Au lendemain de son élection, Donald Trump a décidé d’abroger l’« Obamacare », la grande réforme de son prédécesseur qui avait permis à 17 millions d’Américains – qui en étaient jusqu’alors dépourvus – de bénéficier d’une couverture maladie. Au Royaume-Uni, le National Health Service (NHS) est structurellement déficient, laissant à des opérateurs privés – dont plusieurs groupes français – la possibilité de s’engouffrer dans la brèche et de créer une offre de soins de haut de gamme pour les Britanniques les plus favorisés. Au pays d’Elisabeth II, la santé est officiellement à deux vitesses.
En France, la tendance est à solliciter les mutuelles et assurances complémentaires pour la prise en charge de la couverture maladie obligatoire, ce qui permet à la Sécu de se désengager et de réaliser des économies. Dans le champ social aussi, la solidarité recule. Le mouvement associatif est appelé à jouer les supplétifs d’un Etat qui a d’autres priorités.
La raison de cette mutation est le passage d’une économie fondée sur la production à une économie fondée sur la finance qui a fait éclater tous les schémas connus depuis les révolutions industrielles des XIXe et XXe siècles. Dans cette économie financiarisée, une start-up qui ne produit rien, ne réalise aucun chiffre d’affaires et n’a pas de salariés peut-être valorisée plusieurs milliards de dollars en Bourse, alors qu’une entreprise industrielle qui produit, vend et fait travailler des cohortes de collaborateurs ne vaut rien.
Cette économie dans laquelle un Mark Zuckerberg ou un Larry Page peuvent devenir milliardaires en quelques clics en créant un réseau social ou un moteur de recherche se moque comme d’une guigne de l’égalité et de la réduction des inégalités sociales.
Ce mouvement d’hyperconcentration des richesses et d’égoïsme social gagne lentement mais sûrement la France. En 1995, Jacques Chirac avait théorisé la fracture sociale. Non seulement, il ne l’a pas réparée pendant ses deux mandats mais, depuis, elle s’est élargie et, surtout, s’y sont ajoutées les fractures territoriale, numérique, éducative et culturelle… Cette multiplication des fractures fragilise l’unité nationale et fissure le pacte républicain.
La coagulation de ces fractures a engendré une grande fracture politique. L’élection présidentielle de 2017 a mis en lumière l’existence de deux France qui cohabitent mais ne coexistent plus. D’un côté, la France intégrée, celle des villes bénéficiant à plein des bienfaits de la nouvelle économie. De l’autre, la France dite périphérique, littéralement larguée par cette révolution. La première a assuré la victoire d’Emmanuel Macron, tandis que l’autre s’est réfugiée dans le vote en faveur des candidats hors et contre le « système » qu’étaient Jean-Luc Mélenchon et, plus encore, Marine Le Pen.
Comme pour confirmer cette thèse de la coupure entre la France qui tient la route et celle des bas-côtés, la Fondation Jean-Jaurès publie une note développant l’idée d’une « sécession des riches » (voir pages 16 et 17). Vivant dans des ghettos urbains – dont l’exemple caricatural est Paris –, les riches organisent, à leur profit, une sorte de coupure du reste de la société.
Toute la question est de savoir si cette sécession ne préfigure pas une sorte de grève de la solidarité nationale. Cette fracture-là serait la fracture de trop, elle toucherait le cœur du pacte social. Ce serait une sorte de fracture du myocarde républicain.