La moitié des recours sont formés contre l’Etat. Selon la jurisprudence de 2012, celui-ci a une obligation de résultat à l’égard de la prise en charge des personnes autistes ou polyhandicapées. Or, aujourd’hui, beaucoup d’entre elles sont orientées vers un établissement médico-social qui les refuse faute de place. Les parents se retrouvent sans solution, à domicile, avec nécessité pour eux de faire appel au secteur libéral, non remboursé par la sécurité sociale. L’autre moitié des recours concerne les institutions. Le contentieux porte surtout sur le complément à l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé. Les dépenses réelles des familles ne sont pas prises en compte par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) qui attribuent les taux. C’est le cas du matériel qu’elles achètent pour aider leur enfant à mieux communiquer, des vêtements que certains enfants déchirent en permanence et qu’il faut renouveler sans cesse, des protections lorsqu’ils ne sont pas propres… Des parents sont aussi obligés de réduire, voire de cesser leur activité professionnelle, pour s’occuper de leur enfant. Mais les commissions des MDPH, qui sont habituées aux handicaps physiques lourds, ont tendance à estimer que les mères d’enfants autistes peuvent continuer à travailler ou qu’un jeune Asperger n’a pas besoin d’accompagnement. Les parents font aussi appel à moi pour contester l’orientation de leur enfant.
Les MDPH sont habilitées à orienter un enfant vers un établissement spécialisé ou à décider de l’attribution d’une auxiliaire de vie scolaire (AVS) pour qu’il aille à l’école. Le hic est qu’elles sont dans une culture de l’institutionnalisation et qu’il est difficile pour les parents qui refusent que leur enfant soit mis en établissement d’obtenir une AVS. Pourtant, la Haute Autorité de santé reconnaît aujourd’hui que l’autisme exige une prise en charge spécifique et que l’on ne peut plus se contenter de faire de l’« occupationnel ». L’école est déterminante pour ces enfants : certains ont été diagnostiqués déficients intellectuels depuis tout petit et, en grandissant, on s’est aperçu qu’ils avaient des compétences majeures dans tel ou tel domaine. Il faut leur donner une chance. J’ai aussi beaucoup de plaintes à l’encontre de l’Education nationale, car de nombreux enfants sont exclus de l’école du jour au lendemain, très brutalement souvent.
Beaucoup de parents font appel à moi, mais je ne les engage pas forcément à porter plainte. Il n’en reste pas moins que les droits fondamentaux des autistes sont régulièrement bafoués. En ce moment, je traite l’histoire d’une jeune femme en établissement qui a eu besoin de soins dentaires. Le dentiste lui a arraché toutes ses dents sans lui demander son consentement ni celui de ses parents, qui ont été prévenus après. De même, je défends beaucoup de mamans à qui on veut retirer leur enfant. Il suffit souvent que des parents s’opposent aux décisions des professionnels pour qu’un signalement soit fait et que l’aide sociale à l’enfance déclenche une enquête. Que les services sociaux soient alertés sur des enfants ayant des troubles du comportement, c’est normal. Mais quand ils ne sont pas formés à l’autisme, c’est problématique. Si l’enfant pousse des cris, si sa mère n’arrive pas à lui couper les ongles ou à lui faire manger de tout… on va considérer qu’elle ne lui apporte pas les soins suffisants ou qu’elle est trop fusionnelle. On cherche des carences éducatives, des dysfonctionnements familiaux là où il n’y en a pas. Et on va commettre l’erreur cruciale de placer l’enfant. Mais les spécialistes de l’autisme, aujourd’hui, ce sont les parents. Heureusement, il y a quelques juges qui commencent à s’en rendre compte.
(1) Auteure de La cause des autistes, Ed. Payot, 2018, 15 €.