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Des colocataires comme les autres

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Dans un petit pavillon versaillais, une association à orientation catholique a ouvert en janvier 2017 une « maison de vie et de partage » qui accueille des résidents porteurs de trisomie 21, accompagnés dans leur quotidien par une petite équipe. Un apprentissage progressif de l’autonomie.

Il est 16 h 30. Anthony Puvis arrive à la « maison de vie et de partage » Saint-Jean-Paul II, où il habite depuis un peu plus d’un an. Après avoir posé son manteau dans l’entrée, il vient au salon, dit « bonjour » à Brigitte Jobez, l’une des deux maîtresses de maison, aide médico-psychologique de formation. Porteur de trisomie 21, le jeune homme vit dans ce pavillon versaillais avec quatre autres colocataires, dont trois sont trisomiques et le dernier atteint du syndrome de Williams-Beuren (une maladie rare qui associe des problèmes cardiaques et un retard mental). Cette maison de vie et de partage a été fondée par l’association Les Maisons de Saint-Joseph, qui avait déjà ouvert, il y a dix ans, à Versailles (Yvelines), un lieu du même type à destination de jeunes femmes trisomiques. Deux autres résidents, porteurs également de trisomie 21, devraient les rejoindre dans les prochaines semaines. En avril, l’effectif de ce petit lieu de vie, ouvert en janvier 2017, devrait être au complet. Sa construction a été financée par la Fondation pour le logement social (FLS) (voir encadré page 26), qui loue le bâtiment à l’association pour un loyer modéré.

L’objectif ? Offrir à ces résidents un environnement plus souple qu’un foyer et une plus grande indépendance. « Pour les familles, c’est toujours angoissant de savoir ce que leurs enfants vont devenir. La maison de vie et de partage leur offre un cadre de vie presque autonome, et néanmoins sécurisé », prévient Marielle Puvis, la mère d’Anthony et administratrice de l’association. Le choix de cet habitat partagé s’est imposé de lui-même : « Leurs frères et sœurs avaient tous vécu en colocation. Là, c’est leur tour. » Au quotidien, pour appuyer les colocataires, âgés de 19 à 30 ans, deux maîtresses de maison se relaient dans la semaine. De plus, une intendante vient quatre jours par semaine, deux heures par soir, pour entretenir le linge et une femme de ménage intervient deux fois dans la semaine, en matinée.

S’adapter aux capacités de chacun

Anthony Puvis voit arriver François de Bonnault, 19 ans – le benjamin de la maisonnée –, bientôt suivi par Louis Arnauld, 26 ans. Tous trois reviennent de la Ruche, un atelier artisanal associatif versaillais qui réunit une soixantaine de personnes valides et une quinzaine de personnes handicapées mentales. Sous l’égide d’une directrice, psychologue praticienne, cette structure leur propose des activités (peinture sur bois ou sur porcelaine, couture, broderie mais aussi piscine…) tout au long de la semaine, pendant les périodes scolaires. Les trois jeunes hommes s’y rendent et en reviennent à pied. Bruno, leur colocataire, est malade et est retourné se reposer chez ses parents. Lui ne fréquente pas la Ruche, il travaille dans un ESAT (établissement et service d’aide par le travail) comme jardinier et s’y rend seul. Les transports représentent un des lieux d’apprentissage de l’autonomie. Les résidents les utilisent sans accompagnement professionnel, et prennent ainsi le bus en groupe pour se rendre à la piscine. Louis-Marie Delerue, 28 ans, arrive un peu plus tard. Atteint du syndrome de Williams-Beuren, il fréquente plusieurs jours par semaine le centre d’initiation au travail et aux loisirs (CITL) de l’association Perce-Neige, à Sèvres (Hauts-de-Seine). « J’y vais tout seul en bus, je prends aussi le bus pour aller chez mes parents ou à mon cours de batterie chaque semaine », déclare-t-il. La maison de vie et de partage s’adapte aux capacités de chacun. Ainsi, si Louis-Marie peut prendre le bus tout seul, ce n’est pas le cas d’Anthony. « Pour le moment, c’est encore beaucoup trop générateur d’angoisse pour lui », souligne Marielle Puvis. Une situation qui, complète-t-elle, n’est néanmoins pas figée et peut évoluer : « L’année dernière, Anthony n’osait pas se rendre seul à la Ruche, il y allait toujours en groupe. Maintenant, s’il est prêt en premier, parfois, il part sans attendre les autres. »

Avant de travailler ici, Agnès d’Aubigny, la seconde maîtresse de maison, titulaire d’un diplôme de conseillère en économie sociale et familiale, a déjà exercé dans une maison partagée appartenant à l’association Simon de Cyrène, où vivaient des adultes handicapés. Elle devait réaliser des toilettes et autres actes de soin. Ici, les résidents sont beaucoup plus autonomes. « Tout juste faut-il parfois rappeler à l’un ou à l’autre de prendre sa douche », sourit-elle. Les deux maîtresses de maison ne donnent pas non plus de médicaments en cas de traitement. « Ce sont les familles qui préparent les piluliers, et les jeunes se débrouillent », ajoute-t-elle.

Leur savoir-faire évolue

A l’origine de la création du lieu, les parents sont aussi très impliqués dans la vie de la maisonnée. Ils s’y rendent à tour de rôle lors des week-ends, en soutien à l’une des maîtresses de maison présentes en alternance. La première année, les jeunes gens sont restés sur place un week-end par mois. Peu à peu, la fréquence de ces week-ends hors du cadre familial devrait progressivement augmenter. « A terme, ils devraient rester un week-end sur deux à Versailles », explique Marielle Puvis. Les parents sont, de plus, fréquemment contactés par les maîtresses de maison par téléphone ou par courriel. « Ce sont eux qui connaissent le mieux leurs enfants », précise Agnès d’Aubigny. Agée de 23 ans, la maîtresse de maison a plus ou moins le même âge que les résidents, et cette proximité n’est pas toujours simple à gérer. « L’un des résidents m’envoyait des SMS, des e-mails quand je ne travaillais pas, raconte-t-elle. Il s’agissait de questions non urgentes ou qui auraient pu se traiter avec ma collègue. Il a fallu que je rappelle que je n’étais pas une copine mais bien une professionnelle. Ses parents m’ont aidée en insistant sur le fait qu’il s’agit d’un travail. »

Dans cette colocation un peu particulière, si une aide est apportée pour la gestion du quotidien par les maîtresses de maison, l’intendante et la femme de ménage, il n’est pas question de décharger complètement les résidents de toutes les tâches domestiques. Avant l’entrée de leur enfant dans la structure, chaque famille a rempli pour lui un « état des lieux » de ses capacités, listant les choses qu’il savait faire seul ou accompagné, ou qu’il ne savait pas faire. Ces compétences évoluent avec le temps. Après un an dans cette petite structure collective, des savoir-faire ont été acquis chez ces jeunes hommes qui ont quitté pour la première fois le domicile familial. « Au début, quand Anthony rentrait à la maison, le vendredi, il ramenait une énorme valise, alors que nous avons presque tout en double. Maintenant, il ne prend plus que le nécessaire. De même, désormais, le dimanche soir, il fait son bagage seul. J’y jette juste un petit coup d’œil », détaille Marielle Puvis.

Au quotidien, l’autonomie est encouragée. Chaque jeune homme amène son linge à Béatrice Allard, l’intendante, dans la buanderie. Elle se charge du lavage, du repassage et du pliage et répartit les vêtements entre les paniers marqués des différents prénoms. A chacun, ensuite, de les emmener dans sa chambre et de les ranger dans son armoire. « Je ne m’en occupe pas, précise-t-elle. Tout juste, de temps en temps, je passe vérifier l’état des placards. » Débarrassage des couverts, vidage du lave-vaisselle, sortie des poubelles, balayage… Pour faciliter l’organisation entre les résidents, un « tableau de service » affiché sur le mur de la cuisine liste les choses à faire en les répartissant. « Tous les deux mois, nous le revoyons ensemble, pour ajuster cette répartition », explique Brigitte Jobez. En effet, dans ce petit groupe comme dans n’importe quelle communauté, certains sont toujours partants pour aider… et d’autres beaucoup moins. Ces différences n’empêchent pas une cohabitation harmonieuse : « Avant, j’avais toujours vécu avec mes parents, lâche Louis Arnauld. Là, c’est bien d’habiter avec les autres. J’aime tout le monde, mais Anthony est mon ami. »

Comme chaque fin d’après-midi, vient le moment très attendu du goûter. Dans la cuisine américaine, Brigitte Jobez coupe du pain et invite « les garçons » à mettre les assiettes. C’est rapidement fait. Anthony, Louis et François s’attablent et chahutent un peu en faisant leurs tartines de pain beurré. Béatrice Allard entre dans la salle à manger pour dire « bonjour » entre deux lessives. Dans ce lieu de vie, le goûter est un moment important, celui où se discute le programme des week-ends que les résidents y passent, une à deux fois par mois. « Le week-end dernier, nous avons effectué une promenade dans le parc du château de Versailles et une excursion dans la vallée de Chevreuse », raconte Brigitte Jobez. C’est aussi le moment où les jeunes gens peuvent raconter ce qui les chagrine. « Dans les mois qui ont suivi notre installation, les garçons ont parfois été la cible de moqueries de la part de jeunes dans le bus. Ils en étaient très blessés, pointe Béatrice Allard. C’était important de revenir dessus sans dramatiser, de leur dire que ce n’était pas normal mais qu’on ne pouvait pas empêcher les gens d’être bêtes, et de leur rappeler que nous, nous ne pensions pas ça d’eux. »

Rien n’est laissé au hasard

Présente quatre jours par semaine, de 16 h 30 à 18 h 30, Béatrice Allard assure une continuité de présence. Elle est là notamment depuis l’ouverture de la maison. Quant à Agnès d’Aubigny et Brigitte Jobez, les deux maîtresses de maison, elles ne sont arrivées qu’en septembre dernier, succédant à celles qui avaient assuré l’ouverture du lieu de vie et qui sont parties à la fin juin 2017. « Au départ, l’organisation du travail n’était pas la même. Nos prédécesseures ne dormaient pas sur place, la présence de nuit étant assurée par un étudiant en service civique qui arrivait aux alentours de 19 heures et devait être présent pour le dîner », rappelle Brigitte Jobez. Les premières maîtresses de maison, elles, quittaient les lieux à 21 h 30. A ce moment-là, tous les jeunes devaient donc se trouver dans leurs chambres. « En échangeant entre parents, nous nous sommes rendu compte que cette échéance à heure fixe était génératrice de stress, voire d’angoisse, souligne Marielle Puvis. Quand nous avons dû recruter, nous avons changé la fiche de poste et choisi des personnes qui pouvaient dormir sur place. »

Le départ des deux premières maîtresses de maison, à la fin juin 2017, a nécessité un accompagnement. L’association a dû trouver une solution pour assurer l’ouverture de la maison en juillet. Une jeune femme qui travaillait en service civique à la Ruche et venait d’être diplômée comme éducatrice spécialisée a été embauchée par les Maisons de Saint-Joseph pour assurer l’intermède. « Nous avons profité du mois de préavis des deux anciennes maîtresses de maison pour préparer cette période de transition, et ça s’est très bien passé, d’autant que les garçons connaissaient cette jeune femme, raconte Marielle Puvis. Avant que les vacances commencent, nous leur avons présenté les nouvelles maîtresses de maison, qui arrivaient en septembre. » Avant de conclure : « Les garçons s’adaptent au changement, il faut juste le préparer bien en amont. »

Cette transition a été facilitée par la continuité assurée par Béatrice Allard. « A notre arrivée, son aide a été précieuse, pointe Brigitte Jobez. Elle connaissait les garçons, leurs tempéraments, et a pu nous guider. » Elle est aussi présente tout au long de la semaine et assure une sorte de fil rouge. Son activité ne se résume pas au seul entretien du linge : elle s’associe souvent aux jeux de société qui suivent le goûter et à la préparation du repas, et possède ainsi un bon aperçu de l’état d’esprit de chacun des résidents. Brigitte Jobez et Agnès d’Aubigny peuvent compter sur elle, ce qui ne les empêche pas de remplir un cahier de transmission. « Avec Agnès, nous communiquons aussi par téléphone, par SMS », souligne Brigitte, qui apprécie la fluidité de la communication avec sa jeune collègue.

Une maison comme une autre

Installée dans le quartier résidentiel de Porchefontaine, à Versailles, la maison de vie et de partage est très discrète. Rien ne la distingue des pavillons voisins, et ses résidents s’intègrent dans la vie du quartier. Ils vont faire les courses dans les petits magasins environnants. « Un voisin les a pris en sympathie et vient souvent leur rendre visite, ce qui fait très plaisir aux garçons », apprécie Agnès d’Aubigny. Pendant les dernières vacances scolaires, ils ont intégré un atelier « mosaïque » au sein de la maison de quartier voisine. « Ils étaient seuls dans cet atelier mais ont participé à un goûter avec les membres d’un autre atelier », poursuit la jeune femme. Une initiative appelée à se renouveler, même si aucune date n’a encore été programmée. C’est surtout par l’intermédiaire de la paroisse que les résidents de la maison de vie et de partage s’intègrent dans le quartier. Lorsqu’ils sont présents le week-end, ils se rendent le dimanche à l’église pour participer à la messe. La religion est très présente à la maisonnée, et les jeunes garçons sont tous issus de familles très catholiques. « La dimension spirituelle est pour eux très importante », explique Agnès d’Aubigny.

Deux nouveaux résidents, Paul et Clément, également porteurs de trisomie 21 et âgés d’une vingtaine d’années, s’installent dans la maison entre la mi-mars et le début avril. Leur arrivée a été longuement préparée. Pour faciliter leur adaptation à ces nouvelles conditions de vie et leur intégration dans le groupe, chacun d’eux est venu séjourner ici à deux reprises. Un premier séjour s’est étalé sur une semaine, du lundi au vendredi, tandis que le second a duré deux semaines, y compris un week-end. Pour ces jeunes hommes qui ont toujours vécu au sein de leur famille, il est primordial de prendre le temps du départ. Ce n’est qu’une fois déroulés ces deux séjours que l’installation peut véritablement commencer. Sans être toutefois définitive : une période d’essai de trois mois permet de vérifier que tout se passe bien.

Chacun des résidents signe deux contrats avec l’association des Maisons de Saint-Joseph : un contrat de location pour sa chambre et les parties communes ainsi qu’un contrat de séjour et d’accompagnement. Le loyer permet non seulement de payer le logement et la nourriture consommée sur place, mais aussi de rémunérer les deux maîtresses de maison ainsi que l’intendante et la femme de ménage. Un calcul a été réalisé afin que l’allocation aux adultes handicapés (AAH), l’aide personnalisée au logement (APL) ainsi que la prestation de compensation du handicap (PCH) soient suffisantes et que les jeunes gens soient indépendants financièrement de leurs parents.

Sur le chemin de l’inclusion

La maison de vie et de partage Saint-Jean-Paul II a pu voir le jour grâce à la mobilisation des familles via l’association des Maisons de Saint-Joseph. Ne pouvant bénéficier de financements du conseil départemental, elle s’est tournée vers la Fondation du logement social (FLS). Celle-ci entend favoriser des projets portés par des petites associations locales. Elle a ainsi déboursé 1,2 million d’euros, financés pour moitié par un prêt PLAI de la Caisse des dépôts et consignations et, pour l’autre moitié, par du mécénat (la Fondation Saint-Gobain, la communauté d’agglomération Versailles Grand Parc et de nombreux donateurs individuels). La mairie de Versailles et le ministère de la Cohésion des territoires ont aussi contribué au financement du projet. Toujours sous l’égide de la FLS, d’autres projets de maisons de ce type devraient bientôt voir le jour. L’une au second semestre à Saint-Etienne (Loire), toujours portée par l’association des Maisons de Saint-Joseph ; l’autre, dans les environs de Bagneux (Hauts-de-Seine), initiée quant à elle par une autre association lancée par des parents d’enfants handicapés, l’Issead (Insertion sociale et scolaire des enfants et adultes en difficulté). Elle devrait aussi accueillir sept résidents, tous porteurs d’un handicap mental. « L’originalité du projet réside dans la construction d’un bâtiment à proximité qui comportera trois logements et devraient accueillir des “voisins solidaires”, des personnes qui ne souffrent pas de handicap mental mais souhaitent s’inscrire dans ce projet », souligne Guillemette de Sèze, présidente de l’Issead. Un pas de plus sur le chemin de l’inclusion.

Notes

(1) Maison de vie et de partage Saint-Jean-Paul II : 3, rue Jean-Corneille, 78000 Versailles.

Reportage

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