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Réforme du financement des CHRS : un pas en avant ou deux pas en arrière ?

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Le directeur du projet stratégique de France Horizon estime que la réforme du financement des centres d’hébergement et de réadaptation sociale (CHRS), qui oblige ces derniers à une contractualisation fondée sur des objectifs et des moyens, ne va pas assez loin. Elle devrait, selon lui, impliquer l’ensemble des acteurs sociaux du logement.

« Le projet de loi “évolution du logement et aménagement numérique” (ELAN) prévoit la “cpomisation” obligatoire d’ici 2023 des centres d’hébergement et de réadaptation sociale (CHRS). Aussi, on ne fait que rétablir cette obligation prévue par la loi “hôpital, patients, santé et territoires” (HPST) de juillet 2009, qui avait inséré un article L. 313-12-2 dans le code de l’action sociale et des familles (CASF) pour permettre des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) tripartites entre agence régionale de santé (ARS), direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) et gestionnaire, afin de maintenir les CPOM des anciennes directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) sur les CHRS (CASF, art. L. 312-1, 8°) et les structures du 9° de l’article L. 312-1 du même code comme les lits “halte soins santé” (LHSS) ou les appartements de coordination thérapeutique… Cette obligation était conditionnée à des seuils que la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) – 2010-2015 –, alors “cpomophobe”, a refusé de fixer. Fin 2015, la DGCS, redevenue “cpomophile”, comme l’ancienne direction générale de l’action sociale (DGAS), a impulsé la généralisation des CPOM dans les secteurs des personnes âgées et du handicap, mais en écrasant l’obligation pour les CHRS de l’article L. 313-12-2 au profit du seul secteur du handicap. Cette « cpomisation » est aussi désynchronisée avec la réforme du financement des CHRS.

Réforme du financement des CHRS : 10 ans déjà !

L’article R. 314-150 du CASF permet la tarification des CHRS et des centres d’accueil des demandeurs d’asile (CADA) sur la base de référentiels nationaux de coûts qui sont élaborés et fixés en application de l’article R. 314-33-1 du CASF. Mes propositions sur les groupes d’activités majeures (GAM) des CHRS (1) ont été à la base d’une étude qui a fait apparaître que les GAM prédominants concernent bien la gestion, l’accueil, l’hébergement, l’alimentation.

Les études nationales des coûts (ENC), à partir de 2011, se sont focalisées sur 17 prestations en direction des personnes et les 3 fonctions “support” (héberger, alimenter, administrer-gérer), sachant que l’étude DGAS de 2009 avait déjà montré que les 3 fonctions “support” expliquaient plus de 50 % des coûts. Il est apparu impossible de pratiquer des retraitements comptables pour isoler correctement les coûts spécifiques des 17 prestations en direction des personnes. L’avalanche des GAM (passage des 7 GAM de 2009 à 20 GAM) a réduit le nombre de répondants, d’où une ENC accusée d’être peu représentative et peu fiable. Aussi, le cabinet qui avait obtenu le marché de ces ENC a sorti de son chapeau 6 groupes homogènes de séjours et de missions (GHSM) autour des 4 principales missions (héberger, alimenter, accueillir, accompagner). Plus récemment, ces 6 GHSM sont devenus 12 groupes homogènes d’activités et de missions (GHAM) autour des 4 principales missions.

Une tarification par GAM, dite “par brique”, regroupe les prestations principales et repose sur l’addition des coûts de référence des prestations offertes. S’il y a peu de “grosses briques”, cela ne pose pas de problèmes. Mais si on empile des briques diverses et des galets, l’édifice ne tient pas debout. Ces ENC partent de l’offre de services et non des besoins (incommensurables) des personnes accueillies ou des publics (trop divers). Il n’y a pas de liens besoins-prestations comme le prévoit le projet “SERAFIN personnes handicapées” et les outils d’évaluation AGGIR et Pathos pour les personnes âgées dépendantes. Il existe également un manque d’outils pour analyser les besoins de ces populations (facteurs socio-environnementaux prédominants, étiologie non organique, programme de médicalisation des systèmes d’information [PMSI] “psychiatrie” en panne depuis 30 ans), ainsi qu’un manque de courage pour retenir une grille psychotechnique avec un scoring. Pourtant, la grille FRAGIRE de la Caisse nationale d’assurance vieillesse pour les veufs isolés socialement, validée scientifiquement, pourrait être adaptée, moins pour déterminer les besoins individuels que pour calibrer les plateaux techniques sociaux et médico-sociaux pour les prises en charge. On peut regretter que les méthodologies des ENC divergent, y compris pour l’analyse des GAM “support”, entre celle de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH), pour le secteur sanitaire et médico-social, et celle du secteur “cohésion sociale”, ce qui accélère la dérive du sous-continent “cohésion sociale” par rapport au grand continent ARS…

Dans le secteur médico-social, la mise en place de tarifs “plafonds” calculés sur l’avant-dernier décile de l’éventail des tarifs se traduit par un redéploiement des tarifs au-dessus des plafonds (le dernier décile) vers ceux qui se trouvent en dessous, avec priorité pour ceux qui sont au-dessous de la moyenne ou de la médiane. C’est Robin des Bois : on prend aux riches pour donner aux pauvres ! Pour les CHRS, l’arasement des tarifs au-dessus des plafonds ne se fera pas au bénéfice des “CHRS plus pauvres” mais de l’Etat, qui veut faire des économies dans ce secteur (le pauvre, c’est l’Etat…). C’est une injonction de Bercy qu’on n’oserait pas faire dans les autres secteurs. Demander un tarif “plancher” forcément calculé sur les plus bas déciles, c’est prendre le risque d’aligner tout le monde au plancher…

Un CPOM à 5 « P » dans le secteur de l’inclusion sociale(2)

Dans les autres secteurs du sanitaire et médico-social, il y a des coefficients correcteurs géographiques pour les départements d’outre-mer, la Corse ou la région Ile-de-France. Il ne serait donc pas scandaleux de demander un tel coefficient pour les CHRS implantés dans des métropoles (pas au niveau régional) en tension sur le logement, sachant que ce coefficient serait pertinent uniquement sur la GAM “héberger” mais pas les autres. Malgré la déspécialisation des CHRS dans les années 1990(3), il y a de nouvelles spécialisations répondant à des commandes et à des politiques publiques, et de nouveaux dispositifs financiers permettant d’émarger à une douzaine de budgets opérationnels de programme (BOP) et fonds nationaux.

Le CPOM doit avoir 5 “P” : P comme “pluri-annualité budgétaire” ; P comme “pluri-ESSMS et pluri-activités” ; P comme “pluri-financeurs et pluri-budget opérationnel de programme” ; P comme “parcours” ; P comme “plateforme coopérative de services”. Aussi, si l’on peut se réjouir du rétablissement de l’obligation de conclure un CPOM dans le projet de loi “ELAN”, ce CPOM ne doit pas se limiter aux CHRS mais intégrer :

→ les structures du régime déclaratif fonctionnant plus de 4 mois par an(4) ;

→ les pensions de famille et dispositifs relevant du code de la construction et de l’habitation (CCH) et du 6° au 8° de l’article L. 345-2-6 du CASF(5) ;

→ les CADA pour demandeurs d’asile(6) ;

→ les structures de soins aux publics dits “spécifiques” (CASF, art. L. 312-1, 9°).

Cela doit donc être, d’une part, un CPOM tripartite (ARS, DRJSCS, gestionnaire) sur les métropoles et les régions et, d’autre part, un CPOM multi-BOP (BOP 104, 177 et 303, notamment) et avec les sous-enveloppes des ARS (fonds d’intervention régional [FIR], lutte contre les addictions). Rappelons que des structures évoluent en fonction de catégories juridico-administratives différentes mais sur le même BOP et vice versa. Par exemple, les centres provisoires d’hébergement (CPH) pour demandeurs d’asile relèvent, comme les CHRS, du 8° de l’article L. 312-1, mais sont sur le BOP 104 et non sur le BOP 177, alors que les pensions de famille relèvent du CCH mais sont financées sur le BOP 177…

L’état des prévisions de recettes et de dépenses (EPRD) – outil budgétaire et financier d’un CPOM – permet de gérer un tel C5POM dans la transparence (un compte de résultat prévisionnel par BOP), de mutualiser des moyens dans des services communs distincts du siège social agréé, de reconnaître les missions d’intérêt général, de répondre aux appels à la mobilisation des pouvoirs publics (grand froid, démantèlement de campements indignes), d’adapter et de diversifier l’offre de services, de dégager une seule capacité d’autofinancement (CAF) et d’assurer les équilibres financiers globaux des opérateurs à 5 ans. En coconstruction avec les pouvoirs publics depuis la fin des années 1990, les associations développent et diversifient des services complémentaires(7). Le C5POM doit reconnaître ces plateformes et permettre l’équilibre financier global de ces ensembliers. »

Contact : jphardy@france-horizon.fr

 

Notes

(1) Hardy J.-P., « Tarification des ESMS : frénésie de réforme ou continuité dans la réforme de 2003 ? » – L’année sociale 2010, Dunod, 2010 – Hardy J.-P., « Les “groupes d’activités majeures” (GAM) : une tentative d’objectivation de la mesure de la performance » – Les cahiers de l’actif n° 416-417, janvier-avril 2011.

(2) Rapport de Hardy J.-P. au secrétariat général chargé des ministères sociaux et au directeur régional et interdépartemental de l’hébergement et du logement (DRILH), « Les CPOM dans une logique de parcours d’insertion dans le secteur AHI », janvier 2017.

(3) Hardy J.-P., « Accès au logement des plus démunis : le jeu de l’oie » – Fondations n° 2, septembre 1995.

(4) Hardy J.-P., « Le renouveau du régime déclaratif et son intégration dans les CPOM » – Revue de droit sanitaire et social, juillet-août 2017, n° 4.

(5) Loubat J.-R., Hardy J.-P. et Bloch M.-A., Concevoir des plateformes de services en action sociale et médico-sociale, Dunod, 2016.

(6) Hardy J.-P., « La question migratoire : nouvelle frontière de l’action sociale de l’Etat et nouveau défi pour le travail social » – Revue de droit sanitaire et social, janvier-février 2018, n° 1.

(7) Hardy J.-P., Guide de l’action sociale dans la lutte contre les exclusions, Dunod, 1999.

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