Décembre 2016. Quelques mois et plusieurs milliers de kilomètres après avoir quitté son Pakistan natal, où il a subi des tortures, Malik « Nour » Nurulain arrive enfin à Paris. Entretemps, il a passé des nuits à se cacher dans la forêt, a vu des enfants mourir sous ses yeux impuissants, et a dû laisser son grand-frère dans un centre de rétention bulgare. A seulement 15 ans, il est déjà marqué à jamais.
Malheureusement, la France ne se révélera pas à lui comme le pays des droits humains tant espéré. A peine arrivé, Nour se voit refuser la protection réservée aux mineurs isolés, le Dispositif d’évaluation des mineurs étrangers isolés (DEMIE) estimant que « ses attitudes laissent penser qu’il est plus âgé que 18 ans » et que « son récit est lacunaire ». Abandonné à son sort, il gagne la rue et survit grâce au soutien d’associations.
L’une d’elles, Utopia56, prend conscience de sa détresse psychique et le confie à Parcours d’exil, qui, en mars 2017, dépose un recours visant à faire reconnaître sa minorité. Désormais, c’est donc à l’ASE de le prendre en charge, du moins jusqu’à ce que la justice statue sur le recours. Mais, alors que l’ASE devient seule responsable, Nour fait une crise d’angoisse et est envoyé à l’hôpital psychiatrique.
« Le psychiatre m’a contactée pour connaître son parcours. Il n’était même pas au courant qu’il était mineur. Cela donne une idée de la coordination entre les différents acteurs… C’est affolant. » Ce constat est celui de Pauline Mouton, l’une des rares amies locales de Nour, rencontrée alors qu’elle était bénévole chez Emmaüs. Malgré elle, et alors même qu’elle a cessé cette activité, elle devient la référente du dossier et le lien entre les interlocuteurs. « Le médecin a expliqué que l’état de Nour ne relevait pas d’un placement en hôpital psychiatrique, mais qu’il avait besoin d’un suivi psychologique rapproché avec un traitement médicamenteux. »
A sa sortie d’hôpital, Nour est placé dans un foyer d’urgence, où il réside jusqu’en septembre 2017, date de la décision de justice qui officialise son statut de mineur. Il sera donc sous protection de l’ASE jusqu’à sa majorité. Mais cette bonne nouvelle est vite entachée par une nouvelle crise d’angoisse, qui le conduit à un nouveau séjour en hôpital psychiatrique, où les médecins réitèrent leurs conseils de suivi rapproché. Pourtant, lorsque l’ASE récupère Nour, elle n’augmente pas la fréquence de ses rencontres bimensuelles avec son éducatrice spécialisée, ni celle de son rendez-vous mensuel avec une psychiatre.
Pire encore, elle place le mineur isolé dans une chambre d’hôtel, « livré à lui-même avec des tickets-restaurant », souligne Pauline Mouton, qui dénonce l’absence d’encadrement. « Son éducatrice spécialisée m’a appelée, elle me donnait parfois des responsabilités, comme l’emmener à l’hôpital. Mais elle n’a jamais demandé à me rencontrer. J’aurais pu être une personne malintentionnée. Ça pose des questions sur les méthodes de l’ASE, qui décharge sa responsabilité sur des citoyens. »
Un an après son arrivée sur le territoire, Nour tente de se suicider. Troisième séjour en hôpital psychiatrique. Mais, une fois encore, l’ASE le replace dans une chambre d’hôtel dès sa sortie. Sept jours plus tard, le 14 février 2018, Nour se suicide dans la Seine parisienne. Il faudra cinq jours de plus à l’ASE pour signaler sa disparition. Sollicité à plusieurs reprises, le service de l’ASE n’a pas répondu à nos demandes.
diffusé vendredi 16 mars rappelle que l’ASE était la « seule responsable légale de ce mineur non accompagné ». Les associations signataires dénoncent notamment le maintien à l’hôtel de Nour, « seul face à ses traumatismes dans un environnement manifestement inadapté (…), malgré les risques avérés de suicide et les signalements répétés de l’entourage ». A travers le cas de Nour, c’est tout le système d’accueil de mineurs non accompagnés qui est remis en cause. « C’est une forme de négligence et d’abandon, malheureusement fréquents », déplore Martine Brousse, présidente de La Voix de l’enfant, qui figure parmi les signataires. « Cette fois-ci, les associations qui se battent chaque jour pour éviter ce genre de situation ont dit « stop ». Nour n’est pas mort pour rien, on va se battre pour les autres », promet Mme Brousse. « Ce garçon a traversé l’horreur pour finir dans un pays où il en arrive à se suicider. Vous rendez-vous compte de ce que cela signifie ? »