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Réforme « big bang » ou pschitt ?

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Alors que le gouvernement engage une réforme de la formation professionnelle, le moment est venu de s’interroger sur l’efficacité de cette formation dans le secteur social et médico-social. Les 400 millions d’euros dédiés sont-ils employés à bon escient ? Les programmes sont-ils adaptés aux besoins des établissements ? La réforme impactera-t-elle le secteur et dans quel sens ?

Rebelote. Après celles de 2004, 2009 et 2014, la formation professionnelle va connaître une nouvelle réforme. Un énième toilettage ? Un lifting en profondeur ? Muriel Pénicaud, ministre du Travail – apparemment très inspirée par les astres –, a préféré, le 5 mars, filer la métaphore cosmologique et qualifier, ni plus ni moins, les changements à venir de « big bang », après avoir parlé, quelques jours plus tôt, de « révolution copernicienne sur l’apprentissage ». L’enjeu est de taille, car l’efficacité du système – maintes fois revisité, déboulonné, démantelé – de la formation professionnelle est contestée, de longue date, par de nombreux experts malgré une manne de 32 milliards d’euros par an. Dans un rapport en 2007, et, plus récemment encore, en 2017, la Cour des comptes dénonçait une gabegie à grande échelle.

Une montagne d’argent qui accouche d’une souris puisque seuls 50 % des salariés accèdent à la formation professionnelle en France, et seulement 30 % chez les non-diplômés, selon les chiffres du ministère. « Certes, cette réforme est un big bang pour le système de la formation professionnelle, mais un big bang qui n’inclut pas le mammouth de l’Education nationale. La formation professionnelle, y compris dans le secteur social et médico-social, est trop souvent utilisée encore pour pallier les lacunes monstrueuses des formations initiales », considère Alain-Frédéric Fernandez, formateur et consultant en ingénierie pédagogique et en optimisation de la fonction « formation ».

Déshabiller Pierre pour habiller Paul

Alors qu’il affiche 1,7 million de salariés au compteur, le secteur social et médico-social tire-t-il son épingle du jeu pour répondre aux nouveaux besoins des publics pris en charge et aux évolutions des compétences attendues par les établissements et services ? Pourra-t-il continuer à faire de la formation professionnelle son tigre dans le moteur ? Dans la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale (BASS), depuis des années, l’accent a été mis sur la qualification en privilégiant toutes les voies possibles, notamment la validation des acquis de l’expérience (VAE). Les enveloppes annuelles dévolues à la formation professionnelle sont à hauteur de 400 millions d’euros. « Les employeurs de la branche vont bien au-delà de l’obligation légale de cotisation de 1 % de la masse salariale avec une cotisation de 2,12 %. C’est bien le signe de la volonté de la branche de faire monter les compétences des salariés », rappelle Julien Moreau, directeur du secteur social et médico-social à la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (FEHAP). « Il reste toutefois deux freins à lever : le manque d’attractivité des métiers et les difficultés pour les établissements médico-sociaux qui fonctionnent à flux tendu à envoyer du personnel en formation faute de capacité à les remplacer », ajoute-t-il.

Les inquiétudes se font également entendre en ce qui concerne l’impact de la réforme de l’apprentissage sur les moyens consacrés à la formation professionnelle. Le risque est de déshabiller Pierre pour habiller Paul, alors que l’apprentissage ne représente que 1 % des contrats dans la branche. « Aujourd’hui, les employeurs s’acquittent d’une taxe d’apprentissage de 0,2 % de la masse salariale. Avec la réforme, la nouvelle contribution “alternance” à hauteur de 0,9 % de la masse salariale va sérieusement grever les crédits consacrés jusqu’à présent à des actions historiquement portées, telles que la VAE ou les formations courtes. En clair, on va devoir consacrer plus de ressources financières à des contrats d’apprentissage, dont la logique école-entreprise est peu adaptée aux modalités de fonctionnement des établissements médico-sociaux et aux professions réglementées du secteur. Et par conséquent, à enveloppe constante, perdre des moyens sur les actions de formation adaptées aux besoins des associations », explique Julien Moreau.

Le frein de la tarification

Parent pauvre du système de santé français, la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile (BAD), qui compte environ 220 000 salariés, s’est également engagée, à marche forcée, dans la voie de la professionnalisation. « En 2015, 122 185 stagiaires sont partis en formation, pour un montant total de dépenses de près de 76 millions d’euros. La qualification est la principale raison des départs en formation », détaille Uniformation, l’organisme paritaire collecteur agréé de la branche. Comme dans la BASS, les partenaires sociaux de la BAD ont fait le choix de maintenir un niveau élevé de financement conventionnel de la formation, avec une contribution égale à 2,04 % de la masse salariale. Ils affirment ainsi leur souhait d’un « positionnement dynamique autour de la modernisation du secteur ».

Une modernisation qui est toutefois mise à mal, voire paralysée, par la tarification du secteur. « La professionnalisation de l’aide à domicile n’est pas freinée par un manque de volonté des employeurs ou des salariés, mais à cause des conseils départementaux ! Quand un salarié suit une formation diplômante, la rémunération n’est pas ensuite à la hauteur du diplôme. Les employeurs veulent former, mais il n’y a pas de rallonge financière de la part de l’autorité de tutelle », critique Pierre Behar, consultant et directeur d’Espaces MS, cabinet d’audit, d’accompagnement et d’évaluation spécifique au secteur de l’aide à domicile. « Par ailleurs, la professionnalisation passe par la formation individuelle, mais également par des temps collectifs, tels que les réunions d’équipe, de supervision, de concertation, d’analyse des pratiques. Ces temps que les conseils départementaux osent qualifier d’“improductifs” et qui sont le plus souvent réduits à la portion congrue dans les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens [CPOM] », déplore-t-il.

Le plan « métiers et compétences de demain »

Du côté des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), confrontés à une évolution des publics accueillis et à l’usure professionnelle des salariés, il reste également du pain sur la planche. Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, a déclaré, le 13 mars, son intention de construire « un véritable plan “métiers et compétences”, et ce, « en lien avec le ministère du Travail, les employeurs du secteur, fédérations, associations, entreprises, branches, et organismes de formation »(1).

« Il y a un chantier à mener sur l’actualisation des référentiels d’activité, de compétences et des aides-soignants, car les formations initiales ne collent pas aux réalités du terrain dans nos établissements. Il faut également prendre en compte dans les référentiels de compétences, et la formation professionnelle, l’apparition de nouveaux métiers dans notre secteur en lien avec les parcours de vie, tels que les gestionnaires de cas, les nouveaux besoins sur la coordination. Mais également le déploiement de la télémédecine, la robolution et l’intelligence artificielle, qui vont ôter le caractère humain des métiers dans nos établissements et services, et vont faire bouger les lignes », augure Julien Moreau. En somme, sans une vision prospective des emplois et des compétences, le « big bang » de la réforme de la formation professionnelle risque de faire « pschitt » !

Réforme de la formation : les clés du changement

D’un point de vue institutionnel, le principal changement est que l’Etat prend la main sur le financement et la gestion de la formation en lieu et place des syndicats.

En effet, les entreprises s’acquitteront d’une seule cotisation, au lieu de deux actuellement (1 % « formation » et taxe d’apprentissage). Le taux de cette nouvelle « cotisation formation professionnelle » resterait fixé à 1,68 %. Elle ne sera plus collectée par les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), mais par l’Etat par le biais de l’Urssaf. Ces financements seront transférés à la Caisse des dépôts et consignations.

Les OPCA seront transformés en « opérateurs de compétences ». Ils auront notamment pour mission de participer à la coconstruction des diplômes avec les branches.

Aujourd’hui crédité en heures, le compte personnel de formation (CPF) le sera, dès 2019, en euros. Chaque salarié va disposer de 500 € par an, plafonnés à 5 000 €. Les personnes sans qualification auront 800 €, avec un plafonnement à 8 000 €. Pour les salariés en contrat à durée déterminée, le CPF sera crédité prorata temporis, et pour ceux à temps partiel, ils auront les mêmes droits que les salariés à temps plein. Une application CPF permettra aux actifs de connaître leurs droits acquis, de s’inscrire et de payer directement sans intermédiaire. Elle sera disponible à partir de 2019. Une agence nationale, baptisée « France compétences », sera également créée et gérée par l’Etat, les organisations patronales et syndicales, et les régions. Parmi ses missions, la régulation des prix des formations.

Le congé individuel de formation (CIF) va devenir le CPF de transition. Il sera financé à hauteur de 0,1 % de la masse salariale, un montant ponctionné dans l’enveloppe destinée au CPF (contre 0,2 % de la masse salariale pour le CIF).

Notes

(1) Voir ASH n° 3052 du 16-03-18, p. 7.

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