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Les nouvelles ambitions de la HAS

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Votée en 2017, l’absorption de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) par la Haute Autorité de santé (HAS) devient effective le 1er avril. Certains redoutent que la HAS, bien plus puissante que l’ANESM, ne se comporte en prédateur et ne tienne pas compte des spécificités du secteur social et médico-social en lui appliquant les grilles d’évaluation et les critères de qualité des établissements de santé. Agnès Buzyn et les responsables de la haute autorité s’emploient à rassurer les acteurs du secteur social. Décryptage d’une fusion sensible.

A première vue, le changement sera peu spectaculaire : les 24 salariés de l’ANESM vont rejoindre la HAS… tout en restant dans les mêmes locaux, que les organismes partageaient à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) depuis fin 2015. Il suffisait déjà de pousser une porte pour passer de l’agence à la haute autorité. Pour autant, la disparition de l’ANESM, qui n’a vécu que 11 ans, marque la fin d’un cycle. L’organisme trouve ses origines dans la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale. Depuis, l’autorisation des établissements et services est conditionnée à la réalisation d’une évaluation interne et externe. Pour guider ce processus, un éphémère Conseil national de l’évaluation sociale et médico-sociale a été créé en 2005. L’ANESM, dotée de moyens humains et financiers propres, a pris le relais en 2007. L’Etat est majoritaire dans sa gouvernance, mais les représentants des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) sont au cœur du processus de décision (voir encadré).

« Auparavant, les ESSMS s’investissaient déjà dans l’amélioration de la qualité, mais leurs initiatives étaient peu valorisées. L’agence a fait émerger un discours commun à l’ensemble du secteur », témoigne Marie Aboussa, directrice du pôle « gestion des organisations » de Nexem. L’agence a deux grandes missions. La première est de produire les recommandations de bonnes pratiques professionnelles – une soixantaine ont vu le jour – servant de base à l’évaluation des ESSMS, mais aussi des fiches-repères plus faciles à prendre en main, des guides ou encore des enquêtes, comme celles sur les pratiques de bientraitance en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). La seconde tâche de l’agence consiste à habiliter les organismes réalisant l’évaluation externe des ESSMS : elle en a enregistré près de 2 000 depuis 2009.

« Dans les tuyaux » depuis longtemps

Au 1er avril, ces missions seront transférées à la HAS. La ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, a justifié ce rapprochement devant les sénateurs le 17 novembre : l’ANESM est « une toute petite agence » et, « depuis très longtemps, les groupes d’experts qui travaillent à la HAS et ceux de l’ANESM sont obligés de travailler en même temps sur un certain nombre de recommandations ». La fusion des deux organismes était « dans les tuyaux depuis de nombreuses années », a souligné la ministre, qui a elle-même présidé la haute autorité de mars 2016 à mai 2017. Un rapport de l’inspection générale des finances (IGF) de 2012 fustigeait déjà les « doublons » entre les deux organismes et voyait dans leur rapprochement une source d’économies et d’efficacité. Autres arguments en faveur de la fusion : la HAS dispose d’une notoriété plus importante que l’ANESM dans le monde scientifique comme auprès des médias, et « la qualité de ses travaux et de ses méthodes, fondées sur le consensus, est indiscutable », constate Marie Aboussa.

Le bilan de l’ANESM peut-il expliquer son absorption ? Ses recommandations « sont toujours jugées utiles au secteur, elles sont connues et reconnues », même si les équipes s’en sont emparées de façon inégale, observe l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) dans un rapport(1). L’agence a été un « creuset » qui a produit des travaux transversaux à l’ensemble du social et du médico-social (par exemple sur la protection des données personnelles), tout en s’adaptant aux spécificités de chaque champ, comme celui de l’enfance, saluent Fabienne Quiriau et Sophie Bourgeois, respectivement directrice générale et conseillère technique à la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE). Dans ce domaine, « des sujets de terrain très importants ont été couverts, comme les mineurs non accompagnés ou la santé des enfants protégés », poursuivent-elles. Quant au dernier programme de travail de l’ANESM, voté en décembre 2017, il prévoit des publications sur l’accompagnement des jeunes à la sortie des dispositifs de protection de l’enfance, ou encore la bientraitance dans les structures de ce champ.

L’évaluation des ESSMS fait l’objet de nombreuses critiques, mais elles sont largement liées aux textes que l’ANESM n’a fait qu’appliquer. Pour mettre en place l’évaluation interne, chaque établissement a dû construire sa propre grille d’analyse (souvent avec l’aide de sa fédération), ce qui a demandé beaucoup de temps et d’énergie. Pour autant, « ce premier essai a eu un côté pédagogique incontestable, il a permis aux uns et aux autres de s’emparer de la démarche d’amélioration continue de la qualité », analyse Philippe Jourdy, secrétaire général de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (FEHAP). En revanche, « les professionnels disent globalement que l’évaluation externe leur a peu apporté comparé à l’évaluation interne ». De plus, l’ANESM ne pouvait pas se porter garante de la qualité de l’évaluation réalisée par les organismes habilités. Et de fait, les rapports produits ont été « de niveaux différents » suivant les lieux. Autant de critiques reprises par l’IGAS, qui a proposé dans son rapport de conserver le dispositif d’évaluation tout en le réformant.

Crainte d’une standardisation

Reste à savoir comment. A l’automne dernier, l’annonce de l’absorption de l’ANESM par la HAS a fait bondir de nombreuses fédérations du social et du médico-social (à l’exception notable de la FEHAP ou encore du Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées [Synerpa], qui s’y sont montrés favorables)(2). « Le problème majeur est de savoir comment la HAS va intégrer la philosophie de l’évaluation médico-sociale, alors qu’elle pratique une certification des établissements de santé basée sur des référentiels très standardisés », pointe Didier Sapy, directeur général de la Fédération nationale avenir et qualité de vie des personnes âgées (Fnaqpa). Selon lui, « une telle approche est tout à fait adaptée aux protocoles techniques de soins, elle est valable pour l’hôpital où l’on reste quelques jours en général et où l’on soigne… mais pas pour des lieux d’hébergement où l’on vit ». « Dans le social et le médico-social, on accompagne globalement la personne, en prenant en compte tout son environnement. Dès lors, évaluer la pertinence des interventions est beaucoup plus complexe dans notre secteur », complètent Fabienne Quiriau et Sophie Bourgeois.

Les associations demandent des garanties

Le gouvernement a refusé d’accoler les mots « solidarités », « social » ou « autonomie » au nom de la haute autorité. Pour autant, Agnès Buzyn a pris un ton rassurant au Sénat : « La HAS, dans son organisation, va prendre en compte le fait qu’il s’agit d’un secteur différent et qui peut parfois n’être que social et pas du tout médico-social. » Quant à la haute autorité, elle souligne qu’un passage à la certification n’est pas à l’ordre du jour, même si elle préparera un référentiel pour harmoniser l’évaluation des ESSMS (voir interview de Véronique Ghadi, page 25). Néanmoins, les associations demandent des garanties : « Sur l’idée d’un tronc commun des référentiels d’évaluation, nous sommes d’accord, convient Marie Aboussa. Mais nous serons très vigilants, à la fois sur le contenu de ce tronc commun et sur les volets spécifiques à chaque secteur, car les types d’établissements et services, et les accompagnements qu’ils réalisent, sont particulièrement diversifiés. » Nexem compte faire des propositions de réforme, par exemple pour que l’évaluation puisse porter non seulement sur chaque établissement ou service, mais aussi sur leur organisme gestionnaire, afin de voir comment les établissements améliorent les parcours des personnes. Marie Aboussa espère aussi que la HAS tiendra compte des outils déjà développés. Ainsi, les adhérents de Nexem disposent depuis 2010 d’un référentiel d’aide à l’évaluation interne appelé Quali-Eval. « Les professionnels se sont beaucoup investis pour le diffuser et l’utiliser. Mais nous prévoyons de l’arrêter fin mars 2019, car nous souhaitons l’étendre au-delà du handicap, mais aussi parce que nous manquons encore de visibilité sur les évolutions nationales à venir dans le domaine de l’évaluation », note Marie Aboussa.

« A la FEHAP, nous sommes optimistes mais vigilants », assure de son côté Philippe Jourdy. Les instances de la HAS qui se mettent en place « ont l’air de répondre à nos attentes » en reprenant en grande partie celles de l’ANESM, note-t-il, ajoutant que la nouvelle directrice générale, Katia Julienne – qui prend ses fonctions de directrice de la HAS le 3 avril –, connaît bien le social et le médico-social. Selon lui, l’essentiel est que « l’on garde les spécificités de l’évaluation qui ont fait que les établissements ont accepté d’entrer dans cette démarche ».

Cherchez les différences

L’ANESM, créée en 2007, était un groupement d’intérêt public (GIP) constitué entre l’Etat, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et les principales fédérations de gestionnaires d’ESSMS. Au sein de son assemblée générale, la majorité des voix revenait aux représentants de l’Etat et de la CNSA. Les autres membres étaient issus des ESSMS et des organisations d’usagers. L’ANESM comptait aussi deux instances consultatives : un comité d’orientation stratégique (COS) très large (pouvoirs publics, établissements, usagers, syndicats…) et un conseil scientifique. Elle gérait un budget de l’ordre de 2 à 3 millions d’euros et employait une trentaine de salariés.

La HAS, installée en 2005, est une autorité publique indépendante à caractère scientifique. Son budget a été de 52,2 millions d’euros en 2017. Elle compte environ 400 salariés et 2 500 experts et professionnels de santé externes. Ses missions vont de l’évaluation médico-économique des produits de santé à la production de recommandations, en passant par la certification des établissements de santé. Elle est pilotée par un collège de sept membres désignés par l’Elysée, le ministère de la Santé et les parlementaires. Elle s’appuie sur huit commissions spécialisées. Il s’y ajoutera une commission sociale et médico-sociale chargée de reprendre les missions de l’ANESM, composée de personnalités choisies soit « en raison de leurs compétences scientifiques ou techniques dans le domaine social et médico-social », soit en tant qu’adhérentes d’associations d’usagers. La HAS va aussi constituer un « comité de concertation » dont la composition devrait être proche de celle du COS de l’ANESM. Enfin, une nouvelle direction de la HAS sera créée autour des anciens salariés de l’agence.

Notes

(1) IGAS, « Le dispositif d’évaluation interne et externe des établissements et services sociaux et médico-sociaux », juin 2017. Voir ASH n° 3020-3021 du 21-07-17, p. 6.

(2) Voir ASH n° 3029 du 13-10-17, p. 11.

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