Intitulée « Radicalité engagée, radicalités révoltées », l’enquête porte principalement sur la radicalisation islamiste. Le rapport, présenté le 28 mars à Nicole Belloubet, garde des Sceaux, est, à ce jour, le plus complet sur la question. Cette étude d’ampleur est issue des données collectées parmi 133 dossiers de mineurs passés par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) étudiées par deux chercheurs de l’université Paris Ouest-Nanterre, Laurent Bonelli et Fabien Carrié, durant 18 mois. Cela concerne les cas de mise en examen pour association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste (AMT) depuis 2014, mais aussi les dossiers de poursuites pour apologie du terrorisme ou encore des affaires de droit commun.
Les universitaires ont dressé deux profils de radicalité : les engagés et les révoltés. A rebours des idées reçues, le rapport démontre que les jeunes qui passent à l’acte sont ceux que l’on soupçonne le moins. Ils sont éloignés de la délinquance et « issus de familles stables avec un parcours scolaire prometteur ». Ce sont les engagés. Ces jeunes ont été ou sont en passe d’être jugés pour des départs en Syrie, des tentatives d’attentats hors ou sur le territoire français. Moins de 10 % d’entre eux sont connus par les services de police ou les services sociaux.
« Ce qui est surprenant, c’est qu’il s’agit de jeunes assez protégés, mais le départ vers la Syrie se déclenche chez eux après un effondrement de leur projet de vie souvent lors de leur passage au lycée », explique Laurent Bonelli, coauteur du rapport. En arrivant dans le secondaire, ces jeunes issus de strates supérieures des milieux populaires sont confrontés à un racisme social et se sentent trahis par l’école. « Ils vont alors réinvestir leurs appétences scolaires dans l’idéologie jihadiste », reprend le sociologue, qui évoque une quête de « réponse existentielle ». Le second profil déterminé par l’étude est celui des révoltés. Il s’agit de mineurs déjà connus pour des faits de délinquance qui sont pourtant rarement impliqués dans les actes graves de radicalité, comme la préparation d’attentats. Cette catégorie est davantage provocatrice et est très représentée dans les dossiers pour apologie du terrorisme. Ils sont majoritairement (66 %) connus des services de police ou de la justice. Un autre élément de cette enquête fait voler en éclats les poncifs sur la radicalité que l’on imagine comme l’apanage des hommes. Le rapport démontre pourtant que le groupe des engagés, les plus violents, comprend plus de jeunes filles que dans celui des révoltés, les provocateurs. Elles représentent un tiers du groupe et sont fréquemment « administratrices » de la nébuleuse jihadiste sur Internet.
D’après Laurent Bonelli, il est primordial d’analyser également ces situations au regard de la grille de lecture des institutions qui « étiquettent » tel ou tel acte comme radical dans un contexte marqué par les attentats. Selon Laurent Bonelli, parmi les 600 signalements de mineurs au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), il s’agirait pour la majorité « d’actes qui ne sont pas forcément radicaux et recouvrent des situations et des processus très contrastés ». Selon lui, il serait judicieux de revoir cette grille de lecture au risque de « créer des radicalités en stigmatisant ». Début mars 2017, 56 mineurs étaient poursuivis pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et 400 enfants et adolescents de moins de 15 ans se trouveraient en Syrie, dont 200 nés sur place.