De notre envoyé spécial à Amiens.
« Pour que chaque projet de vie se réalise, il faut une réponse en milieu ordinaire ou, à défaut, la moins spécialisée », rappelle Cécile Guerraud, directrice de l’agence régionale de santé (ARS) de la Somme. Afin d’« éviter les ruptures dans les parcours, il faut une mobilisation commune des acteurs : maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), autorités de tutelle, acteurs de proximités… », développe Laurent Somon, président du conseil départemental de la Somme. Il en est convaincu, il faut une « désectorisation du champ du handicap pour réussir l’inclusion ». Les contours de ce projet de plateforme de services sont ainsi posés dès les discours préliminaires de ce colloque, organisé par l’Espace Sentein et les PEP80(2), dont le thème était « Besoins, parcours, plateformes ».
Marina Drobi, cheffe de projet « RAPT » au comité interministériel du handicap, explique que « l’autodétermination » de la personne doit être au centre de cette dynamique, en évitant la « surenchère des plans d’accompagnement global [PAG]. Il faut faire une analyse des besoins sans procéder à un placement automatique, prévenir les risques de rupture et élaborer des alternatives ». Le parcours doit être voulu par la personne, et inclusif autant que faire se peut, détaille Jean-René Loubat, psychosociologue. « Aujourd’hui, on pense les besoins de la personne au lieu de partir de ses attentes, et on pense ces besoins en fonction des ressources disponibles, ce qui conduit à du package au lieu d’avoir une réponse personnalisée. Ces attentes, nous devons les convertir en besoins Serafin(3), pour avoir un référentiel commun. »
En partant de ces attentes, les plateformes de services auraient pour but d’orienter la personne handicapée vers une solution en dépassant la logique de structure. Jean-Pierre Hardy, de la direction générale de l’action sociale (DGAS), n’hésite pas à parler d’un développement « extensif et quantitatif des établissements et services sociaux et médicaux-sociaux [ESSMS] », qui doit cesser au profit d’une logique de coopération entre acteurs à l’échelle d’un territoire, en égalisant la prise en charge au profit des usagers. Ces derniers pourraient, par exemple, se voir accorder « un droit à hébergement adapté opposable », afin de pouvoir effectuer des allers et retours avec le milieu ordinaire sans devoir attendre des mois pour retrouver une place en établissement. Les structures pourraient, de leur côté, mutualiser certaines prestations, notamment les fonctions « support », comme la blanchisserie dans les EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), qui représentent un coût important. Reste à savoir si la plateforme sera multipartenaire ou territorialement intégrée, avec un seul gestionnaire.
C’est une autre interrogation du dispositif : quel sera le rôle précis de la personne en charge des parcours dans ces plateformes, et à qui sera-t-elle rattachée ? Pour être objectif, le coordinateur devrait faire partie d’une MDPH ou être totalement extérieur aux structures incluses dans la plateforme, mais cela irait à l’encontre de la volonté institutionnelle de ne pas créer de nouveaux postes dans les collectivités.
Concernant ses missions, Marie-Christine Philbert, présidente de la Fédération nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap (Fnaseph), veut un coordinateur « qui ne déchargera pas les professionnels accompagnateurs au quotidien, mais qui amène de la compréhension et de la porosité ». A la sortie du colloque, Thierry Lamour, formateur à l’Espace Sentein, confie que « les professionnels sont pour le moment loin de la logique Serafin. Le gros enjeu, c’est l’explication du changement. » Reste à voir si l’ange va passer.
Un directeur d’institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP) qui souhaite garder l’anonymat nous a confié ses doutes sur le projet de plateformes de services. Selon lui, « il est grand temps de se mettre aux plateformes de service, mais cela pose plusieurs difficultés. Comment on les finance ? On a de plus en plus de besoins sans les ressources pour les financer. Et si on les délimite en amont du budget, il va falloir équilibrer en faisant de la gestion pour éviter les licenciements, car les besoins de la personne sont susceptibles de changer au cours de l’année avec l’évolution de son handicap. Egalement, il faut faire attention à la segmentation des services dans le cadre de la mise en place de ces plateformes. Si je prends l’exemple d’un EHPAD, cela pourrait conduire à un service pour les grabataires et un service pour les moins grabataires, ce qui reviendrait à mettre en place un “couloir de la mort” pour la première catégorie. Si je pousse l’exemple à l’extrême, il serait même mieux de garder ces personnes au maximum dans la dépendance pour avoir une meilleure dotation. Enfin, l’Etat ne doit pas tout aux personnes handicapées. Il ne faut pas définir leurs besoins en fonction uniquement de leurs attentes, sur la formation ou le travail adapté notamment : si on n’écoutait que ce que nous disent les adolescents dans ma structure, ils finiraient déscolarisés. Ils doivent pouvoir participer à la vie économique du pays en fonction de leurs compétences, on doit tout faire pour ne pas les maintenir dans la dépendance. »
(2) Espace Sentein : études supérieures professionnalisées des acteurs et des cadres de l’économie sociale. PEP : pupilles de l’enseignement public.
(3) Le projet Serafin-PH vise à réformer le mode de tarification des établissements et services médico-sociaux intervenant auprès des personnes en situation de handicap en facilitant le parcours de ces dernières.