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Une armée de supplétifs

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En 2016, la France comptait 1,3 million d’associations actives sur le territoire et, en moyenne, ce sont près de 67 000 associations qui voient le jour chaque année. Présentes dans le champ de l’aide sociale bien avant que l’Etat ne s’y engage, leur rôle et leurs champs d’action ont connu une profonde évolution ces dernières années avec l’intervention de plus en plus grande des pouvoirs publics. « L’action sociale a beaucoup changé de nature depuis 30 ans, depuis la mise en place de la décentralisation », confirme Didier Lesueur, directeur général de l’Observatoire national de l’action sociale (ODAS).

Une action sociale « polymorphe »

« Tout d’abord, les moyens pour la mettre en œuvre sont beaucoup plus considérables », explique-t-il, avant de donner quelques chiffres. « En 1984, le budget des départements métropolitains était légèrement supérieur à 5 milliards d’euros ; en 2016, il est presque de 37 milliards d’euros. » « Mais la nature de cette action sociale a aussi beaucoup évolué en raison de la part de plus en plus grande prise par les allocations versées par les départements, ajoute-t-il. En 1984, sur les 5 milliards d’euros de dépenses, les allocations représentaient 700 millions d’euros. En 2015, elles étaient presque de 9 milliards d’euros. »

Pour Didier Lesueur, enfin, « cette action est aujourd’hui beaucoup plus polymorphe qu’elle ne l’était à l’époque. En 1984, l’aide sociale des départements se limitait, pour l’essentiel, aux pauvres. Désormais, il y a toujours la question des pauvres mais une part non négligeable des allocations est consacrée aux personnes âgées dépendantes et aux personnes en situation de handicap. »

Il est aussi important de souligner que la société d’il y a 30 ans n’a rien à voir avec celle d’aujourd’hui. Dès lors, l’action sociale n’est pas du tout la même. Selon le directeur général de l’ODAS, il existe deux sortes de solidarité : « La solidarité de droit, à savoir toutes les aides dont peuvent bénéficier les personnes en fonction de leur situation », et « la solidarité d’implication, c’est-à-dire l’attention portée par les habitants entre eux (le lien social) qui, depuis 30 ans, s’est beaucoup dégradée. »

Patrick Doutreligne, président de l’Union nationale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss), note une autre transformation de l’action sociale ces dernières années : l’arrivée du privé lucratif. « Le secteur lucratif entre en concurrence (surtout dans le secteur des personnes âgées) mais avec des prix assez élevés et réservés à des gens solvables », indique-t-il. Un nouveau venu qui n’est pas vu d’un bon œil par ce dirigeant : « Il y a une mise en péril du système, car désormais c’est comme s’il y avait des établissements pour les personnes riches et en bonne santé et des établissements pour les autres, estime-t-il. Cela ne peut pas fonctionner. En effet, une association, c’est comme une mutuelle : elle trouve son équilibre dans les différentes catégories de publics. »

Récemment encore, l’action de solidarité a été bouleversée. La mise en place de la réforme territoriale de 2015 a en effet eu des conséquences sur le monde associatif et sur l’action sociale en raison de la redistribution des compétences des collectivités territoriales. « En dehors de la création des métropoles, la réforme territoriale n’a pas eu d’effets immédiats sur l’action de solidarité : le périmètre des départements, en matière d’action sociale, n’a pas été modifié, estime pourtant Didier Lesueur. Au contraire, cela a renforcé leur rôle puisqu’ils sont désormais, selon les termes de la loi, chargés des solidarités humaines et des solidarités territoriales. »

« Ce qui a changé, mais ce n’est pas dû à la réforme territoriale, c’est le financement des départements, poursuit le directeur général de l’ODAS. Plusieurs réformes fiscales ont modifié la capacité des départements à agir sur leurs recettes. Parallèlement, et cela a été décidé lors du quinquennat précédent, l’Etat a décidé que les collectivités locales contribueraient à l’effort de réduction des déficits et a donc diminué les dotations des communes et des départements. Ce qui a un impact direct sur le financement de l’action sociale. Et ce qui a des conséquences directes sur leurs relations avec les associations. »

En d’autres termes, le directeur de l’ODAS estime que les associations sont devenues des supplétifs de l’Etat dont elles sont de plus en plus dépendantes financièrement.

« Les associations ne sont pas adaptées au libéralisme débridé »

Patrick Doutreligne n’est pas d’accord avec l’origine de cette évolution. « A la suite de la réforme territoriale, et en raison de la baisse des dotations publiques, on a vu des départements annuler toutes les conventions, déshabiliter toutes les associations pour remettre à plat le secteur et lancer des appels d’offres avec des cahiers des charges avec des prix à la baisse. D’un point de vue budgétaire, cela se comprend. D’un point de vue travail social, concertation, historique, c’est absurde. »

Et de s’agacer : « On fonctionne de plus en plus comme le marché économique, ce sera à celui qui cassera le plus les prix. Si l’on considère que l’action sociale est un marché comme un autre, cela va être une catastrophe ! Les associations ne sont pas adaptées au monde du marché, au libéralisme débridé. On aurait mieux fait de proposer aux associations, et nous étions d’accord avec cela, des regroupements, des synergies plutôt que de les mettre en concurrence. En effet, la mise en concurrence systématique dans l’action sociale ne peut pas marcher. »

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