Avant les années 2000, il n’y avait que des associations dans le secteur. Et elles étaient peu nombreuses. Depuis la loi « Borloo »(1), en 2005, on a assisté à une véritable explosion des structures. Nous sommes aujourd’hui plus de 150 entreprises et associations de services à la personne sur un territoire assez étroit. Et la part des entreprises est de plus en plus importante : on compte environ deux tiers d’entreprises pour un tiers d’associations. La situation pourrait néanmoins changer, maintenant que l’autorisation des structures dans le domaine de la dépendance est devenue une prérogative du département. Et la volonté de la collectivité territoriale de Martinique [CTM] est clairement de faire du ménage dans le secteur. Certaines structures ne sont pas à jour ou ne respectent pas le cahier des charges. J’ai vu des personnes sans aucune formation ni compétences dans le domaine monter leur entreprise de services à domicile. Beaucoup ont déjà fermé avec la loi « ASV ».
Nous proposons des prix inférieurs à ceux de la Caisse nationale d’assurance vieillesse [CNAV], fixés à 20,50 €. En proposant 19 € de l’heure, nous essayons de nous aligner sur le marché pour exister. Certaines entreprises proposent du 14 € de l’heure ! Des prix au rabais pour des prestations marchandes. Or, cela ne correspond pas du tout au coût réel d’une prise en charge : 19 €, ce n’est pas assez pour faire fonctionner notre structure. En ce qui concerne l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), elle a longtemps été à seulement 9 € de l’heure en Martinique. Ce n’est que très récemment que nous sommes passés à 13 € de l’heure. Ailleurs en France, le montant de l’APA est pourtant très proche de celui fixé par la CNAV, à 20,70 €. L’APA devrait normalement être encore revalorisée pour atteindre 19 € d’ici trois ans. Mais on ne sait pas si l’engagement sera tenu. Pour les bénéficiaires, cela entraîne un reste à charge important, sachant que nombre d’entre eux vivent avec des pensions de retraite assez faibles. Aussi, une certaine acceptation semble s’être installée, conduisant les personnes âgées à diminuer leurs heures d’intervention prévues par presque deux afin de pouvoir honorer l’intégralité des factures.
Sachant que 80 % du marché de la dépendance se fait au gré à gré, je ne comprends pas pourquoi on demande autant de choses aux associations et rien aux particuliers embauchés. On embauche la fille, la petite-fille, la voisine, en n’ayant aucune garantie de qualité : des formations devraient être mises en place pour s’assurer de leur professionnalisme. On voit dans le même temps une augmentation massive des dossiers déposés aux prud’hommes, car les personnes qui deviennent employeurs ne connaissent pas forcément la loi, en ce qui concerne les modalités de licenciement, par exemple. Il y a des soucis aussi pour les congés : certains viennent nous voir pour remplacer leur aide partie en vacances, et ils recherchent un prestataire pour le mois. Ce n’est ni vraiment organisé ni toujours réglementaire. Face à la dépendance, il faut des personnes formées, il faut pouvoir garantir un service de qualité. Parfois, avec le gré à gré, on tombe sur des professionnels, mais c’est assez rare. Alors comment encadre-t-on tout ça ? Rien ne le permet pour le moment, il n’y a aucun suivi.
Nous avons besoin des services d’aide à la personne autant que de places en EHPAD. Nous ne pouvons pas faire l’impasse sur l’une des deux réponses apportées au vieillissement de la population. Nous faisons notre possible pour aider les personnes, mais on ne peut pas les maintenir indéfiniment à leur domicile. Pour certains, le niveau de dépendance est trop important. Il y a trente ans, les solidarités familiales étaient le modèle principal de prise en charge, et il fonctionnait bien. Il n’est plus d’actualité aujourd’hui, à cause des mouvements d’émigration des jeunes générations et avec les femmes qui travaillent. Ces personnes âgées isolées devraient avoir leur place en EHPAD ou dans d’autres structures d’hébergement. Mais pour le moment, cela ne fonctionne que par liste d’attente : il faut attendre qu’une personne meure pour que la place se libère. Le manque est évident alors qu’on est l’un des départements les plus vieux de France. J’ai une quinzaine de clients qui attendent une place, certains depuis trois ans.
(1) Loi n° 2005-841 relative au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.