faire l’objet d’un CIS. » Au total, il y a eu 62 candidatures et 13 d’entre elles ont été labellisées « contrat à impact social ».

Cependant, « à ce jour, un seul contrat a été signé et a permis le lancement du projet : celui de l’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie) (voir p. 25). Les autres sont en cours de structuration avant signature. Le changement de gouvernement ayant eu pour conséquence de temporiser le dispositif », explique encore Alicia Izard. Mais l’arrivée d’un nouveau gouvernement n’est pas la seule explication à ce faible nombre de signatures de CIS. Une autre est peut-être le peu d’enthousiasme des associations à intégrer ce nouveau mode de financement.

Florent Gueguen, directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), estime par exemple que le CIS n’est pas adaptable aux petites structures. « A ma connaissance, les associations qui se sont lancées dans le CIS sont toutes solides financièrement, largement implantées sur le territoire et avec un modèle économique très stable, analyse-t-il. Pour une association locale, qui gère quelques établissements, qui a envie de monter un projet d’innovation sociale, c’est très compliqué de se lancer dans un CIS compte tenu de l’ingénierie que cela nécessite. De facto, les petites associations ne sont pas armées pour répondre au cahier des charges imposé par le CIS. »

Les 4 points de vigilance

C’est pourquoi la FAS a émis « quatre points de vigilance » auprès des associations qui pourraient être tentées de proposer ce type d’expérimentation. Car, comme le rappelle Florent Gueguen, « il ne faut pas le nier, c’est tentant de mobiliser des investisseurs privés dans un contexte de diminution des subventions publiques ».

→ Question d’éthique. « Une question éthique se pose sur l’idée de financer de l’action sociale avec une rémunération d’acteur bancaire. La FAS n’y est pas totalement opposée, mais nous considérons que, en France, l’action sociale, et notamment la lutte contre l’exclusion, doit relever des politiques de solidarité nationale. Il y a donc une question éthique autour de la réalisation de profits par des investisseurs sur des actions d’accompagnement social, de retour à l’emploi, d’accès au logement, d’insertion des personnes. »

→ La sélection des publics. « A partir du moment où les investisseurs privés sont rémunérés en fonction de la réalisation d’objectifs, il y a toujours un risque de sélection des publics à l’entrée. Par exemple, quand vous avez un objectif de relogement de personnes qui sont dans des centres d’hébergement, il y a le risque que l’association, ou l’opérateur, procède à un écrémage des publics à l’entrée pour être sûr que l’objectif soit atteint et que l’investisseur soit rémunéré. Autrement dit, les publics les plus fragiles, ceux qui sont les plus éloignés de l’objectif à atteindre, sont évincés du dispositif pour que l’objectif soit atteint, que les investisseurs soient rémunérés et que l’expérimentation puisse continuer. »

→ Le coût global.La fédération pointe ainsi un possible effet pervers du CIS : le coût global. « Nous mettons aussi en garde sur le coût global de ce type d’opération. Quand ce dispositif a été lancé, nous avions considéré qu’il y avait un risque que le coût global de l’opération soit plus élevé que si l’action avait été financée directement dans le cadre d’une politique publique. En effet, quand on se lance dans un CIS, il y a des dépenses logistiques assez importantes : d’abord il faut trouver un investisseur ; ensuite il faut utiliser un prestataire extérieur pour évaluer l’expérimentation ; et enfin il faut rémunérer l’investisseur. »

→ Le risque de désengagement de l’Etat ou des collectivités locales. « Ce risque de désengagement sur leurs missions obligatoires telles que la protection de l’enfance, l’insertion des personnes allocataires du revenu de solidarité active [RSA], le relogement de personnes prioritaires DALO [droit au logement opposable] ou encore l’hébergement d’urgence. Ces missions relèvent de la compétence des politiques de solidarité nationale, de l’intérêt général et ce n’est donc pas anormal que ce soit l’Etat ou les collectivités locales qui en soient responsables et les financent. Il faut donc un contrôle pour vérifier que ces CIS ne se substituent pas aux missions obligatoires des politiques publiques. » La FAS n’est pas la seule association à pointer du doigt un risque de désengagement de l’Etat dans l’action de solidarité nationale. Jean-Claude Boual, président du Collectif des associations citoyennes, va même plus loin dans la critique : « L’Etat renonce à sa part dans la solidarité nationale. Le CIS est une menace pour l’action sociale. Il s’agit, ni plus ni moins, de transformer les dépenses sociales en investissement social très rentable, sans risque puisque le retour sur investissement est garanti par l’Etat, en contrepartie d’hypothétiques économies au terme du contrat ! » Selon lui, « le social est un des rares domaines qui échappe en partie au système financier. Il espère pourtant faire des bénéfices dessus et avec ce CIS, il est en train d’essayer de trouver un modèle économique qui lui permette d’arriver à ses fins. » Jean-Claude Boual ne décolère pas : « J’estime que le CIS est une escroquerie dans la mesure où, en dernier ressort et contrairement à ce qui est dit, c’est l’autorité publique qui assure le financement. Le risque est pris uniquement par celle-ci et non pas par le privé. En définitive, cela coûte plus cher à l’autorité publique que si elle avait financé directement l’opération en donnant, de manière classique, des subventions à une association. »

Quid de l’après-CIS ?

« Pour les associations, le CIS est un moyen de financer leurs projets et actions en complémentarité des subventions et du mécénat classique. Mais c’est aussi, et surtout, une opportunité de voir la puissance publique directement associée à ses projets, de travailler sur leurs impacts, nuance Alicia Izard des Entreprises pour la Cité. C’est pourquoi, je ne suis pas d’accord avec le fait que le CIS soit une menace pour la solidarité nationale, que l’Etat risque de se désengager de son action sociale. En effet, aujourd’hui, de toute manière, au-delà du CIS, la puissance publique encourage le privé à prendre en charge un certain nombre de fractures sociétales et de réponses, via l’encouragement au mécénat ou d’autres formes d’investissement citoyen. Le CIS ne change donc pas la donne. »

« Je veux bien comprendre certaines craintes mais, pour l’heure, un seul CIS a été signé pour un montant légèrement supérieur à 1 million d’euros. Par rapport au budget de subventionnement des associations, c’est vraiment une goutte d’eau. Dès lors, cette crainte [de désengagement de l’Etat], objectivement, n’est pas fondée », répond, froidement, Gilles Mirieu de Labarre, adjoint au haut-commissaire à l’Économie sociale et solidaire et à l’Innovation sociale. Et de poursuivre : « Il faut aussi rappeler que le CIS n’est pour le moment qu’une expérimentation. On voudrait donc d’ores et déjà faire dire à une expérimentation ce que serait un déploiement sur tout le territoire. Non. Nous n’avons pas encore pu faire un retour d’expérience suffisant pour pouvoir tirer toutes les conclusions. Je veux bien que le milieu associatif critique mais laissons d’abord avancer les expérimentations. Il ne faut pas aller plus vite que la musique. »

Mais, et c’est peut-être là, en réalité, la principale critique à l’encontre du CIS, à plus long terme des questions demeurent : qui, au sein de la puissance publique, prendra en charge la rémunération des contrats ? Quelles suites à donner au CIS si les objectifs ont été atteints ? « L’objectif est de tester, d’expérimenter pour pouvoir pérenniser et, mieux, multiplier cette innovation, rappelle Marc Olivier, en charge de la mise en place du CIS au sein de l’Adie. Si c’est un succès, il n’y a donc aucune raison pour ne pas continuer l’expérience. Mais qui financera ? » « A ce stade je ne peux pas vous répondre, on n’a pas encore suffisamment travaillé ce point-là. On est vraiment au tout début de notre réflexion », admet Gilles Mirieu de Labarre. Le flou le plus total, donc…

L’équipe des 13 labellisés

Adie

Impact Partenaires

Passeport Avenir

La Sauvegarde du Nord

Les Apprentis d’Auteuil

Aréli

Médecins du monde

La Cravate solidaire

Wimoov

Action Tank « Entreprises et Pauvreté »

Solidarités nouvelles face au chômage

Foncière Le Chênelet

ONG Santé Diabète.

Décryptage

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