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Personnes âgées : de la protection à l’accompagnement

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Georges Arbuz, anthropologue, président de l’association La vie devant nous, et Alain Grimfeld, médecin, professeur honoraire à l’université Pierre-et-Marie-Curie, démontrent comment les établissements pour personnes âgées sont passés du statut de lieux d’accueil à celui de lieux d’accompagnement. Malgré le contexte actuel difficile, les EHPAD représentent une évolution historique majeure.

« Contrastant avec l’aspect vétuste des établissements d’accueil des sujets âgés d’il y a encore un demi-siècle, l’architecture moderne et fonctionnelle des lieux est ce que remarque en premier le visiteur d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Jusqu’en 1975, écrit Yves Delomier(1), ancien chef de service de l’hôpital de la Charité de Saint-Etiennne, “les lavabos ne comportaient pas d’eau chaude, ils étaient d’ailleurs peu nombreux et toujours collectifs […] ; pas de placard individuel, aucun bien individuel, aucun espace privé, ni d’éclairage individuel auprès des lits installés dans de vastes dortoirs. Le malade ne possédait – provisoirement – que son lit, le contenu de sa table de nuit, l’espace du plafond qu’il pouvait contempler lorsqu’il était alité. La nuit, lorsqu’un malade nécessitait l’intervention de la veilleuse, toute la chambre devait être éclairée.” Depuis cette date, s’inspirant de l’aménagement et des nouvelles pratiques hospitalières et hôtelières, la distribution des espaces a été revue. Des méthodes de gestion plus rationnelles, une planification des activités, une diversification des compétences, ont transformé les modes de fonctionnement et l’ambiance des EHPAD.

Alors que, pour les responsables de ces établissements, la priorité est l’ajustement des rythmes de vie des résidents à ceux de l’organisation interne, les critiques formulées par les résidents et leurs familles concernent le manque de souplesse du fonctionnement et les contraintes organisationnelles résultant de la présence de quelque 80 résidents, le sentiment de dépaysement découlant de la dimension et de l’architecture des locaux.

Mais un EHPAD est beaucoup plus qu’un hôtel et un centre de soins. Tandis que le rôle des asiles et des hospices, des premières maisons de retraite, se limitait à protéger du froid et de la faim les individus hébergés, et à éviter qu’ils ne soient une source de propagation d’infections, en plus des fonctions d’hébergement et de restauration, la loi n° 2002-2 du 2 juin 2002 demande aux EHPAD “d’accompagner les personnes fragiles et vulnérables et de préserver leur autonomie par une prise en charge globale.” Le terme d’“accompagnement” en première lecture se réfère à l’aide apportée aux résidents pour l’accomplissement des actes élémentaires de la vie quotidienne : se lever, faire sa toilette, s’habiller, se déplacer, s’alimenter, prendre ses médicaments… La majeure partie du temps des auxiliaires de vie et des aides-soignants y est consacrée et tout retard dans l’accomplissement de ces tâches, tout imprévu, peut être une source de perturbation au plan organisationnel.

Aider les résidents à assumer les transitions et les ruptures

Outre sa signification concrète, le terme d’“accompagnement” a aussi un sens relationnel, psychologique, implique d’autres obligations pour les professionnels. Les personnes admises dans les EHPAD ont connu préalablement une succession d’événements plus ou moins difficiles à assumer, des accidents de santé, des transitions, des ruptures. Or les études ont montré que les crises, les situations gérées en urgence, l’accompagnement d’un proche souffrant d’une pathologie chronique, sont une source de fragilisation psychique et de désinvestissement, entraînant souvent une perte d’intérêt pour soi et pour les autres(2). S’ajoutant aux soins d’hygiène et médicaux, les professionnels aident les résidents à assumer les transitions et les ruptures, à maintenir un intérêt pour leur environnement, à aborder les derniers moments de leur existence sans trop d’angoisse(3). Leur rôle consiste également à porter attention aux proches des résidents. Outre les informations à leur donner, les soignants doivent prendre en compte les répercussions, sur leur état d’esprit et sur la “dynamique” familiale, du déménagement de leur parent en résidence d’accueil (pourquoi et comment a-t-il été décidé, quel était le niveau de dégradation de son état de santé et, lorsqu’il se présente, quel est son mode d’acheminement vers la mort ?) et les aider à trouver leur place auprès des professionnels de la résidence. “Il faut se rappeler, observe Madame C., dont la mère est hébergée dans une résidence de ce type, que dans les maisons de retraite, on est la famille qui accompagne, mais pas la personne qui souffre. La difficulté est d’apprendre à gérer notre impuissance et, par rapport au personnel, de ne pas nous identifier à nos parents et de projeter sur eux notre peine, notre ressentiment d’en être arrivé là.”

Ainsi, le rôle des professionnels de ces établissements ne se limite pas à prodiguer aux résidents des soins médicaux et de confort et à les aider dans leurs activités quotidiennes. Il est aussi d’être présents lorsqu’ils sont confrontés à des moments difficiles, et d’être attentifs à leurs proches. Ces rappels donnent une idée de l’importance de leur fonction, permettent de comprendre les sentiments qu’ils peuvent ressentir lorsqu’une charge de travail excessive, des effectifs insuffisants, des événements non prévus, ne leur permettent pas ou plus d’assurer correctement leur mission. En conclusion, on peut certes déplorer la virulence de certains articles et reportages, l’image négative qu’ils projettent sur l’ensemble des EHPAD. Ils auront été néanmoins utiles s’ils contribuent à attirer l’attention sur ces établissements d’accueil des sujets âgés, s’ils incitent les Français à mieux connaître le rôle des professionnels qui y exercent leur métier, et à convaincre les responsables politiques et les organismes de tutelle de l’importance de leur offrir de meilleures conditions de travail, des formations qui prennent en compte la complexité de leur mission et de leur proposer de réelles perspectives de carrière. »

Contact : arbuz@club-Internet.fr

 

Bibliographie sur le rôle des maisons de retraite dans l’accompagnement des sujets âgés

Aux XIXe et XXe siècles

– Elise Feller, Du vieillard au retraité. La construction de la vieillesse dans la France du XXe siècle, Ed. L’Harmattan, 2017.

– Mathilde Rossigneux-Méheust, « Vivre, vieillir et mourir en institution au XIXe siècle : genèse d’une relation d’assistance », thèse sous la direction de D. Kalifa, université Paris-I, 2015.

L’expérience de la maison de retraite de nos jours

– Georges Arbuz, « L’expérience du vieillissement dans la relation à ses parents âgés », L’avancée en âge au XXIe siècle, approche anthropologique, Ed. L’Harmattan, 2015.

– Magalie Bonnet, « L’attachement au temps de la vieillesse », Dialogue n° 198, 2012/4.

– Isabelle Mallon, « Entrer en maison de retraite : rupture ou tournant biographique ? », Gérontologie et société n° 121, 2007/2, vol. 30 ; « Le travail de vieillissement en maison de retraite », Retraite et société n° 52, 2000, p. 39-61.

Les motifs en faveur d’une meilleure écoute et accompagnement des sujets âgés

– Georges Arbuz, Ecouter les sujets âgés, Ed. érès, 2016 ; « Quelle écoute pour faire face aux transitions et ruptures de l’avancée en âge ? « , Gérontologie et société n° 154, 2017 ; voir aussi Le Blog de la gérontologie : http://gerontologie-blog.com.

– Arnaud Gallet et Sabrina Blot-Leroy, « Ecouter les personnes âgées… Vos collègues en parlent », Infonis, juillet 2017, p. 11-19.

– Marlis Pörtner, Accompagnement des personnes âgées avec l’approche centrée sur la personne, Ed. Chronique sociale, 2012.

– Valois Robichaud 2009, Accueillir les besoins psychiques de l’adulte vieillissant : être en harmonie avec soi et les autres, Chronique sociale, 2009.

Notes

(1) Yves Delomier et Jean Pralong, La charité de l’hospice à l’hôpital gériatrique, 300 ans de l’histoire hospitalière à Saint-Etienne, Le Hénaff, 1983.

(2) Voir Cyril Hazif-Thomas et Philippe Thomas, « La démotivation du sujet âgé », Gérontologie et société n° 121, 2007 ; Georges Arbuz, « Quelle écoute pour faire face aux transitions et ruptures de l’avancée en âge ? « , Gérontologie et société n° 154, 2017, p. 137-148 ; Georges Arbuz, Ecouter les sujets âgés, Ed. érès, 2016.

(3) Jean-Luc Nancy : « Vient un moment où l’existence demande son droit, et demande une mort qui ne soit ni tragédie ni sacrifice. Douleur, certes, mais comme le rappel que ça s’arrête forcément, et que c’est cela même qui comble l’existence. » – Interview dans le journal Le Monde du 29 mars 1994.

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