A la suite de nombreuses interrogations de ses adhérents sur la légalité du logiciel support inter-régimes d’évaluation (Sireva), l’Association nationale des assistants de service social (ANAS) s’est penchée sur la question. Dans un communiqué, elle fustige les méthodes de collecte de données nécessaires à la mise en place de plans d’aide pour le maintien à domicile par les caisses de retraite, par l’intermédiaire des grilles AGGIR et Fragire.
Cette dernière, utilisée pour évaluer le niveau de fragilité d’une personne, est la principale mise en cause. Pour l’ANAS, le document de « 16 pages, près de 220 items dont trois tests », ne respecte pas plusieurs dispositions de la loi « informatique et libertés » de 1978. Le consentement de la personne, en premier lieu, ne serait pas suffisamment libre, éclairé et non équivoque, le retraité n’ayant, en amont de la visite à domicile de l’évaluateur, « pas connaissance qu’elle devra répondre à un questionnaire et que les données seront informatisées ». Son droit d’opposition serait également bafoué, la mention de droit d’accès et de rectification des données étant « libellé dans une taille de caractère tellement petite que les personnes âgées peuvent éprouver des difficultés à la lire », sans possibilité de se replonger dans le document en l’absence de duplicata.
L’ANAS reproche par ailleurs à l’inter-régimes le non-respect du principe de proportionnalité, les évaluateurs n’ayant pas la possibilité de transmettre le dossier en l’absence d’un seul item. Elle fait aussi part de ses doutes quant à l’anonymisation des données, les principes de finalité et de durée de conservation.
Des éléments qui mettraient en jeu « la responsabilité du professionnel » évaluateur et qui « formatent l’intervention sociale » en « instrumentalisant la relation de confiance à des fins de constitution de bases de données ».
Joran Le Gall, président de l’ANAS, réclame « une nouvelle autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés » (CNIL) pour cette procédure.
Nul besoin, lui répond la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV). « La grille Fragire n’est pas un traitement de données personnelles au sens du règlement général sur la protection des données [RGPD] ou de la loi “informatique et libertés”, mais une grille de mesure multi-dimensionnelle », détaille Frédérique Garlaud, directrice nationale de l’action sociale de la caisse.
« En revanche, dans le dossier Sireva, il y a des données nominatives qui sont injectées dans le portail partenaire de l’action sociale, mais qu’on recueillait déjà avant, et qui ont fait l’objet d’une déclaration à la CNIL[1]. »
Le professionnel peut « conduire librement l’entretien avec les retraités (sans avoir à cocher les cases dans l’ordre du support) », renchérit Bruno Lachesnaie, directeur de l’action sanitaire et sociale et de la prévention de la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA). « Aucune prescription d’aide n’est automatisée […] L’évaluateur est un acteur clé, il lui revient de motiver le plan d’aide. »
Le nœud du conflit réside, selon Joran Le Gall, dans un « gros manque de communication entre la CNAV et les évaluateurs ». « Les assistants sociaux qui reçoivent les appels des retraités ne sont pas en capacité de répondre puisqu’ils ne connaissent pas les finalités du traitement », déplore-t-il.
Après un refus d’accès par la CNAV aux documents relatifs au traitement des données dans le cadre du fichier Sireva, l’ANAS a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), le 10 février, puis la CNIL, le 19 mars. Avec le déploiement du RGPD sur le territoire, la décision pourrait ne pas arriver avant plusieurs mois.
(1) Acte réglementaire n° 2006-17 du 2 novembre 2006.