De notre envoyé spécial à Biarritz.
« Des zones d’ombre subsistent : modalités de mise en œuvre, opérateurs, garants, contenu et effets. » Dès son discours d’ouverture, le président du Carrefour national de l’action éducative en milieu ouvert (Cnaemo), Salvatore Stella, marque le coup (voir interview ci-contre). Le sujet des Assises du Cnaemo millésime 2018, organisées à Biarritz du 14 au 16 mars, est lui aussi explicite : « Le projet pour l’enfant ou le paradoxe de l’intermittence ». Le caractère affirmatif de la phrase ne laisse aucun doute : les professionnels sont conscients des défauts de ce projet pour l’enfant qu’ils peinent à appliquer au quotidien. Salvatore Stella insiste : « Il faut interroger les notions de parcours, de continuité, de sens. L’important, c’est de permettre une continuité pour l’enfant, pour les parents et pour les intervenants. »
Le projet pour l’enfant est mal connu et, par le fait, mal appliqué par les professionnels. Plusieurs travailleurs sociaux ne s’en cachent pas, entre les tables rondes des assises. « En fait, je n’ai jamais bien appliqué le principe du projet pour l’enfant ! », rit jaune l’un deux à la pause-café. Un sentiment partagé par tous les universitaires et professionnels qui ont participé aux tables rondes. Parmi les meilleurs moments des journées, les « vignettes cliniques ». A chaque demi-journée, une délégation régionale du Cnaemo devait présenter son quotidien concernant le fameux « projet pour l’enfant ».
Là aussi, une tendance se dégage : perdus dans la jungle des dispositifs de la protection de l’enfance – et autant d’acronymes –, les professionnels ne savent pas comment appliquer précisément les dispositions des lois de 2007 et 2016 (voir encadré page 15). Parmi les blagues réussies de leurs interventions, les délégations n’ont cependant pas oublié de faire passer des messages. « Il y a un décalage entre les textes et ce qu’on vit sur le terrain. Et avec la multiplication des textes et des dispositifs, je passe plus de temps à signer des papiers qu’à voir les gamins. » Plutôt paradoxal, pour un éducateur, dont c’est en principe le métier…
Sophie Vignaud-Izard est juge des enfants et vice-présidente du tribunal de grande instance d’Agen (Lot-et-Garonne). Pour elle aussi, le projet pour l’enfant est un « document énigmatique » : « Le conseil départemental ne l’a pas mis en application. Avant de venir ici, j’ai fait un peu de prospective dans ma juridiction pour savoir ce que mes collègues en pensaient. Tous ont été unanimes pour dire qu’il s’agit d’un document peu institutionnalisé. » La magistrate, qui en a besoin pour prendre ses décisions, a également rappelé la finalité du projet pour l’enfant : « C’est à la fois un document et un outil. Il permet de représenter le parcours d’un mineur et vise à définir des perspectives de travail pour son bien-être, ses souhaits et ses besoins fondamentaux. »
Problème : le manque de cohérence et de lien entre les différentes institutions chargées de la protection de l’enfance, qui font des enfants des « patates chaudes », passant de la protection de l’enfance aux soins. « Le projet pour l’enfant pourrait représenter une garantie de coordination et permettre un décloisonnement des interventions », souhaite Sophie Vignaud-Izard.
Et c’est possible. Le président du département de Moselle a fait le choix de rendre la protection de l’enfance « grande cause départementale » depuis 2012. Ludovic Maréchal, directeur « enfance-famille » au conseil départemental, raconte : « On avait l’idée de faire un diagnostic global du dispositif en Moselle, avec l’ensemble des institutions et associations, ce qui représente 500 acteurs. Notre idée, c’était de faire vivre à la fois la loi de 2007 puis la loi de 2016. On a pris beaucoup de temps sur le rôle et la place de chacun. »
Contrairement au Maine-et-Loire en 2017(1), la collectivité territoriale de Moselle n’a pas fait le choix de l’« appel à projets qui met en concurrence » : « Mais nous avons choisi de dire à l’ensemble des acteurs : ’Evoluez avec nous et diversifiez-vous avec nous.“ » En bref, pour améliorer la situation, rien de tel que la volonté politique, accompagnée et portée par le mouvement associatif.